Выбрать главу

— Il ne te reste plus qu’à te déguiser en éboueur, ricané-je.

Il glousse :

— Et vouaille note ? T’sais qu’elle doit pas cracher dessus la bagatelle !

— Comment le pourrait-elle, puisque d’après ses confidences, elle lui tourne le dos ?

Marie-Marie s’enrogne de nous entendre graveler de la sorte. Elle dit que, bon, les hommes, tu parles d’une horde de porcs ; l’avenir que tu peux espérer quand, jeune fille riche d’illuses tu les entends chahuter avec les choses de l’amour. Ah, non ! Merci bien. Religieuse, dans le fond, c’est pas plus con qu’autre chose. Et, d’un élan rageur, elle court jusqu’à l’autobus j’sais plus combien qui, opportunément, vient de s’arrêter et s’y propulse sans un mot d’au revoir.

Nous deux, le Gros, on se regarde. Il rigole, ce sac à vinasse. Ça lui paraît farce, l’indignation de sa pupille. Il dit qu’elle en reviendra, la mouflette, plus tard, lorsqu’elle aura fait sa provision de pafs. Que les pucelles, Jeanne d’Arc exceptée, ont toutes un côté pimbêche qu’elles perdent en même temps que leur berlingot. C’est une des lois de l’existence.

— Oh, ta gueule, soupiré-je. Tu ne sais pas ce qui est noble, Alexandre-Benoît. Dans la vie, tu ne t’intéresses qu’au gras, et tu décrètes le maigre incomestible. Dis-moi plutôt ce que t’a appris cette salope de concierge, qu’on ne perde plus de temps en giries de garçons bouchers.

Ma sortie l’inquiète. Il pose sur ma personne la double ventouse gluante de son regard. Puis il détourne les yeux.

— C’est marrant, fait-il.

— Qu’est-ce qui est marrant ?

— Non, rien. Des idées… Toi et Marie-Marie… Des nuits j’rêve que t’habites chez nous av’c elle. C’est p’t’êt’ prémonitieux dans son genre ?

Et comme je garde un silence buté, un silence presque malheureux, il se décide à changer de sujet.

— La concierge m’a dit que notre Aldebert Mudas f’sait des crachotteries à sa bourgeoise.

— Exemple ?

— Il l’en prillait que les lettres qui lui parviendraient en prov’nance de Suisse, elle devait les garder et les lu remett’ en mains propres. Chaque fois que ça s’produisait, il y allongeait un beau talbin.

— Il en recevait beaucoup ?

— C’tait t’estrêment rare, une ou deux fois par an s’lement.

— Des lettres à en-tête ?

— Non.

— Elle devait sûrement lire le cachet de la poste ?

— Genève.

— Et même les décacheter à la vapeur !

— J’l’y ai demandé ; bien sûr ell’a prétesqué qu’non, mais elle m’a tout d’même prétendu qu’c’tait des babilles d’affaires qui d’vaient contiendre des trucs d’banque.

Ce « qui devaient contenir » est une sorte d’euphémisme, tu conviendras ?

— Et, à part ça, au plan du cul ?

— Elle a rien jamais r’tapissé de bancal, y semblait raffoler sa bourgeoisie, ce gus, s’lon t’elle.

— Les apparences sont parfois trompeuses, psalmodié-je.

Le Gravos rigole :

— C’est ben la première fois qu’j’entends dire ça.

* * *

Il est du genre « mon temps c’est de l’argent », le P.-D.G. des grands garages Trucmuche. Grosses lunettes à monture d’écaille, calvitie blonde, z’yeux agacés, épingle de cravate surannée, gilet.

Son burlingue vitré domine un vaste hall plein de chignoles neuves que des gonzmen en salopettes rouges briquent à la peau de chamois, avec autant de minutie qu’on en met à clarifier ses lunettes après avoir mangé une soupe aux choux brûlante.

— Comment mort ? Suicidé ? Mudas ? Oh, merde ! Ne me dites pas ça !

Il dégoupille un interphone d’un cloquemuche d’index et lance :

— Vous savez ce que j’apprends, Frivolet ? Mudas vient de se suicider !

Il referme l’appareil sans écouter la réaction de Frivolet. Demande :

— Où, quand, comment ?

Ce que je lui informe.

Il rebranche l’appareil :

— Cet animal s’est foutu une balle dans la tête en plein Champs-Élysées. Vous me convoquerez Amaudy pour demain matin à la première heure, il me paraît tout indiqué pour le remplacer.

