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— Ils vont nous faire cavaler toute la journée, jusqu'à l'épuisement. Avant de nous abattre comme des chiens… Comme ils ont tué… Hamzat. Putain, j'entends encore ses cris… ! Je refuse de continuer…

— Je comprends, assure Sarhaan. Mais il y a une autre solution…

— Ah ouais ? Laquelle ?

— Se battre.

Eyaz relève la tête, essuie ses yeux. Comme s'il avait saisi le sens de ce mot.

— Se battre ? répète Rémy. Mais avec quoi ? Ils ont des chevaux, des fusils, des radios ! Des chiens ! Des bagnoles, sans doute ! Et nous, on a quoi ? Hein ?

— La haine…

— Non, ce sont eux qui ont la haine ! Eux qui nous détestent au point de nous massacrer ! Eux qui nous considèrent comme des sous-hommes, pire que des animaux !

— Alors, on a l'instinct de survie. On peut lutter. Si on y passe, au moins on aura tout essayé…

— J'ai plus de forces, déjà ! J'ai l'impression qu'un rouleau compresseur m'est passé dessus !

— Moi aussi, je suis fatigué. Mais je sais qu'on peut y arriver. Si on reste ensemble. Regarde…

Sarhaan a ramassé une pierre qu'il tient dans sa main gauche.

— Tu vois, ça c'est une arme !

— Ça ? ricane Rémy. Tu te fous de ma gueule ou quoi ? Tu comptes faire quoi avec ce caillou ?!

— Y a plein de choses qui peuvent devenir des armes… Ce caillou, comme tu dis, si je te le lance en pleine tête, tu vas voir si c'est pas une arme !

— Attends, tu veux dire que t'as l'intention de leur balancer des pierres ? Tu te crois en Palestine ou quoi ?! Ou alors, t'es devenu barge…

— Non, man, je ne suis pas fou… Je dis qu'on doit se battre. Qu'on doit tout tenter. Qu'on doit résister. Pas se faire tirer comme des lapins !

Résister. Rémy ferme les yeux, appuie son crâne contre l'écorce rugueuse de l'arbre trapu. Les cris d'Hamzat qui se noie, encore. Ces hurlements, ces images insoutenables qui le poursuivront jusqu'à la fin de sa vie.

Mais sa vie est sur le point de s'achever, de toute façon.

— Il ne faut pas abandonner… Allez debout, homme blanc ! On va pas se laisser exterminer sans réagir ! Eyaz n'abandonne pas, lui. Pourtant, c'est son frère qu'ils ont tué.

Sarhaan est sur ses jambes, il lui tend la main. Rémy accepte son aide.

— Alors, on fait quoi ? soupire-t-il.

— On va changer les règles du jeu…

*

Un magnifique plongeon. Un saut de l'ange.

Diane est étonnée d'être encore en vie. Pourtant, elle respire. Elle voit, elle entend. Check-up normal.

Ou presque.

Elle vient d'échapper au courant violent en s'agrippant à une branche de saule puis à un rocher Elle s'échoue sur la rive. Allongée sur le dos, elle reprend son souffle.

Le froid lui brûle la peau.

Vivante. Je suis vivante. C'est pas croyable…

Elle s'assoit dos à un rocher puis regarde l'impact dans sa chair. La balle s'est logée dans son bras droit, un peu en dessous du coude. Elle enlève son sac de ses épaules meurtries. A l'intérieur, une trousse de secours et le reste de ses affaires dans une pochette plastique étanche. Elle fait toujours ça en cas d'orage. Brillante idée ! Sa prévoyance maladive lui sauvera peut-être la vie.

Elle vire sa polaire et son tee-shirt trempés, grelottant de plus belle. Elle enfile un sweat de rechange, un coupe-vent par-dessus, puis apporte les premiers soins à sa blessure ; pas facile, d'une seule main… Après avoir désinfecté le pourtour de la plaie, elle la recouvre d'une bande.

Pas joli à voir.

Ne pas tourner de l'œil, pas maintenant.

Dans la bataille, elle a paumé son fidèle Nikon. Mais cela n'a plus guère d'importance…

L'eau glacée a un peu anesthésié la douleur ; elle sait toutefois que ça ne durera pas.

