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Est-ce qu'un jour quelqu'un lui résistera ?

*

Entre chien et loup, le paysage se transforme, s'enfonce dans l'ombre. La journée a été merveilleuse, inoubliable. Féerique. Une journée à flâner, sans but précis, main dans la main. Une journée entière à évoquer le passé tout en s'inventant un avenir.

Des heures passées si vite, passées si fort.

A faire l'amour sans même se toucher, juste en se dévorant des yeux, en s'effleurant. Juste en songeant à ce que sera la nuit.

Il est au volant, concentré sur la route.

Elle le regarde, tandis qu'il fixe la bande d'asphalte sinueuse.

Elle le regarde avec passion, envie.

Soudain, il s'en aperçoit, comme si l'intensité de ce regard le brûlait au troisième degré. Il tourne légèrement la tête, un quart de seconde, pour vérifier. Puis se met à nouveau de profil, avec un petit sourire tendre.

Ce sourire qu'elle aimait tant.

Ce visage qu'elle aimait tant.

Parfois, Diane se réveillait pour le contempler, alors qu'il dormait. Elle pouvait passer des heures ainsi, juste à poser ses yeux sur lui, à les laisser vagabonder sur sa peau, sur ses formes.

Il ne s'apercevait de rien, bien sûr.

Continuait à dormir, profondément.

Continuait à l'ignorer, superbement.

Mais elle n'espérait pas son réveil ; n'attendait rien d'autre que sa présence. Le bruit de sa respiration, les mouvements inconscients de son corps. Elle essayait de deviner ses songes, en espérant qu'elle y avait sa place…

Elle voulait simplement vérifier que ce n'était pas un rêve. Qu'elle avait bien cette chance. De l'avoir trouvé sur son chemin, de l'avoir à ses côtés, dans le même lit, la même vie.

Alors, elle se rapprochait de lui, fermait les yeux, se rendormait.

Un soir d'automne, elle est rentrée d'une mission de trois jours en Italie.

Il n'était plus là. Ni lui ni ses affaires. Il ne restait que ses empreintes. Les souvenirs.

Et le vide.

Terrifiant.

Le choc, d'une rare violence. Qui promettait d'être suivi d'une douleur atroce. De séquelles à vie.

Elle s'est assise, au milieu du salon. Au milieu du désastre. Incrédule.

Tenant dans ses mains la lettre trouvée sur la table basse. La lettre, ou plutôt les quelques lignes. Incompréhensibles.

La première phrase est assassine. Je crois qu'il vaut mieux qu'on se quitte…

La deuxième, encore pire. Ne m'en veux pas…

La troisième, le coup de grâce. Je te laisse les meubles et le chien, je sais que tu y tiens.

Pas d'explication.

Même pas : J'ai rencontré une autre femme ou Je ne t'aime plus.

L'impression qu'on l'écorche de la tête aux pieds, qu'on lui enfonce une dague dans les tripes et qu'on tourne indéfiniment. Qu'on lui fracasse la tête contre les murs.

Là, dans ce salon désert, sur ce canapé qu'ils ont choisi ensemble.

Le chien vient se coucher à côté d'elle et se met à pleurer.

Elle, n'en a même pas la force.

Ne m'en veux pas…

Chapitre 16

15 h 45

Roland Margon est le premier à poser le pied sur le GR. Comme Armstrong le pied sur la Lune : en conquérant.

Il se retourne, attendant les autres, toujours à la traîne. Ces larves qu'il a considérées comme des amis, dans une vie antérieure.

Des amis ? Pas vraiment, quand il y réfléchit.

L'homme est grégaire, il lui faut des attaches, des semblables ; autant de miroirs dans lesquels se refléter, se mirer, s'admirer. Se mettre en valeur.

Des amis ? Disons plutôt des potes. Compagnons de beuverie et de chasse. Rien de plus, au final.

Ils le redeviendront, d'ailleurs. N'auront pas le courage de se détourner de lui.

Quant à Roland, il continuera à se servir d'eux, comme il l'a toujours fait.

Il caresse le museau de Katia, qui commence à en avoir marre de cette marche forcée. Il lui file une friandise pour lui redonner courage.

Les trois autres arrivent enfin, essoufflés par l'ultime ascension. Un raccourci, certes, mais terriblement escarpé.

— Qu'est-ce qu'on fait ? questionne Séverin.

— Elle devrait déboucher à deux bornes d'ici, dans pas longtemps. On va avancer vers l'intersection… On se planque et on l'attend.

— Et… ensuite ? demande Hugues.

— Ensuite ? Devine !

— C'est toi qui vas tirer ?

— Tu crois que je vais faire ça tout seul, peut-être ? Tu me prends pour un con, hein ?

Il s'offre une gorgée de rhum, sa flasque est vide. Séverin lui tend la sienne, en bon petit toutou à son maître. Mais il ne lui reste plus grand-chose non plus. Les réservoirs sont au plus bas, le taux d'alcoolémie au plus haut. Coutumiers du fait, ils n'en ressentent même plus les effets.

— On avisera, conclut Margon en s'essuyant les lèvres sur le revers de sa manche. Déjà que je lui ai tiré dessus ce matin… Je vais être obligé de jeter mon fusil, bordel de merde !

— Pourquoi ? questionne Gilles.

— Pourquoi ?! Parce que s'ils retrouvent le corps de la fille, y vont retrouver la balle dedans, pauvre crétin ! Et s'ils font une analyse balistique sur tous les fusils de chasse, j'y ai droit ! Alors, je me débarrasserai de cette arme, voilà tout… Tout comme on se débarrassera du cadavre de la fille, d'ailleurs…

— Elle s'appelle Diane, murmure l'aubergiste.

— Hein ? gueule Margon.

— Elle s'appelle Diane, répète Hugues.

Séverin Granet frissonne à l'énoncé de ce prénom. Son estomac se tord. Il réplique, brutalement :

— Et alors ? Rien à foutre de comment qu'elle s'appelle !

— Exact, acquiesce Roland. L'important, c'est qu'elle disparaisse. Le reste, je m'en branle. En route.

Margon reprend la tête des opérations. Diane… Il n'a pas oublié son prénom. Ne pense même qu'à ça depuis des heures. Diane…

Chaque seconde le rapproche du moment où il va l'avoir en face de lui. Du moment où…

*

Rémy s'est assis quelques instants. Sarhaan refait le pansement sur sa blessure béante, avec des gestes délicats, attentionnés. Avec les moyens du bord.

— Merci…

— Ça fait mal ?

— Oh oui… ! J'ai l'impression qu'un de ces sales clébards me bouffe la guibole, nom de Dieu !

Le Black enlève de la plaie des petits morceaux de feuilles et d'herbe qui s'y sont glissés. Puis, à l'aide de mouchoirs en papier qui serviront de compresses, à l'aide d'un morceau de tissu arraché à ce qu'il reste du pantalon, il confectionne un bandage de fortune.

— On va pas s'en sortir, n'est-ce pas ? murmure-t-il soudain.

— Non, mon vieux, on ne va pas s'en sortir… Je me demande d'ailleurs pourquoi on continue à cavaler comme des cons. Pourquoi on les attend pas ici !

— Parce qu'il y a toujours l'espoir, rétorque le Malien. L'instinct de survie !

— Putain d'instinct de survie ! enrage Rémy.

— Faut pas que tu abandonnes ! Je sens qu'on peut s'en tirer…

— Tu disais l'inverse y a une minute, souligne Rémi avec un triste sourire.

— En fait, je ne te vois pas en train de mourir, explique le Black en lui tendant une main secourable. J'arrive pas à te voir mort !