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« Nous sommes descendus ensemble. Il paraissait soucieux. Arrivés dans la rue, un type s’est comme jeté sur nous. Mudas a sursauté. Puis il a serré la main du bonhomme. Et ce gars m’a regardé méchamment, sans un mot, jusqu’à ce que je m’éloigne. »

— A quoi ressemblait ce pékin ?

— Il portait précisément ce même imper verdâtre. C’était un gros type blond, plus très jeune, avec des lunettes.

— Cerclées d’or ?

— Mince, tu sais déjà ça ? bée-t-elle.

M. Sterny ! L’homme dépeint par le brave Boujus et qui rendait visite aux Chultenmayer impasse d’Eden. Ils allaient bouffer des tripoux d’Auvergne au bistrot voisin.

— Oui, je crois… Ainsi, tout ce petit monde se retrouve à Abidjan. Bon, allons dire bonjour à M. Sterny.

NOS CHERS DISPARUS

— M. Sterny, s’il vous plaît.

La personne à laquelle je m’adresse, après avoir eu beaucoup de mal à retrouver le palace préconisé par notre jeune chauffeur de taxi du matin, est une grosse vieille dame noire, vêtue de couleurs éclatantes. Elle lave des linges au violet somptueux dans une bassine mousseuse. Elle fume une petite pipe à canon scié, qui sent l’automne de nos bocages, lorsqu’on y brûle les ronciers. Mais l’odeur du tabac couvre mal la sienne propre (si j’ose de la sorte exprimer) et, tout en m’adressant à elle, je rajuste la distance qui doit nous séparer afin que mon sens olfactif et nos relations s’harmonisent. Un pas en arrière rétablit la situation.

La chère dame redresse cinquante kilogrammes de nichons désormais improductifs, me sourit, sans me donner la moindre envie de m’enquérir de la marque de son dentifrice, et pousse un rot d’une telle violence que si ta fille faisait ça, tu la foutrais en pension chez les religieuses ou l’obligerais à lire les bouquins de Paul Guth[7].

— Qu’est-ce tu dis ? elle me fait.

Sa langue, d’un très joli rose, sort de sa cavité buccale quand elle cause, laissant chaque fois à ses commissures une espèce de limon blanc.

— Je veux voir M. Sterny, Maman, je répète, me croyant à tourner un rimèque de La Case Trésor de l’Oncle Tom de Savoie.

— Et qui c’est, ça, Sterny ? dit la vieille femme dont la denture ressemble, quand elle se tait, à deux limaces accouplées.

— Un gros monsieur, avec des lunettes dorées et des cheveux blonds. Il porte quand il pleut un imperméable vert.

L’hôtesse essuie ses mains trempées après ses cotillons.

— Oh, oui, je sais. Mais je savais pas son nom. C’est le monsieur qui vient voir M. Benjamin ?

— Sûrement.

— Alors je savais pas son nom. Il est très gentil. Il me laisse chaque fois un petit billet sur ma caisse pour le dérangement, qu’il dit, mais il me dérange pas.

Ce détail achève de me confirmer qu’il s’agit bien de l’homme raconté par Boujus.

— Est-il ici, Maman ?

— Je sais pas. Moi je sais rien. Je lave. Attends…

Elle va regarder une table bancale chargée d’ustensiles divers et de quelques paperasses graisseuses.

— Oh oui, il est sûrement encore là, puisqu’il a pas mis un petit billet en partant et qu’il est venu ce matin.

— Elle est où, la chambre de M. Benjamin, Maman ?

— Derrière la cuisine. La deuxième porte, le 8 !

— Et que fait M. Benjamin, Maman ?

— Lui ? Rien.

— Il y a combien de jours qu’il est descendu dans votre hôtel ?

— Six ans.

— Et il n’a pas d’occupations ?

— Je sais pas. Il va, il vient, il rentre, il sort, tu vois ?

— C’est un Blanc ou un Noir ?

— Un Noir.

— Il vit seul, ici ?

