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Il y a des moments où la barrière de la langue n'existe plus…

Le Black et le Français hésitent un instant ; une troisième détonation les décide. Ils empoignent Eyaz. essaient de l'obliger à les suivre. Mais il se défend, se débat, refuse.

Les secondes passent, la mort approche.

Alors, Sarhaan et Rémy prennent la fuite ; aussi vite que possible, ils longent l'étang. Avec le bruit des sabots martelant le sol.

Avec la culpabilité qui les étouffe, les ralentit.

Avec quelques balles qui sifflent près de leurs oreilles mais ne les atteindront pas.

Normal, le seul but de ces tirs était de les obliger à renoncer à Hamzat.

Hamzat qui, toujours à terre, les suit à travers ses larmes. Il ne pleure pas parce qu'il est condamné ; mais parce que son frère est toujours là, près de lui. Rempart inutile contre une mort annoncée.

Arrivés de l'autre côté de la mare, les deux miraculés se retournent. Les cavaliers ne les poursuivent pas. Ils encerclent les jeunes Tchétchènes. Hamzat s'est relevé dans un ultime effort de dignité.

Mourir debout.

Deux types s'emparent d'Eyaz et le tiennent éloigné de son frère.

C'est alors que le Lord fait taire les chiens et s'adresse aux rescapés, d'une voix qui ferait vaciller les Enfers.

— On s'occupera de vous plus tard ! Ce serait trop facile de vous tuer maintenant ! Trop rapide ! Profitez donc du spectacle !

Eyaz essaie de se jeter à la rescousse de son frère, mais les deux larbins l'en empêchent. Dans sa langue maternelle, il vocifère des insultes, des menaces. Bien dérisoires.

Le châtelain lui sourit. Son fameux et abominable sourire.

— Puisque tu as voulu rester toi aussi, tu vas être aux premières loges…

Sarhaan et Rémy ne songent même plus à s'éloigner, ayant compris qu'ils auront le temps de fuir après.

Ayant compris que ce sera l'un après l'autre et pas tous en même temps.

Les fameuses règles du jeu…

Ils assistent alors à une scène qui leur glace le sang. Les chiens se remettent à gueuler en un lugubre concerto.

Hamzat recule, doucement. Balakirev, arme au poing, s'avance vers lui.

— On va voir si tu sais nager ! ricane-t-il dans sa langue maternelle.

Les yeux exorbités, Hamzat continue de boiter à reculons. Il s'écroule à nouveau.

— Allez, debout ! ordonne le Lord. Je croyais pourtant que les gens de ta race étaient de vaillants guerriers !

Le chasseur s'approche de sa proie terrorisée qui se remet tant bien que mal sur ses deux jambes. Un pas après l'autre, Hamzat s'enfonce dans l'eau limoneuse.

Le bruit de la détonation déchire le ciel, les tympans. Un des étalons se cabre, envoyant son cavalier au tapis.

Hamzat pousse un hurlement. Touché à l'autre jambe, il s'affaisse. Il essaie de ne pas sombrer, peu à peu aspiré par le néant. Par la vase. Il boit la tasse à plusieurs reprises, appelle au secours.

Eyaz tente à nouveau de s'élancer en direction de l'étang, mais les hommes de main du Lord le retiennent énergiquement. Il devient si violent qu'ils sont forcés de le plaquer au sol.

À deux cents mètres de là, Rémy se met à trembler. De la tête aux pieds.

Sarhaan se bouche les oreilles.

Obligés d'endurer…

Les cris de leur ami qui se noie, encore.

Les cris de son propre frère.

Sa lente agonie.

Ça n'en finira donc jamais…

Des secondes interminables, des minutes peut-être.

Enfin, Balakirev s'approche. Avec le pied, il appuie sur la tête du jeune homme.

Le maintient sous l'eau jusqu'à ce qu'il ne bouge plus.

L'expédiant définitivement dans les ténèbres.

