— Vous n’êtes pas lesbienne ? demande poliment Félix.
— Absolument pas.
— Alors une belle queue d’homme vous concerne, ma chère. Toutes les femmes orthodoxes de mœurs sont concernées par la queue. Je vous prie de considérer la mienne : tout comme la tête de Danton, elle en vaut la peine ! Rassurez-vous, je ne cherche pas à attenter à votre pudeur, simplement j’attends de lire dans vos yeux la surprise et, qui sait, l’admiration, que d’aucunes veulent bien accorder au délit de mon corps. Attendez que je l’extraye… J’en suis resté à la braguette traditionnelle : le boutonnage. Certes, il arrive qu’on sème ses boutons, mais cela est préférable à une fermeture éclair coincée, ou qui vous meurtrit quand on met trop de hâte à se reculotter. Il m’est arrivé de me déchirer le gland, madame, après des émissions interrompues brutalement. Et un gland déchiré, croyez-moi, cela n’est pas commode à promener dans une culotte. Bougre ! viendra-t-elle, la gueuse ? Ah ! un sexe surdimensionné n’est pas d’un maniement aisé, croyez. Après soixante-cinq ans de pratique, je lutte encore pour le sortir de mon pantalon, comme un pêcheur de truite pour arracher du ruisseau une arc-en-ciel de trois livres quand il est monté trop fin. Notez que dans mon cas c’est juste le contraire : je suis monté trop gros. Nous y voici presque : ça y est, je le tiens. Que pensez-vous de la chose, chère amie ? Convenez qu’elle est belle. Je ne veux pas vous contraindre à flagorner, grand Dieu non ; ce que j’attends de vous, c’est une réaction spontanée, franche et massive, comme disait l’autre grande chose de jadis. Alors, qu’en dites-vous ? Là, entre nous ?
— Effarant ! balbutie la personne.
— N’est-ce pas ? Et encore vous la voyez en position de modestie ; songez que lorsqu’elle caracole, son volume se triple, pour le moins. Êtes-vous curieuse d’un tel spectacle, chère dame ? En ce cas faites-moi l’honneur de prendre ma queue à deux mains et de lui prodiguer quelques mouvements de va-et-vient propres à l’amener à bonne composition.
— Mais, monsieur !
— Non, pas de mais entre nous.
— Je suis mariée, monsieur !
— Errare humanum est, ma pauvre amie.
— Comprenez-moi : j’aime mon mari !
— Dieu préserve cet amour, s’écrie bien fort, mais avec pas mal d’ironie autour, le brave Félix. Mais que viennent faire vos amours conjugales avec mon sexe-phénomène, madame ? Et en quoi le spectacle du cirque Barnum serait-il contre-indiqué à un croyant ? Si je vous prie de faire dilater ma queue par des manœuvres au demeurant fort anodines, ce n’est pas pour porter atteinte au prestige de votre époux, mais pour imprimer solidement dans votre souvenir une image qui, aux dires de beaucoup, mérite d’y survivre.
— Oh, monsieur…
— Allons, madame, le présent commande, ne le faites pas déraper avec des idées reçues, mal reçues et, de ce fait, mal employées. Aidez à mon triomphe, madame. Les gestes que je vous suggère ne lèsent en rien vos passions maritales ; bien au contraire.
— Si je… si je vous…
— Branle, n’ayez non plus peur des mots, ma bonne, ils sont aussi peu redoutables que mon sexe. Eh bien, si vous me branlez ?
— Accepterez-vous de participer à nos expériences ?
— La chose sera à considérer, chère amie. Faites d’abord et nous verrons ensuite. Nos décisions sont des papillons titubant d’incertitude, qui se posent là, puis ailleurs, au gré des souffles d’air…
La dame, convaincue, ou du moins vaincue, souscrit à la requête de Félix, cela se constate grâce aux bracelets Cartier à trois anneaux qu’elle porte.
— L’effet ne se fait pas attendre, n’est-ce pas, douce dame ? fait notre ami d’une voix pâlissante. Ah, vous avez un sens tactile admirablement développé. Poursuivez… Poursuivez sans rien changer à ce rythme. Magnifique ! Encore… Oui ! Vouiii !
