Chapitre 11
14 h 00
— Putain, j'ai une de ces fringales ! bougonne Rémy.
— Moi aussi ! avoue Sarhaan en écho.
Eyaz lui, n'a pas faim. Indigestion de chagrin, sans doute.
— On peut pas se trouver un truc à manger ? continue le Malien.
— Quoi ? Tu veux bouffer des racines ? L'écorce des arbres ? Tu veux qu'on descende un cerf avec le flingue et qu'on fasse un méchoui ?!
Sarhaan rigole. Il arrive encore à rire, tandis que les deux autres n'en ont plus la force.
— On pourrait peut-être manger une plante, suggère-t-il. Tu connais pas les plantes comestibles ?
— Non, mon vieux ! Je suis pas horticulteur ! On pourrait trouver des champignons, à la rigueur… Mais bon, je les connais pas non plus… Si on croque une amanite, on est mal !
Il se prend à rêver d'une omelette aux cèpes, en salive abondamment.
Il a l'habitude de crever la dalle. Sauf que d'ordinaire, il ne court pas le marathon dans la capitale ! Cavaler, ça creuse.
Si au moins ils trouvaient de l'eau potable. Ils ont bu dans la dernière mare qu'ils ont croisée. Drôle de goût… un goût de vase. Un goût de chiottes.
Dégueulasse mais mieux que rien.
Soudain, la brise légère leur chuchote un bruit familier. Celui des chiens qui hurlent.
Ils ne sont jamais très loin.
Ils ne sont jamais à l'abri.
Sauf que maintenant, ils sont armés eux aussi.
Un flingue pour trois. Cinq balles pour trois vies.
C'est mince, mais ça les réconforte un peu.
Et puis il y a l'amitié qui se noue entre eux. Ils ne se connaissent pas, pourtant. Mais les circonstances accélèrent les choses.
Devenir frères d'armes, ça tisse des liens. Lutter contre un ennemi commun, ça gomme les différences.
Cependant, Rémy aimerait avoir le pistolet à sa ceinture plutôt que de le savoir porté par Eyaz. Le lui arracher de force ? Il y a songé mais n'est pas passé à l'acte. Il y songe encore d'ailleurs… Ça le rassurerait de sentir ce morceau de métal contre sa peau. Ça lui filerait du courage. Lui ferait peut-être oublier un peu la peur, la faim, la soif. La fatigue, la douleur.
Le pire, ce sont ses pieds, deux monstrueuses ampoules.
Soudain, il a honte de s'apitoyer ainsi sur son sort.
Soudain, il songe à Hamzat, au fond de l'étang.
Lui, au moins, n'a plus mal. Ni faim, ni soif… ni peur.
Son rythme a changé. Elle a beau essayer, Diane ne parvient plus à accélérer.
Néanmoins, elle arrive encore à avancer, se surprenant elle-même.
Ce fameux instinct de survie qui permet d'aller bien au-delà des limites imposées par le corps.
Elle ne marche plus avec ses jambes ; mais avec sa tête, ses tripes, ses nerfs. Avec son espoir et sa peur.
Il y a bien un moment où elle va s'écrouler. Renoncer, tomber à genoux…
Mais cet instant n'est pas encore là. Elle se bénit de n'avoir jamais négligé son entraînement sportif. D'avoir toujours pratiqué jogging, marche, natation.
Sinon, elle serait morte, déjà.
Sinon, ces salauds auraient gagné.
Et eux, jusqu'où tiendront-ils ?…
Qui sera le plus endurant ? Eux ou moi ?
Elle arrive brusquement à une intersection. Elle s'arrête, sent immédiatement la douleur enfler dans ses jambes, comme un poison remontant doucement jusque dans son cœur. Surtout ne pas s'asseoir.
Elle consulte la carte ; ces deux sentiers mènent au même endroit. Vers la seule route, le seul hameau. Mais quel est l'itinéraire le plus court, le plus facile ?
Celui de droite, apparemment. Même si les deux promettent une importante dénivelée.