— Oui, juste il rentre avec une boutique-son-cul, le soir. Mais il lui fout des gnons, alors la counasse fout le camp en courant, à poil souvent, on se marre.

Fort de cette description du sieur Benjamin et de ses mœurs, je mets le cap sur ses appartements après avoir enjoint à Marie-Marie de m’attendre dehors.

Pinuche est resté à son hôtel, à espérer des nouvelles des ravisseurs en éclusant du Ricard sec, selon l’usage établi par son taulier (dont le foie fut la plus belle conquête de Ricard !).

Je ne sais pas si tu es de mon avis, mais il n’est pas de vraie surprise, dès lors que celle-ci veut se faire précéder de préséances. Ainsi, la porte 8 ne comportant pas de serrure, je décide d’entrer sans frapper ni crier gare. A quoi bon créer un éventuel climat de qui-vive ?

Je me présente donc chez le dénommé Benjamin comme dans des chiottes non occupées.

La pièce est une sorte de cellule malodorante, chichement meublée d’une presque paillasse, de deux chaises et d’un portemanteau supportant des cintres à habits en fil de fer. Ces cintres s’enorgueillissent de baths costars crèmes, blancs à rayures noires, et bleus à rayures rouges, tu vois ?

Dans une caisse posée verticalement et munie de rayonnages, tu découvres d’époustouflantes chemises dont la plus sobre est décorée de la tour Eiffel sur toute sa superficie.

Personne ne bondit en me voyant entrer, vu que M. Benjamin est rigoureusement absent, et M. Sterny, quant à lui, extrêmement mort d’une ceinture en peau de chameau trop fortement nouée à son cou. Ses lunettes ont chu pendant qu’on le strangulait et il a des coquards, cré vingt gu, comme des poings de boxeur. A part cela, ses lèvres sont plus violacées que les linges fourbis par Maman Bouffarde.

Après m’être incliné, comme il se doit, devant la dépouille mortelle du personnage, je fouille ses fringues. Mais on l’a détroussé avant ma venue, et je ne découvre sur lui qu’un cure-dents ayant déjà curé ainsi qu’une pièce de monnaie dont la faiblesse n’excite pas la cupidité.

L’état de la chambre me conduit à croire que le ménage n’y a été fait que le jour où l’on a inauguré ce palais. Donc, si je veux gagner du temps, il convient de loger le cadavre sous la paillasse, puis, en partant, de déposer un bifton sur le comptoir de la vieille édentée afin de lui donner à croire que Sterny a mis les adjas. Pas besoin de se flanquer la volaille à dos dans l’immédiat, avec déjà tout ce rodéo, non ? Ce qui ne manquera pas de se produire lorsque, ayant découvert le meurtre, la dame parlera de notre visite à messieurs les perdreaux.

* * *

— Vous devriez vous forcer, m’sieur Pinaud, conseille Marie-Marie.

Le Débris branlotte sa moustache calamiteuse au-dessus de son émincé de veau.

— Je n’ai pas le cœur à manger.

— Tâchez d’avoir au moins l’estomac, encourage ma petite camarade.

Elle coule sa main sur mon bras.

— On se croirait à un retour d’enterrement, assure-t-elle. Je voyais pas ainsi la conduite d’une enquête…

Je lui souris et dis, en me tapotant le bulbe :

— Il y a des moments où le boulot s’opère ici.

— La moulinette farceuse ?

— Oui.

Puis j’ajoute, frappé par l’évidence de ma pensée :

— Il est important que tu sois là, ma poule.

— C’est vrai, ça te fait plaisir ?

— Naturellement, et il y a aussi le fait que tu as eu le privilège de connaître une partie des protagonistes de cette bizarroïde affaire.

La v’là qui renfrogne vilain, la poivrette. Son regard, tu dirais deux fléchettes.

— Ah bon, c’est surtout ça qui t’intéresse !

— T’as fini les rouscaillances sempiternelles ? Mince, t’as un caractère qui remplace le vinaigre !

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7

Lequel est petit cousin avec Bernadette Soubirous, ce qui t’explique beaucoup de choses.