Elle sort son petit Thermos, s'offre quelques gorgées de café chaud. Côté bouffe, il ne lui reste pas grand-chose de consommable ; deux barres de céréales protégées dans leur étui d'aluminium, une gourde de boisson énergétique. Le sandwich qu'elle s'était confectionné pour le déjeuner ressemble désormais à une éponge aromatisée au jambon !

Quant à son téléphone portable, il est complètement HS.

Réfléchis, ma vieille… Réfléchis, bon Dieu !

Ils sont restés en haut, n'ont pas eu le cran de sauter dans le vide. De la suivre dans la rivière qui ressemble ici à un torrent en furie.

Elle bénéficie donc d'un sursis.

Inutile de repartir vers la voiture : ils auront sans aucun doute crevé les pneus. En tout cas, c'est ce qu'elle aurait fait à leur place. Ou ils auront laissé un des leurs en planque juste à côté.

Oublier la caisse. Trouver une autre solution.

Elle reprend la carte, devenue difficilement lisible. Comment rejoindre un village, une ferme, un téléphone ? Comment retrouver la civilisation ? Comment s'extirper de ce piège ?

Elle essaie déjà de repérer l'endroit où elle se trouve, tout en réprimant ses claquements de dents. La rivière est là, la voiture ici… C'est approximatif, mais ça suffira. Longer encore le lit du cours d'eau, puis remonter à droite pour regagner un sentier. De là, elle pourra suivre un GR qui l'emmènera sur une petite route conduisant à un hameau. Peut-être croisera-t-elle des gens qui pourront la secourir ?

Peut-être croisera-t-elle les tueurs…

Ici, en France, au XXIe siècle, elle ne peut pas parcourir autant de kilomètres sans rencontrer une maison, un automobiliste, âme qui vive ! Impossible…

Elle ausculte encore la carte.

Un no man's land… Voilà où elle se trouve.

*

12 h 00

— Passez-vous une bonne journée, mes amis ? interroge le Lord en souriant.

Ils acquiescent en chœur, joyeux, ravis. Déjà un peu ivres.

Un safari en Sologne, made in France, avec tout le raffinement qui a forgé la réputation de cette belle nation !

Ils se sont arrêtés pour une pause, savourent leur déjeuner servi par deux larbins en 4x4. Tandis que les chevaux se désaltèrent un peu plus loin et que les chiens font une sieste bien méritée dans le pick-up.

Le Lord fume sa cigarette, en matant la seule femme du groupe. Une première ! D'habitude, il n'a que des clients masculins. Sauf une fois, une épouse qui a accompagné son mari, mais n'a fait que regarder.

Aujourd'hui, l'Autrichienne est là pour participer.

Pour assassiner.

Pour entacher de sang humain sur ses mains délicates, parfaitement manucurées.

Elle est plutôt pas mal de sa personne, attirante. Cheveux clairs, yeux verts, entre trente-cinq et quarante ans.

Il a hâte de la voir en action. Si toutefois elle ne se dégonfle pas au dernier moment ; car avec les gonzesses, il faut s'attendre à tout ! Il considère que la chasse est une affaire d'hommes. Mais elle a payé la somme qu'il fallait, il n'avait aucune raison de lui refuser l'entrée de sa confrérie. Apparemment, c'est une adepte de la vénerie qu'elle pratique régulièrement. Elle monte d'ailleurs admirablement à cheval.

Il essaie d'engager la conversation, en anglais ; il ne parle pas un mot d'allemand. Mais la belle se débrouille plutôt bien en français. Le courant passe, elle affirme vivre une extraordinaire journée… Il se met à l'imaginer sans ses vêtements, ça lui file une bonne trique. Cette nuit, peut-être, il la mettra dans son pieu.

— Et si on ne les trouve pas avant ce soir ? demande-t-elle.

— Ça m'étonnerait ! répond le Lord avec son éternel sourire. Mais si ça arrive, vous aurez droit à une deuxième chance demain !

— Cela s'est-il déjà passé ? Qu'ils vous échappent ?