Chapitre 6

11 h 00

Elle est là, elle l'attend.

Sa jolie petite voiture grise, sagement rangée au bord de la piste en terre. Diane s'arrête.

Plus que quelques dizaines de mètres à franchir pour rejoindre la civilisation.

Plus que quelques foulées et pourtant…

La peur lui vrille les entrailles, le doute lui cisaille les mollets.

Intuition féminine, pressentiment ?

Tapie, elle observe, écoute. Hume l'air ambiant, tel l'animal aux abois.

Aucun mouvement, aucun bruit, à part quelques chants d'oiseaux, le souffle du vent ou la ritournelle lointaine d'une rivière.

Malgré tout, ses jambes refusent de la conduire plus avant.

Allez ma grande, n'aie pas peur, vas-y… Fonce et prends le volant !

Elle serre la clef dans sa main. Ose un pas, un autre… Elle s'immobilise encore, planquée derrière un arbre. Elle récupère son Nikon dans le sac, règle le zoom au maximum. Elle balaie le paysage, décortique la végétation alentour. Son cœur résonne jusque dans son crâne.

Rien à signaler. Tout semble calme, silencieux. Paisible. Trop, peut-être ?

C'est alors qu'elle voit frissonner légèrement un buisson, à vingt mètres du véhicule. Elle se fixe sur cet endroit précis et devine, au travers des feuillages, une masse sombre allongée sur le sol. Hallucination ? Mirage né de la frayeur ?

Un éclair déchire sa tête, ses mains se mettent à trembler.

Marche arrière.

Elle recule, doucement. Tourne la tête à droite, à gauche.

Ils sont là. Elle le sent, le sait. L'éprouve jusque dans son ventre. Là, autour. En embuscade.

Elle pivote sur elle-même, s'élance à toute vitesse dans l'autre sens.

Détonation. Choc, douleur.

Elle chute, se relève instantanément. Reprend sa fuite éperdue au milieu des arbres, des broussailles, des fougères. Ils la suivent, elle les entend. Le bruit de leurs pas. Comme une légion de démons jetée à sa poursuite.

Mais aucun obstacle ne l'arrête, aucune blessure ne la ralentit.

Deuxième coup de feu, qui la frôle ; elle hurle. La terreur lui donne des ailes. Elle s'envole…

*

Rémy pleure. Longtemps que ça ne lui était pas arrivé. Une éternité. Même au fond de l'abîme, il n'a pas chialé.

Presque pas.

Il marche, juste derrière l'immense Sarhaan. Juste devant Eyaz, qui semble déjà mort. Qui s'est noyé en même temps que son jeune frère. Les chasseurs ne l'ont pas assassiné, bien trop cruels pour ça. Ils l'ont laissé rejoindre les deux autres.

Surtout, ne pas oublier les règles du jeu.

Chacun son tour.

Rémy marche, sans savoir pourquoi.

— J'veux plus continuer, annonce-t-il soudain.

Le Black se retourne.

— Tu veux les laisser te tuer ?

— De toute façon, on va crever… Alors, à quoi bon courir ? Pour les amuser ? Je reste là, je les attends… Je les emmerde !!

Il s'effondre contre un chêne majestueux, étend ses jambes, sèche ses larmes.

Sarhaan, revenu sur ses pas, s'installe à ses côtés.

— Je vais attendre avec toi, dans ce cas.

Rémy fronce les sourcils, surpris.

— Tu fais comme tu veux, mon vieux. Je te force pas.

— Je ne te laisserai pas, s'entête Sarhaan.

Eyaz s'est arrêté, lui aussi. Assis à quelques mètres de là, il cache son visage entre ses mains, profitant de la pause pour laisser libre cours à son chagrin.

— Vous avez qu'à continuer, vous trouverez peut-être la sortie, murmure encore Rémy.

— Pas sans toi, non.

— Moi, je peux plus… Je peux plus…

— Non, tu ne veux plus, c'est pas pareil.

Rémy secoue la tête.