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— A propos de quoi ?

— Du revirement de tes ennemis d’ici qui ne cherchent plus à te faire trucider mais simplement partir au plus vite.

— Dis-me.

— Eh bien, je crois que ce qui les retient, c’est que tu aies un peu massacré ton agresseur. Je ne prétends pas qu’ils t’estiment invincible, ce que je pense c’est que ton Jean Mathieu était un flic dissident. Il n’a pas agi pour le compte du gouvernement ivoirien, si bien que la police fait une enquête pour tâcher de savoir ce qui lui est arrivé. Nos petits amis ne veulent pas que tu sois impliqué car tu risquerais, par tes déclarations, de faire rater ce qu’ils mijotent. D’autre part, si on te liquidait à présent, nous autres qui t’entourons serions en mesure de parler du premier attentat et…

— Génial, ma fille !

Elle a une flambée de rose qui grimpe plus haut que ses pommettes.

— Quel chouette couple de détectives on fera, plus tard, non ? Comme dans les feuilletons tévés…

Elle repousse son assiette.

— Qu’est-ce qu’on fiche à table, alors qu’un turbin fou nous attend ?

Non, mais la v’là qui cherche à me faire honte, cette péronnelle ! Un comble ! Tu vas voir qu’elle va m’apprendre mon boulot d’ici pas longtemps.

N’empêche qu’on déhotte, laissant la Pinoche en tête-à-tête avec un chargement de profiteroles.

UN EFFET DU TONNERRE

— Quels sont tes projets, ma chérie ?

— M’enfermer dans ma chambre avec l’annuaire des téléphones, rétorque Marie-Marie.

— Pour ?

— Pour téléphoner à tous les hôtels d’Abidjan et de la région afin de m’assurer que les dames de Chultenmayer ne se trouvent pas dans l’un d’eux. Si elles n’y sont pas, c’est qu’on les a kidnappées et qu’on les garde en otage afin de pouvoir manipuler le vieux.

— A moins qu’elles ne soient descendues chez des amis ?

— Pourquoi elles et pas pépère, en ce cas ?

— Tu te rends compte qu’on tourne en rond ?

Elle hausse les épaules.

— Faut savoir échapper à la force centrifuge, mon ami.

Elle se hisse sur la pointe des pieds et me cloque un baiser dans le cou. Puis, effarouchée par son audace, se précipite vers les ascenseurs.

Juste comme elle a disparu, j’éprouve à nouveau (et au même endroit, c’est curieux) l’impression d’être scruté par-derrière. Je pivote. Oui : on me zyeute bel et bien. Et c’est la ravissante femme de chambre du morninge, celle qui baise français. Elle se trouve comme embusquée au tournant de l’escalier. Elle se réjouit de ma retournance, car son visage s’éclaire, si tu veux me permettre cette image (en négatif) et elle m’adresse un appel péremptoire de la tête d’abord, puis, pour confirmer ce muet message, de l’index et du médius rassemblés en crochet.

Je m’engage donc courageusement dans l’escalier. A cœur vaillant rien d’impossible ! La fille fait demi-tour et grimpe idem devant moi, s’assurant que je lui file bien le train et m’y incitant par de fréquents sourires. Elle longe le couloir pour disparaître par une porte marquée « Service », mais qu’elle ferme incomplètement, n’ayant pas lu Musset, ce afin de m’indiquer qu’elle m’espère au-delà de cet huis.

J’obtempère, drôlement intrigué.

La friponne a déboutonné deux boutons du haut à sa blouse de service. Ses loloches sont en train de jouer la belle (et moi pas loin, du coup, de jouer la bête).

— Tu veux me parler, ma jolie ?

— Oui, je veux. Tu t’intéresses toujours au vieux du 148 ?

— Bien sûr.

— Ça te plairait que je te dise quelque chose de lui ?

— Beaucoup.

Elle trémousse du bustier, et poum ! ce qui doit arriver m’arrive contre : un nichebraque dur comme le poing droit de Carlos Monzon au goût étrange venu d’ailleurs. évadé, ce vilain. Un cabochon violet, de toute beauté, la couronne plus mahousse que mon pouce. Oh, dis donc, pour résister à ce truc, faut avoir des nerfs d’acier et une bite en caramel mou !

