— Il est plus là, votre copain ? s’inquiète Boujus.
— Oh, lui, il va, il vient, éludé-je. Dites-moi, le professeur possédait-il une voiture ?
— Non.
— Et sa femme ?
— Non plus ; c’est pas leur genre, la bagnole. On voit que vous ne les connaissez pas ; les choses ordinaires qui intéressent les gens, euss, ils s’en branlaient.
— Ils ne sortaient pas beaucoup ?
— Très rarement. Un soir, si, y sont été au concert. Une autre fois, y s’ont rendus dans un grand dîner, même que Mââme Chultenmayer s’inquiétait de ce que son mari avait rien d’bien reluisant à se mettre. Il fluminait, le pôvre, comme quoi il détestait les mondanités, mais, à travers ce que j’ai cru comprendre, c’tait le genre de réception qu’ils pouvaient pas se décommander.
— Et elle, sortait-elle ?
— Pas beaucoup, mais plus que lui pourtant. Disons qu’une fois par semaine, elle prenait un après-midi pour faire les courses, les corvées, tout ça… Fallait bien. Moi, je leur achetais la boustifaille dans le quartier, mais le reste : les fringues, les objets, je pouvais guère m’en occuper.
— Où puis-je téléphoner ?
— Bé, dans son bureau, venez…
Je retourne au burlingue. Bureau ? Bon, je veux bien, reste à préciser la définition du mot bureau. S’il s’agit d’un endroit où un individu se retire pour écrire ou étudier, alors, d’ac, cette pièce, munie d’un vasistas, dont les murs se cachent derrière des piles de livres qui s’assistent mutuellement pour maintenir leur précaire équilibre, cette pièce pourvue d’une table rudimentaire croulant sous les paperasses, et de classeurs métalliques à bon marché, cette pièce peut être appelée bureau.
Je compose le numéro de notre agence. La môme Claudette met une éternité avant de répondre.
— Et alors, c’est la grève perlée ? je bougonne.
— Je suçais Mathias, s’excuse-t-elle.
— J’espère que vous avez eu le temps de le finir, car j’ai besoin de lui.
— Pas encore. On ne peut pas le traiter d’éjaculateur précoce, ce dégourdi. Il paraît qu’il pense à sa femme et que ça le retient, ajoute-t-elle non sans humeur.
— Quand il besogne sa femme, il doit penser à vous et là, au contraire, ça l’active, mon petit trognon, passez-le-moi !
Le Rouillé a la voix oppressée des zigs pris en flagrant du lit de coït furtif.
— Hé, dis, rouquin, je le chambre, une pipe c’est quand même pas le Galibier.
Il bavoche :
— Clauclaudette vous raconte des bêtises, monsieur le commissaire.
— Ta gueule, hypocrite ! Il me faut un renseignement de toute urgence. Cette nuit, il est probable que le professeur Chultenmayer et son épouse ont eu besoin d’un taxi. Qu’on retrouve celui-ci et qu’il nous dise où il a déposé le couple. Je crois t’avoir donné l’adresse de Chultenmayer ?
— 8, impasse de l’Eden ?
— Bravo.
— Vous avez besoin de ce renseignement pour quand ?
— Le temps que Claudette te finisse et que tu te rebraguettes, immonde !
Je raccroche.
Et alors, juste, v’là que j’entends un drôle de bruit.
BÉRU AURAIT-IL PERDU QUELQUE CHOSE ?
Confondons pas : y a bruit et bruit, hein !
T’as le bruit catégorique, comme celui d’une détonation. Le bruit modeste d’un outil manié, ou d’un objet déplacé. Le bruit d’ambiance, comme par exemple celui de la rue, d’une route, d’une gare. Le bruit dont tu doutes parce qu’il est à peine audible et instantanément dissipé.
D’autres, bien d’autres.
Celui que j’allusionne à la fin du prodigieux chapitre précédent est du genre sporadique mais lancinant. J’entends par là qu’il est de faible intensité, très bref, mais qu’il se répète. Dans des cuisines bien équipées, t’entends ce genre de court zonzon qui s’escamote tout de suite pour reprendre à intervalles réguliers. Des machines à laver qu’on règle à convenance et qui font le boulot pendant que la ménagère va au chibroque.
Il se produit un truc, attends, bouge pas, comme : « tzzzzon ». Voilà attends : « tzzzzzon » ! Ça y est, c’est ça, fallait un « z » de plus. « tzzzzzon ». Et puis un arrêt de dix secondes. Et je pense tout de suite qu’il doit s’agir d’une machine au père Chultenmayer. Seulement, pourquoi fonctionnerait-elle puisque le savant est « out » ?