Puis, à nous :

— On l’enterre quand ?

Il feuillette son carnet Hermès vivement et l’examine après avoir placé ses lunettes sur le sommet de sa tête mal garnie pour s’en débarrasser les yeux.

— J’ai un trou après-demain matin. Ça irait, pour les funérailles ? Quoi ? Ah ! ça ne dépend pas de vous, mais des siens ?…

Et, dans le parlophone :

— Frivolet : entrez en contact avec sa femme : funérailles après demain-matin dix heures ! Vous vous occupez des fleurs s’il en veut. Quoiqu’un suicidé, hein ? Quel con ! A son âge. Mais qu’est-ce qui lui a pris ?

L’interphone est de nouveau bouclarès. C’est à moi qu’il s’adresse.

— Précisément, cher monsieur, je comptais un peu sur vous pour éclaircir ce point obscur : qu’est-ce qui lui a pris ?

Mon interlocuteur lève ses manchettes au ciel.

— Qu’en saurais-je ? Déjà sa bonne femme qui m’a demandé si son travail marchait… Elle était inquiète. Bien sûr que son travail marchait, sauf ces derniers jours où il n’avait pas l’air dans son assiette. Si son travail n’avait pas marché, je l’aurais gardé, dites ? Cette connerie !

— Il n’était pas dans son assiette, dites-vous ?

— Et alors ? Ça pouvait être d’origine virale, non ?

— Savez-vous s’il avait des ennuis d’argent ?

— Des ennuis d’argent ? Quelle idée ! Il travaillait, non ? Gagnait confortablement son bœuf, non ? Il menait une vie pépère, non ? Sa bonne femme enseignait, non ? Et vous les connaissez, dans l’enseignement, avec leurs grèves, non ?

— Bref, vous ne soupçonnez rien qui eût pu motiver son geste ?

— Rien de rien. C’était le dernier type que je voyais se foutre en l’air, moi. A moins… Oui, ce doit être ça…

— Quoi donc ?

— La santé. Un mal pernicieux, vous imaginez ce que je veux dire ? Genre cancer des couilles, quoi, en plus grave.

— Son physique pouvait laisser prévoir une telle chose ?

— Non, mais les terriers de lapin ne se voient pas dans une plaine ; vous devriez consulter son médecin, mon cher monsieur.

— Merci du conseil.

Bon, tout ça, bien joli. Mais je m’en branle de sa converse, au pédégé de mes chères deux mignonnes. Cézigue, il jacte avec des échasses, le pis c’est qu’il ne s’écoute même pas débloquer. Les phrases lui partent comme l’échappement d’une moto. C’est rien d’autre que des scories de pensées inabouties. Ce qui me turlupe, c’est autre chose.

— Je ne voudrais pas abuser plus longuement de vos instants, monsieur le directeur. Si vous voulez bien me désigner le bureau de ce pauvre Mudas, j’aimerais y jeter un œil.

— Quelle idée !

— Peut-être trouverai-je quelque note ou correspondance susceptible de nous éclairer…

— Allons donc, ici c’était son lieu de travail, mon cher monsieur. Son bureau a un caractère uniquement commercial.

— Mon cher directeur, elle est bien perméable la frontière entre notre vie privée et notre vie professionnelle… Vous me disiez que son bureau se trouve ?

De mauvais gré il grapouille :

— Box 8, son nom est encore sur la porte.

Mais plus pour longtemps avec un homme aussi réaliste. Demain au plus tard, le blaze du dénommé Arnaudy aura remplacé celui de Mudas.

* * *

En explorant les deux tiroirs du bureau de verre, mon idée, je t’en préviens nettement, est de mettre la main sur ces papiers en provenance de Suisse que recevait Mudas en cachette de son épouse. Papiers de banque, prétend sa concierge. Voire… S’il se les faisait dissocier du courrier courant, c’était parce qu’il voulait les tenir secrets à sa femme. S’il les lui tenait secrets, fatalement, il les planquait ailleurs que chez lui. Certes, il eût pu se les faire adresser directement à son bureau du garage, mais sous la coupe d’un dirlo comme celui que je viens de quitter, des documents aussi privés n’auraient pas été en sécurité. Restait qu’il pouvait peut-être jouir d’une planque plus ou moins astucieuse. En un regard circulaire et dix palpades expertes, je me persuade du contraire. Non, si Aldebert Mudas a conservé les fafs en question, il les détenait autre part. Alors, quoi ? Un coffre de banque ?