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Elle a alors commencé à s'ouvrir prudemment aux autres. A sortir le bout de son nez, à tenter quelques incursions parmi les autres terriens de son espèce. En restant sur ses gardes, toutefois.

Méfiante, mesurée.

Elle s'est aperçue que les hommes n'étaient pas indifférents à son charme ou ses charmes. Mais aucun prétendant qui soit à la hauteur de ses espérances. Juste quelques courants d'air, chauds ou froids.

Pourtant, après avoir trouvé son métier, il lui fallait inventer une vie à mettre autour.

Trouver l'amour. Comme dans les livres, les films.

Trouver l'élu.

Celui qui aurait le droit d'envahir son espace vital, son intimité.

Celui dans les bras duquel elle se sentirait belle, enfin.

Celui qui aurait le droit de la photographier. Un inoubliable jour de juin, elle l'a rencontré. Inoubliable, oui.

Elle est alors sortie de sa chrysalide, dépliant complètement ses ailes, pour devenir une femme comblée, radieuse. Une femme n'ayant plus peur d'exister.

Il l'a plaquée au bout de cinq ans. Sans qu'elle comprenne jamais pourquoi.

La terre s'est ouverte sous ses pieds, elle a entamé une chute sans fin. Elle est redevenue laide, maladroite. Transparente.

Sauf qu'aujourd'hui, elle aimerait l'être vraiment, transparente.

Elle a eu envie de mourir quand il s'est tiré comme un voleur. Envie de s'ouvrir les veines, de se jeter du haut d'un pont, de se pendre, d'avaler le contenu de la pharmacie. C'était bien la seule envie qu'il lui restait, d'ailleurs…

Sauf qu'aujourd'hui, elle a envie de vivre. De survivre. À moins que…

Elle est obligée de se poser la question. Obligée de se demander si elle ira jusqu'au bout. Si elle n'abandonnera pas la partie avant la fin. Si elle ne va pas ralentir, si elle va vraiment atteindre l'épuisement pour échapper à ses poursuivants.

Obligée de se demander si le vide ne l'attire plus…

Chapitre 8

12 h 30

Le palpitant de Rémy entre en zone rouge. Il a changé de rôle. De gibier, le voilà devenu prédateur. Belle promotion.

Là, il aimerait surtout devenir invisible, microscopique.

Un virus, un microbe, une bactérie mortelle. Capable de tous les contaminer, les condamner, les exterminer lentement. Capable de leur liquéfier les organes, de leur empoisonner le sang, de les rendre fous.

— C'est lui qui a tué Hamzat, chuchote Sarhaan.

— J'sais pas, ils étaient loin…

— Moi, j'en suis sûr.

Eyaz confirme, d'un hochement de tête. Puis il fixe à nouveau la cible. Avec un regard de tueur.

Anatoli Balakirev s'est écarté du groupe quelques instants. Tel un clébard, il tourne en rond, se cherchant un coin peinard pour soulager une envie pressante.

Les trois fugitifs ont réussi à s'approcher discrètement de leurs poursuivants. Ils se doutaient qu'ils allaient casser la graine, ont décidé d'en profiter.

De risquer le tout pour le tout.

L'endroit est idéal, leur permettant de se fondre dans une végétation particulièrement dense qui couvrira leur fuite. Un endroit où les chevaux ne pourront s'aventurer.

Sarhaan et Eyaz préparent leur attaque. Leurs armes peuvent sembler dérisoires ; chacun muni d'un caillou de la taille d'un œuf de poule enrobé dans un vieux morceau de tissu trouvé accroché à une branche.

Ils ajustent leur tir, Rémy donne le top départ.

Le Russe, touché en pleine tempe puis en plein front, pousse un léger miaulement qui passe inaperçu aux oreilles du reste de la troupe. Il titube quelques secondes avant de s'écrouler de tout son long. Eyaz est déjà penché sur lui, en train de lui faire les poches : couteau suisse, portefeuille, paquet de clopes.

Et le plus important : son Sphinx automatique avec cinq balles dans le chargeur.