— Qu’est-ce que tu me donnes si je te cause de ce que je sais ?

Je file ma main au larfouillet, prêt à l’arrosage. Dans notre civilisation en cours, tu peux pas éviter de semer ta fraîche, comme des grains de riz dans des mariages américains. Par poignées. A tout vent ! Pour faire parler, pour faire taire, pour acheter du pain, du cul, des consciences, du temps et ton salut éternel.

— Non, non, dit-elle, donne-moi pas des sous. Donne-moi plutôt un baiser français.

Est-ce plus économique ? Enfin, puisque c’est son prix. Elle a de grosses et belles lèvres, d’une sensualité délirante. Le seul truc pas affolant c’est le rouge pas rouge dont elle les enduit (en erreur).

Je m’en passerais volontiers. Par contre, ses dents éclatantes feraient la fortune des mecs de chez Colgate, Gibbs ou Fluocaryl.

Je lui biche son Nestor en vadrouille pour mettre plus de liant dans ce périlleux exercice, et j’y vais d’une galoche taillée franche et massive, que même en douze films pornos tu trouveras pas l’identique.

Ce qu’elle est vorace ! Brûlante ! Ardente ! Fougueuse ! Me v’là avec ses jambes enroulées aux miennes. Et ses mains partoutes-à-la-fois. Une muflée feu-d’artificière, mon lapin. La grande bouffée de gueules, du genre à te remplacer les globules rouges par des étincelles !

Quand on disjoncte, le bruit, tu croirais qu’on débouche une boutanche de Dom Pérignon.

— Toi, y faut que tu viens me baiser français ! dit-elle avec des yeux comme deux pansements express.

— J’irai ! promets-je pour parer au plus compressé.

Puis, donnant, donnant, n’est-ce pas, j’ajoute :

— Qu’avais-tu à me dire à propos du vieux ?

— Ah, oui y a un moment, j’suis retournée dans sa chambre pour changer sa corbeille de fruits. Le téléphone a sonné. J’ai répondu. Un monsieur a demandé contre lui. J’ai dit qu’y n’était point là. Alors on m’a dit de lui faire une commission, comme quoi, s’il voulait causer à sa dame, fallait qu’il se trouve dans sa chambre à six heures ce soir exactes. Et puis on a raccroché. Et alors voilà, faudrait que tu me fasses un mot pour laisser sur la table du vieux quand il rentrera, vu que je sais pas écrire complètement, à part mon nom que je fais une croix à la place, et une autre pour mon prénom qui est Murielle. Et que je peux pas aller demander ça à la réception puisque nous autres on n’a pas le droit de répondre au téléphone des clients, tu comprends ?

Elle sort un petit bloc-notes à en-tête de l’hôtel ainsi qu’un crayon pour que je lui rédige le message.

Tu me fixerais un pinceau au braque, je pourrais te l’écrire contre un mur, cré bon gu, tant tellement elle m’a foutu dans un état, la gueuse.

— Tu sais, me dit-elle, en guise de merci, je finis mon service dans dix minutes. Si tu veux me rejoindre chez moi, j’ai de l’huile de palme et des feuilles de kakikoku pour baiser français. Et personne qui vient me voir aujourd’hui. Et ce sera très très bien comme à Paris.

* * *

Ce soir, six heures !

Bon, j’ai du temps devant moi. Et même de côté. En attendant, c’est quoi, la vie ? Cette trique monstre dont je ne parviens pas à me défaire et qui me permettrait de tenir droit quand bien même mon cerveau serait défaillant ! Je me fais l’effet d’un trépied de photographe, ma pomme ! Mais qu’a-t-elle donc cette petite friponne pour, d’un baiser, d’un seul, me tendre Nestor comme la corde d’un arc ?

J’efforce de songer à l’affaire. Ce Sterny, assassiné par M. Benjamin, probably. Pour quelle raison. ? Et cette voiture officielle qui sert à kidnapper la Pinaudière et à véhiculer Chultenmayer. Et ce flic, le Jean Mathieu (qui n’a plus qu’une dent, mais de taille) et qui allait me planter comme un reblochon mûr, merde, ce sale con ! Sans préavis ni cérémonie. A la fulgurante !