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Il fallait bien calmer leurs nerfs, leur en filer pour leur argent.

Personne ne s'en est offusqué. Pas même les malheureux faux gibiers. Ceux qui n'ont pas suivi le mouvement ont assisté à la scène d'un œil bienveillant.

Un jeu, rien de plus. Une mascarade, une parodie.

Là, il s'est dit qu'il pouvait gagner plus de fric. En amasser un maximum en seulement quelques saisons. Et prendre sa retraite avant l'heure.

Une retraite dorée.

De retour en France, il a commencé à réfléchir. Aux moindres détails.

Ça pouvait paraître un songe, au départ. Un roman de science-fiction ou du moins d'anticipation… Une chose inimaginable, incroyable.

Mais non, ce n'était pas un rêve.

Il lui a suffi, là aussi, d'observer autour de lui. De disséquer la société qui l'entourait.

La loi du marché, c'est l'offre et la demande.

Il avait les deux à portée.

Des clients prêts à débourser des sommes faramineuses pour participer à la chasse. Celle de leur vie. L'ultime.

Pour braver les interdits, en toute sécurité. Pour vivre une aventure grandiose, intense, inoubliable.

Quant aux gibiers, ils étaient encore plus nombreux. Il n'y avait qu'à se baisser pour les ramasser.

Ces types dans la rue, qui n'intéressent plus personne depuis des lustres. Rayés des listes, effacés des cartes, méprisés des statistiques, tombés dans l'oubli, comme dans un puits sans fond.

Victimes de l'amnésie collective.

Ces immigrés sans papiers qui se cachent, se camouflent, se terrent. Comme des animaux, justement. Qu'il est facile de déloger de leurs terriers.

Il lui suffisait juste de faire son marché, aux bons endroits, aux bons moments. D'acheter ou de voler sa marchandise.

Avec un principe de base, auquel il n'a jamais dérogé : pas de femme, pas d'enfant. Uniquement des hommes valides, dans la force de l'âge.

Ça aurait gâché le plaisir, autrement.

Le monde est ainsi fait, qui ne changera jamais.

Les chasseurs d'un côté, les proies de l'autre.

Chapitre 13

14 h 30

Le Lord chevauche à gauche de l'Autrichienne, lorgnant de temps à autre ses jambes, sa chevelure, sa poitrine ; sa gorge, aussi. Bizarre, cette envie de serrer ses mains dessus.

Violence, mort et plaisir ont toujours été intimement liés, pour lui…

Ils sont près du gibier, il le sent. Tout comme les chiens, truffe collée au sol, qui s'excitent au bout de leur laisse. Le Lord les a tout spécialement dressés à ce genre de vénerie ; un travail de longue haleine, de patience.

Pour l'instant, il ne les a pas lâchés, histoire de faire durer le suspense. Mais il est temps d'abattre un deuxième fuyard. De redonner un peu de tonus à cette traque hors du commun.

Arrivé à proximité de la fontaine, il met pied à terre, s'approche prudemment des trois pièges disposés de part et d'autre du point d'eau. Il les inspecte, tour à tour, et son éternel sourire s'élargit brusquement.

— Il y a du sang sur celui-ci ! annonce-t-il a emphase. Ils sont passés par là il y a peu et l'un d'en eux s'est fait avoir !

Les invités saluent bruyamment cette excellente nouvelle. Le prochain sur la liste sera bientôt à eux. Les paris vont bon train pour deviner lequel des trois a posé le pied au mauvais endroit.

Lequel des trois sera le prochain à mourir.

Seul Sam Welby, le client anglais, demeure muet. Il n'a quasiment pas ouvert la bouche depuis le matin, alors qu'il parle parfaitement le français. Le Lord, tout en remontant en selle, le percute d'un regard inquisiteur ; ce comportement peu enjoué lui semble pour le moins suspect. Quelques doutes lui viennent à l'esprit. Et si… ? Si ce type n'était pas un vrai client ? Mais que pourrait-il être d'autre ? Pour prendre part à ces chasses bien particulières, il faut être parrainé par quelqu'un ayant déjà participé. Malgré cela, le Lord enquête toujours minutieusement sur ses invités potentiels. Et il n'a rien trouvé de louche sur ce Sam Welby qui n'appartient pas à Scotland Yard ! Mais sait-on jamais ?