Même si le plus dur reste à faire…
— Vous voyez ce que je vois ? murmure Rémy. Ils s'arrêtent, clignent des yeux. Ils avaient bien entendu ce merveilleux gazouillis de l'eau fraîche, mais pensaient à un mirage sonore. Pourtant, c'est bien une source captée, au cœur d'un charmant écrin de verdure et de mousse.
— Génial ! dit Sarhaan.
Ils se précipitent vers l'eau bénite, mais Eyaz les retient. Il déblatère quelques mots en anglais, Rémi fronce les sourcils.
— Il dit que c'est dangereux, traduit Sarhaan. Que c'est peut-être un piège…
— Un piège ? C'est juste une fontaine, putain ! Vous êtes paranos, les mecs ! Faut profiter de l'aubaine, parce que les fumiers sont pas loin derrière !
Rémy prend la tête du cortège, après avoir tout de même scruté les parages d'un œil attentif. Il s'approche de l'abreuvoir en pierre, alors que la végétation lui monte jusqu'aux genoux.
Dommage qu'ils n'aient pas pensé à installer une table, des chaises et un distributeur de ces saloperies bien caloriques. Ou une baraque à frites.
Plus que deux pas et il pourra enfin se désaltérer à une eau pure, limpide, féerique.
Il sent quelque chose de dur sous son pied gauche, entend un claquement terrifiant…
Arrivés à l'intersection, les chasseurs s'arrêtent.
— J'en ai plein les bottes, soupire Granet junior.
— Elle a dû prendre à droite, c'est le chemin le plus direct pour rejoindre la route, présume Roland. Alors nous, on va prendre à gauche…
— Ah bon ? s'étonne Hugues.
— Ben oui ! Le raccourci, il est pas sur les cartes, elle peut pas le connaître. Nous, on va l'emprunter et du coup, on arrivera avant elle et on n'aura plus qu'à l'attendre en haut… Elle va marcher droit sur nous !
— Attends, intervient Séverin, rien ne nous dit qu'elle est pas partie à gauche et qu'elle va pas bifurquer vers la mare de la Louve…
— Et pourquoi elle irait là-bas ? s'emporte le pharmacien. La seule chose qu'elle veut, c'est trouver une route, un village ! Elle cherche du secours ! Je vois pas pourquoi elle redescendrait vers la Louve… C'est débile ! Et elle est pas débile, loin de là…
— Justement, elle a peut-être décidé d'aller où on ne pense pas qu'elle ira, ajoute Gilles d'un ton qui se croit sagace. Pour nous perdre… Nous, on va au village et elle, elle redescend par la Louve…
Roland soupire.
— T'as vu les traces de pas ?
Ils baissent tous la tête.
— C'est peut-être pas les siennes ! argumente l'aubergiste.
Margon pose son pied à côté de l'empreinte dessinée dans la boue, sur le sentier qui monte à droite.
— Tu vois bien que c'est une petite pointure, non ? C'est donc une chaussure de gonzesse ! Et je crois pas qu'il y ait beaucoup de femmes sur le sentier aujourd'hui !
Les trois autres ne trouvent rien à redire.
— Heureusement que je suis là, ronchonne Margon. Vous êtes vraiment trop cons…
Sur ces belles paroles, il reprend la tête des opérations, au pas de gymnastique. Ses lieutenants le suivent, silencieux, amers.
Dire que la veille, ils étaient les meilleurs amis du monde…
Clac.
Les mâchoires métalliques viennent de se refermer sur sa jambe.
Rémy hurle, s'effondre sur lui-même comme un tas de chiffons.
Les autres hésitent un instant. Le Tchétchène prend un bâton pour écarter les hautes herbes, Sarhaan marche juste derrière lui. Ils arrivent enfin jusqu'à Rémy qui se tord de douleur.
— Eyaz avait raison, murmure Sarhaan. C'était bien un piège…
— Rien à foutre qu'il avait raison ! gémit Rémy. Sortez-moi de là, merde ! J'ai mal…
— Calme-toi, le prie Sarhaan. Calme-toi… On va essayer de te libérer. Faut pas que tu bouges…