Moi, tu connais mon tempérament tracassiste, souvent ? Le combien ça peut me hanter, une connerie, même insignifiante. Tu sais tout bien comme, pas vrai, depuis le temps qu’on, tous les deux.
Alors t’étonne pas que l’Antonio batte illico, non pas la campagne, mais la maison. Il visite le labuche, et puis la resserre (bien lavé ça ressert). Ensuite, il descend au sous-sol, là que d’autres salles de recherches et d’expérimentations inquiètent par leur monstrueux appareillage que l’inquiétant est de pas piger à quoi il sert, tu comprends ? L’angoisse vient toujours de l’incompréhension. On ne redoute vraiment que ce que l’on ne comprend pas. Un danger très net, explicite, bon, on lui fait front carrément, on se disperse pas l’énergie en questions gigognes. Mais là…
Et c’est dans une petite boutique noire que je découvre le pot aux roses.
L’on dirait une salle de projection privée, ou, plus exactement, le coin de la visionneuse dans une salle de montage. Attends, si je t’explique pas un bout de bribe, t’es marron de la comprenette. Et faut que tu saisisses, pour une fois, quoi, merde ! Je vais pas te laisser canner idiot en plein !
Imagine un bloc noir, de la grosseur d’un gros téléviseur. Mais le cadran de ce faux poste tévé est à l’intérieur du coffrage, en recul d’une douzaine de centimètres, tu comprends ? Est-ce que tu comprends bien ? Dans la partie supérieure dudit coffrage, se trouve une sorte d’appuie-front, ce qui t’indique qu’on doit mater l’écran à bout portant ou presque. Un long tube métallique flexible part du côté gauche de l’appareil (ou du droit si t’es gaucher, moi, tu penses, pour ce que ça me coûte). Ce tube est long d’au moins trois mètres. Il est terminé par un petit chplaftz rond et plat qu’il faut presser pour déclencher le bouzin.
Suivi ?
Parfait.
En face du téléviseur bidon, est un siège pivotant, sans dossier, réglable donc, qui permet au visionniste de se placer à la bonne hauteur, n’importe sa taille.
Et alors, ce rapide tableau étant brossé comme un habit des dimanches ; ne reste plus qu’à te le compléter en t’informant que messire Béru est assis sur le siège, que son front taurin est posé contre l’appuie-tronche, qu’il a le chplaftz déclencheur dans la main, et qu’il reste immobile comme sans doute l’évêque Cauchon devant sa cheminée, les soirs d’hiver, après le turbin de Rouen : enfin, du moins, j’espère pour sa pomme.
J’appelle :
— Béru !
Mais il ne bronche pas.
Seul, le « tzzzzzon » de la visionneuse découpe l’épais silence en rondelles.
Santantonio se précipite. Saisit son aminche aux épaules et l’arrache à sa contemplation.
Un coup d’œil à l’écran.
Je comprends qu’il soit passionné par le programme, le Faramineux. Là là, quel documentaire ! Sur le minuscule écran, ça représente une dame ravissante, comme quoi elle ouvre aussi grandes les jambes que, jadis, le bon de Gaulle les bras, et qu’on lui voit tout le panorama, urbi et orbi, et que cette friponne, tu sais quoi ? Referme un peu le bouquin qu’on puisse pas lire par-dessus ton épaule, je voudrais pas avoir des turbins avec la censure rapport que des mineurs de moins de douze ans (car c’est ça la majorité légale, je crois bien, dorénavant, non ?) lisent des éhonteuseries. Eh bien, cette remarquable enfant de salope se carre in the bab’ un gode surdimensionné ; mais alors du braque de cauchemar pour pédoque hémorroïdaire, du braque pouvant servir d’enseigne à un boxon soudanais, du braque comme même dans les histoires d’O, d’eau de bidet, de vin de fesse, on n’oserait pas te le proposer à croire. Plus que féroce, le chibroque monstrueux, inacceptable, marteau-pilonneur, qu’abolirait la loi phallique. De la fausse bite démentielle, capable de servir de monture à une sorcière, voire à un apprenti sourcier. Or, la donzelle, contre : toute vraisemblance, vents et marées, mauvaise fortune bon cœur, pèterie, bande, pied, poids, proposition, ut et voie, parvient à se le stigmatiser dans l’effréneur de modulation, sans s’estropier le frifri, ni même se l’effractionner. Jusqu’à la garde ! Froutt ! Disparu ! Coucouchepanier !