Un des chiens se met soudain à aboyer, les agresseurs s'évaporent à toute vitesse. Mais Eyaz prend le temps de cracher sur le corps inanimé gisant à ses pieds. Il aimerait lui tirer une balle entre les deux yeux, mais inutile de gaspiller les précieuses munitions. Il est déjà hors d'état de nuire. Un bon coup de talon en pleine face suffira à achever le travail. Un deuxième au cas où… Lui briser la nuque ? L'égorger avec le couteau miniature ? Plus facile à dire qu'à faire… Il abandonne l'idée, prétextant le manque de temps, puis rattrape ses deux compagnons, dont Rémy qui jubile :

On l'a eu, ce salaud ! On l'a eu…

Un de moins !

Eyaz sourit. Tu es vengé, mon frère.

*

Elle a mal aux pieds, aux jambes. Mais surtout au bras.

Elle a froid, malgré le rythme soutenu de son pèlerinage forcé sur les chemins de Lozère.

Les paysages n'ont plus rien de grandiose à ses yeux fatigués. Ils sont devenus hostiles, un point c'est tout.

Diane n'a croisé personne.

Pourtant, elle n'abandonne pas, posant un pied devant l'autre, comme un robot.

Elle n'a pas envie de mourir, pas envie de tomber dans les griffes de ses persécuteurs. Dès qu'elle ralentit, elle songe à ce qu'ils pourraient lui infliger. Ces ordures sont capables de toutes les horreurs, sans doute. De la rouer de coups, l'enterrer vivante, la précipiter du haut d'une falaise. Et pourquoi pas de s'amuser un peu avec elle avant de la tuer ?

Rien que d'y penser la pousse à hâter le pas.

Elle a mangé une barre de céréales, a vidé jusqu'à la dernière goutte de boisson énergétique, remplacée par de l'eau de source.

Si elle doit passer la nuit dehors, elle crèvera de froid. Elle a perdu du sang, est affaiblie ; elle n'y survivrait pas, sans doute.

Alors, hors de question de se terrer dans un coin ; il faut avancer.

Elle sera arrivée au hameau le plus proche avant le crépuscule.

Ce soir, elle sera sauvée. Ce soir, elle dormira à l'hosto et ses poursuivants en cellule.

Elle se répète ce refrain inlassablement, pour s'injecter de la force en intramusculaire. Et elle pense à lui.

Elle n'a jamais cessé de penser à lui, de toute manière.

*

Le Lord ne sourit plus. Perdre un de ses clients ne figurait pas au programme des réjouissances.

Il avait pourtant interdit à quiconque de s'écarter du groupe. Se faire piquer son flingue, quel abruti !

Heureusement, ce gros débile de Balakirev n'est pas mort. Mais salement amoché, tout de même. Ses larbins l'ont foutu dans le 4x4 avec ordre de le conduire aux urgences. Accident de chasse sera la cause officielle de son état. Il est tombé de cheval, sa tête a violemment heurté un rocher, son pied est resté coincé dans l'étrier… Le temps que les autorités débarquent pour vérifier, le terrain sera nettoyé.

Les trois fuyards ne perdent rien pour attendre. S'ils croient qu'ils vont le narguer encore longtemps !

Il s'adresse à ses invités, les harangue d'un ton un peu théâtral. On va choper ces enfoirés. Et on va les exterminer. Vous êtes là pour ça, non ? Vous avez payé assez cher pour ça, non ?

Finalement, ce regrettable incident confère un intérêt supplémentaire à la balade. Les veneurs ne semblent pas contrariés par ce qui s'est passé ; au contraire, la battue devient dangereuse, le gibier se rebelle. Il est armé.

Ça les excite.

Ce n'est plus une simple boucherie. Ça devient une vraie chasse où ils ont l'impression de mettre leur vie en péril.

Le Lord remonte en selle, imité par ses troupes.

Il ne s'est pas trompé en choisissant ses proies ! Il savait que ces mecs-là lui donneraient du fil à retordre. Qu'ils feraient durer le plaisir.