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La vérité, celle que l'on cherche toute sa vie durant, sans jamais la trouver.

Ces milliards de questions, demeurées sans réponse depuis des générations, des siècles, des millénaires.

— Tu crois qu'il est mort ? demande soudain Sarhaan avec, dans la voix, des nuances enfantines, touchantes.

Rémy essuie ses yeux, hoche la tête.

— Oui. Bien sûr qu'il est mort.

— Tu… Comment, tu crois ? Comment ils l'ont tué ? Rémy sent sa gorge se serrer.

— Je sais pas… Je sais pas, merde ! Sarhaan se tait quelques instants, puis reprend.

— Il le voulait.

— Quoi ?

— Mourir, il le voulait…

— Je sais pas.

— Si, répète le Black comme s'il cherchait à se convaincre lui-même. Il le souhaitait. Je crois qu'il ne supportait plus tout ça… Il avait vu trop de choses. Il voulait oublier…

— Possible…

Rémy s'arrête, prend de longues inspirations, grimace de douleur. Sa jambe lui fait mal, si mal. Comme si les crocs métalliques étaient encore plantés au-dessus de sa cheville, comme s'ils mordaient encore sa chair.

Ses muscles sont fatigués, si fatigués. Sa tête est lourde, si lourde.

— Ça doit être bien d'oublier, murmure-t-il. Ça don faire tellement de bien…

— Oui, acquiesce Sarhaan.

Lui aussi aimerait oublier. Ce qu'il est, ce qu'il a enduré, ce qu'il a commis.

Après tout, il se dit que la mort, ce n'est pas si grave Un peu plus tôt que prévu, c'est tout. Son seul regret, ce sera Salimata.

*

Ils approchent du but. Bientôt, ils seront sur le GR. là où ils n'auront plus qu'à se mettre à l'affût de leur proie.

Hugues et Gilles s'éternisent à l'arrière. Séverin s'arrête un instant pour les attendre, tandis que Roland continue, toujours sur le même rythme, ou presque. Lui aussi montre des signes de relâchement.

— Magnez-vous ! grogne Séverin.

Les deux hommes arrivent enfin à sa hauteur, reprennent leur respiration.

— Papa, si on rentrait ?

Granet considère son fils avec stupeur.

— On peut pas. Tu sais bien…

— Mais…

— Il faut qu'on retrouve cette fille ! Sinon, on est cuits…

— Tu comptes la tuer ? demande l'aubergiste à voix basse. T'es devenu fou ou quoi ?

Séverin hésite. Il regarde ailleurs, les yeux noyés dans les nuages qui s'accrochent aux sommets alentour. Espère-t-il que ses chères collines vont lui souffler la réponse ?

— Peut-être qu'on peut lui proposer un marché… De l'argent ! finit-il par répondre.

— Et après ? aboie Roland Margon, revenu sur ses pas.

Les trois hommes, pris en flagrant délit de complot, restent un moment aphones.

— Vous voulez lui proposer du fric ? reprend le pharmacien. O.K. Mettons qu'elle accepte… Qui nous dit qu'elle ne parlera pas dans un mois ? Dans un an ? Qui nous prouve qu'elle gardera éternellement le silence ? Ou qu'elle ne nous fera pas chanter jusqu'à la fin de notre vie ?

— Si on la menace, elle aura trop peur pour causer ! affirme Hugues en y mettant ses ultimes forces.

— Ben voyons ! ricane Roland. Y a qu'une façon de régler ce problème, et vous le savez…

— Moi, je ne peux plus avancer, gémit le fils Granet. Je me suis tordu un genou, j'arrive plus à…

— Ta gueule ! coupe Margon. Tu veux te débiner, c'est ça ? Tu veux nous laisser faire le sale boulot ? Je te rappelle que c'est toi qui as refroidi l'autre con ! Je te signale qu'on est là à cause de toi ! Et maintenant, tu veux rentrer à la maison ?

— Mais c'est pas ça, j'te dis que je me suis tordu le genou !