L'Anglais, se sentant dévisagé, tourne la tête et caresse l'encolure de son cheval.

— N'oubliez pas qu'ils sont armés, rappelle le Lord. Ouvrez l'œil !…

Il ordonne de lâcher les chiens.

*

Le cortège s'étire.

Roland Margon, toujours en tête, garde un bon rythme, même s'il commence à peiner. Derrière lui, Séverin Granet, visage fermé, tête basse.

Vingt mètres plus loin, Hugues et Gilles, visiblement épuisés, qui se traînent mais font leur maximum pour ne pas se laisser distancer.

Soudain, Gilles s'adresse à l'aubergiste, à voix basse.

— C'est quoi cette histoire qu'a balancée Margon, tout à l'heure ?

— De quoi tu parles ?

— Du truc qu'il sait sur toi… Ce lundi soir…

— Qu'est-ce que ça peut te foutre ? Mêle-toi de tes affaires !

— Mais je veux juste savoir si…

— J'te demande, moi, ce que tu foutais dans le coin où ils ont retrouvé la Julie étranglée ?

— T'énerve pas…

Hugues accélère le pas, histoire de s'éloigner du curieux.

Maudite soirée du 27 avril… Il rentrait chez lui, il avait trop bu. Comme souvent d'ailleurs. L'apéro avec Margon, une énième tournée.

Le gosse à vélo, il ne l'a vu qu'au dernier moment. Au moment où sa bagnole l'a percuté et envoyé dans le décor. Faut dire qu'il n'avait pas de lumière, aussi. Pas très prudent.

Pas vraiment sa faute, non. Même à jeun il ne l'aurait pas vu.

Après le choc, il a eu peur, ne s'est même pas arrêté.

Il s'est sauvé.

Minable.

Le lendemain, il est allé voir Roland à la pharmacie. Il venait d'apprendre le drame. La mort du jeune garçon. Ce môme qu'il connaissait, en plus.

Il s'est confié à son ami, lui a dit qu'il avait l'intention de se rendre. Margon a su l'en dissuader. Il se souvient encore précisément de ses paroles.

De toute façon, le gamin, il est mort. C'est pas allant en taule que tu vas le ressusciter ! C'est pas te en sacrifiant que tu vas le ramener… Si tu vas voir les gendarmes, tu vas tout perdre. Tout ce que tu as…

Hugues l'a écouté, ce salaud.

Mais qui l'y a forcé ?

En allant voir Margon, il savait d'avance ce qu'il allait entendre.

Justement ce qu'il voulait entendre. Il avait simplement besoin de se confesser, de soulager sa conscience bien trop lourde.

Et l'abbé Margon lui a donné l'absolution.

Amen.

Un peu plus haut sur le sentier, Séverin se retourne pour observer Junior, vérifier qu'il est toujours là. Qu'il n'est pas tombé dans les pommes ou dans le ravin. Puis il reprend son éprouvante ascension.

Ce ne sont ni la pluie ni la boue qui la rendent éprouvante. Ni même l'effort physique ou les kilomètres parcourus depuis le matin.

Car Séverin Granet, même s'il approche de la cinquantaine, ne craint pas de marcher des journées entières dans ses chères collines cévenoles. Dans son pays.

C'est surtout pour cela qu'il apprécie la chasse. Pour ce contact direct, tactile, concret, avec la nature, les éléments, la vie.

Il connaît chaque mètre carré de cette région où s'ancrent profondément ses racines. Connaît mieux que personne les paysages, les arbres, les fougères, les genêts. Les signaux du ciel, les caprices du vent, les souffrances de la terre. Les animaux peuplant ce paradis sauvage, abrupt. Leurs habitudes, leurs forces, leurs faiblesses, leurs instincts.