Un léger temps et le courtois Félix s’écrie à en lézarder plus profondément l’immeuble :
— Et maintenant suce, salope !
UN MONSIEUR QUI NE SE VEUT PAS DE BIEN
Béru a le regard lourd et cerné d’un basset anglais hydrophobe, chargé d’aller ramasser un canard foudroyé au milieu d’un étang dont l’eau avoisinerait la température zéro.
Tu vois ?
Il m’accable de son mécontentement :
— Av’c tézigue, on peut aller tirer sa crampe, merci bien. Je m’éburne en quatrième vitesse, pas te faire poireauter, et quand j’reviens : personne ! M’sieur a mis les adjas… Moi, si tu voudras bien t’rappeler à ton bon souv’nir, combien d’fois j’ai fait le pied d’gruau pendant que tu j’tais ta gourmette chez une frangine ? Hmm ?
Au lieu de lui répondre, j’appelle Mathias par l’interphone.
La môme Claudette, notre valeureuse secrétaire à tout faire (elle est du bois dont on fait les pipes), promène ses flotteurs dans un décolleté tellement vertigineux qu’on voit les poils de son pubis. Elle me tend une feuille de bloc :
— Ce type a appelé plusieurs fois, et il va resonner dans les dix minutes qui viennent.
Je lis : « Aldebert Mudas ».
— C’est à quel propos ?
— Il n’a pas précisé. Il n’avait que deux mots à la bouche : « confidentiel » et « urgent ».
Mathias apparaît et c’est comme un lever de soleil en montagne, aussi féerique tant tellement qu’il flamboie de la crinière, le Rouquemoute !
— Besoin de moi, monsieur le commissaire ?
— Dis voir, toi qui n’ignores rien du monde scientifique, as-tu entendu parler du professeur Chultenmayer ?
Il fronce ses sourcils, lesquels sont un peu moins roux que ses crins et répète :
— Chultenmayer ?
J’attends que son travail de recherche s’opère sous son tas de broussailles incandescentes. Mais il branle tu sais quoi ? Le chef ! Un type comme lui, devant un homme comme moi ! Dégueulasse, non ?
— Je n’ai jamais entendu ce nom, monsieur le commissaire.
Avec le Rouillé, y a pas à y revenir. Quand il sait, il sait, et quand il sait pas, il sait pas.
— Tu veux bien te mettre au parfum ? Cet éminent personnage habite 88 impasse d’Eden, du côté de Vaugirard.
— D’accord.
— Il viendrait d’inventer un certain rayon « Ubli » qui neutraliserait la mémoire. Ça me paraît un peu vasouillard, non ?
— Non, pourquoi ? s’étonne Mathias. Tout est possible.
C’est vrai, ça : tout est possible. On a trop tendance à l’oublier. On se fie à des limites, mais les limites reculent sans cesse…
Mon ronfleur retentit et le petit voyant vert qui égaie l’appareil téléphonique se met à palpiter.
— Tu veux qu’j’ répondrai ? obligeance Béru.
— Pas la peine.
La voix de la Claudette annonce, laconique :
— Ce M. Mudas…
— Banco, je prends.
Et voilà que j’ai une respiration haletante dans la trompe d’Eustache droite.
— Commissaire San-Antonio ?
— Oui ?
— Vos fenêtres donnent bien sur les Champs-Élysées, d’après ce qu’il m’a semblé ?
— Et alors ?
— Vous allez vous mettre à votre fenêtre et attendre quelques minutes, je me trouve au bureau de poste, en face. Le temps de raccrocher et de traverser, j’arrive sur votre trottoir.
— Mais…
— Il y a un kiosque à journaux, presque en face de votre agence, n’est-ce pas ?
— Écoutez, monsieur Mudas…
— Non : vous, vous m’écoutez ! Je me placerai à côté de ce kiosque. Je porte un complet gris très clair et une chemise bleue à col ouvert. Ça se passera là, regardez bien, surtout ! Donnez des instructions pour qu’on ne vous dérange sous aucun prétexte, même si un coup de fil urgent survenait. Vous m’avez bien compris ?