— Tu vas aller jusqu'au bout, assène Roland d'une voix glaciale. S'il le faut, je te traînerai par la peau du cul, t'entends ?! On a commencé ensemble, on finira ensemble… Le premier qui essaie de se défiler, je lui démolis la tronche ! Et je le fous dans le puits avec l'autre enfoiré !

Brusquement, Gilles met le pharmacien en joue. Quelques secondes de flottement.

Margon ne bronche pas, se contente de fixer l'arme sans sourciller.

Hugues se prend à espérer. Tire, bon dieu… Tire !

— Baisse ton arme, ordonne brusquement le père. Sa voix fait sursauter tout le monde.

Tout le monde, sauf Roland, toujours impassible.

— Tu commences à me faire chier ! hurle le jeune homme en dévisageant sa cible avec des yeux de dément. Je veux plus continuer, j'te dis !

Des rictus éperonnent son visage grossier. Pourtant. Roland sourit. Il s'avance hardiment vers le canon de l'arme. Jusqu'à ce qu'il touche son torse.

— Vas-y, tire… Qu'est-ce que t'attends ? suggère-t-il.

Les lèvres de Gilles se pincent, puis se mettent à trembler.

Roland saisit le fusil, le lui arrache des mains. Lui colle une droite en pleine mâchoire. Junior perd l'équilibre, roule sur le sol pentu.

— Je savais que tu le ferais pas, p'tit con ! jubile le pharmacien. Pas facile de tirer sur un mec, hein ? T'as pas les couilles ! T'as jamais eu de couilles d'ailleurs !

Gilles baisse la tête. Le pharmacien lui jette sa carabine ; offense suprême, il n'a même pas pris la peine de la décharger.

— Maintenant, on se remet en route, enjoint-il sèchement. Dans une heure, tout sera terminé.

*

Le Lord garde le silence. Même les attributs de l'Autrichienne n'arrivent plus à le distraire. Pourtant, il n'a pas pu s'empêcher de l'admirer, tout à l'heure. Sa détermination, sa férocité, sa bestialité.

Mais cette journée ne se déroule pas comme prévu. Un client à l'hosto, son pur-sang et un de ses fidèles serviteurs sur le carreau… C'était peut-être la chasse de trop ? Non ; après tout, il n'y a rien de grave. Lui, il est encore en vie.

Un canasson, ça se remplace. Un client à l'hosto, ça guérit. Ou ça crève. Pas une grosse perte pour l'humanité, Balakirev !

Un fidèle serviteur, ça s'embauche. Les mecs désespérés, prêts à tout pour gagner du fric, ça se trouve. Il y en a qui feraient n'importe quoi pour ne pas croupir en taule, surtout si la taule est située dans une république bananière ou en Europe de l'Est.

Rien d'irréparable, en somme.

Pour le moment.

Car il commence à se demander ce que l'après-midi lui réserve…

Il reste deux cibles, deux clients à contenter ; qui attendent leur dose, leur shoot, leur fix. Qui en veulent pour leur fric, refuseront de rentrer bredouilles.

Un dealer doit fournir la came. Remplir sa part du contrat. Jusqu'à l'overdose, s'il le faut. Si telle est la volonté du consommateur !

Il reste confiant ; aucun gibier ne lui a jamais échappé. C'est juste une question de temps, désormais. Un des deux fuyards est blessé, sans doute gravement. D'après ce qu'il a pu apercevoir dans ses jumelles une demi-heure auparavant, le clodo semblait boiter. Il est donc le prochain sur la liste. Le prochain à être servi en pâture.

Le prochain à descendre dans l'arène pour le plaisir des spectateurs privilégiés. Pour le festin des fauves.

Puis, ce sera le tour du grand Black. En dessert, une tête-de-nègre ! aurait sans doute ironisé ce porc de Balakirev.

Ensuite, entracte jusqu'à la prochaine scène barbare : jusqu'à la prochaine chasse. Au printemps, sans doute. Deux par an, voilà qui lui permet de se constituer une bien jolie fortune sans se fatiguer. Tout en se divertissant.

Que demander de plus ?

Pourtant, sa vie ne le satisfait pas.