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Brusquement, les conversations dévient sur un sujet plus grave… Ils évoquent un meurtre.

Le meurtre.

Le drame.

Diane tend l'oreille, presque malgré elle. Apparemment, une jeune fille retrouvée étranglée dans la région, en pleine forêt…

La petite Julie.

Assassinat non résolu par les gendarmes.

Le ton monte encore. Les esprits s'échauffent, l'alcool aidant.

Si on le chope le fils de pute qui a fait ça, on le pend au bout d'une corde !

Ouais, faudrait rétablir la peine de mort pour les salauds comme lui !

Si ça se trouve, c'est un gars du coin !

Tu rigoles ! C'est un étranger…

Finalement, Diane se lève, décidée à aller régler son dû. Les voix se calment, elle se sent dévisagée.

Déshabillée.

— Excusez-moi de vous interrompre… Puis-je avoir l'addition, s'il vous plaît ?

— Bien sûr, madame !

Avant, on lui servait du mademoiselle. Mais depuis peu, c'est le plus souvent madame… Les fameuses rides, pourtant microscopiques ? Ou son air mélancolique, peut-être… N'empêche qu'elle le remarque. Et que, quelque part, ça lui inflige une petite douleur. Le temps qui passe. Qui passe si souvent pour rien.

Ce temps perdu.

Car sans lui, le temps est perdu, gâché. S'il était là, elle serait radieuse ; on lui dirait encore mademoiselle…

Tandis que le patron rédige la note, un des types fixe Diane. Il se présente, apparemment fier d'être le pharmacien du village voisin. Il s'appelle Roland Margon, elle n'est pas spécialement enchantée.

— Vous êtes en vacances ? interroge-t-il.

— Non, je suis là pour des raisons professionnelles.

— Vous faites quoi, si c'est pas indiscret ?

— Je suis photographe, je viens réaliser un reportage sur votre magnifique région.

Ils espèrent des détails. Les inconnus sont si rares, en cette saison ! Ils finissent les présentations, Diane accepte de boire un petit digestif offert par l'aubergiste en leur compagnie.

— Faites attention si vous partez seule dans les collines, conseille un des autochtones. L'endroit est pas trop sûr ces derniers temps.

Diane lui adresse un sourire crispé. Celui-là se nomme Séverin Granet et il est accompagné par son jeune fils, âgé d'une vingtaine d'années, qui la mate sans vergogne.

— Ne vous en faites pas, je serai extrêmement prudente, réplique-t-elle avec assurance.

*

— Une cigarette ?

Rémy accepte. Il n'a guère l'occasion de s'en griller une depuis que les prix ont flambé. Avant, les gens lui filaient des clopes ; maintenant, ils se les gardent.

Dire que dans quelques mois, on ne pourra plus fumer dans les restaurants ni même les bars ! Il a entendu ça à la télé, un soir au foyer. Il n'en croyait pas ses oreilles ! Lui, ça ne le dérange pas plus que ça, vu qu'il n'a pas les moyens de s'offrir un resto. Mais n'empêche que… Un jour prochain, on ne pourra plus aller pisser sans demander la permission à la maîtresse ? Et il y aura un flic dans les chiottes pour vérifier qu'on s'est bien lavé les mains ?

Tout en humant sa clope comme s'il s'agissait du meilleur havane, Rémy s'interroge sur les fondements de cette politique liberticide. Un moyen comme un autre pour les dirigeants de laisser croire qu'ils se soucient de la santé du bon peuple… ? La cigarette, aussi fine soit-elle, devient l'arbre qui cache la forêt. Un exploit ! Occultant ainsi toutes les autres causes de cancer, invisibles, indicibles.

Économiquement incorrectes.

Mais pour le moment, Rémy peut cloper à son aise. Le mec à la Mercedes lui tend même un briquet. En or ou plaqué. Aussi tape-à-l'œil que la caisse. Il doit approcher de la cinquantaine, plutôt BCBG décontracté, élégance naturelle ; jean, pull irlandais, écharpe en laine et gants en cuir qu'il a tout de même quittés pour dîner. Assez grand, baraqué, tempes grisonnantes et regard direct. Très direct.

Deux scalpels noirs qui vous autopsient de votre vivant.

Rémy décide de le surnommer le Lord, ça lui siéra à merveille !

Il savoure sa Dunhill, une main posée sur son estomac qui n'a pas été aussi plein depuis des lustres. Le Lord lui a payé un gueuleton dans un petit troquet pour le remercier d'avoir volé à son secours. Certes, Rémy aurait préféré un biffeton de cinq cents, mais il n'a pas fait la fine bouche.

Tandis qu'il s'empiffrait d'un bon steak frites salade, l'autre l'a assommé d'un milliard de questions ; Inquisition version distinguée et magnanime.

Comment vous en êtes arrivé là ? Vous avez de la famille ? Des amis qui peuvent vous aider ?

Rémy a répondu de façon assez évasive. Pas ses oignons…

Un plateau de fromages après le steak, le tout arrosé de vin. En pichet, mais bon quand même.

Délicieusement bon… Dessert et café, la totale.

Ça valait le coup de risquer sa peau, même s'il a eu des calories à la place des euros en guise de récompense. Mais la soirée n'est pas terminée…

— Comment puis-je vous remercier ? s'enquiert encore Milord.

Bingo ! Cependant, Rémy, grand seigneur calculateur, lance :

— Ça ira ! C'est naturel d'aider son prochain, non ?

— Vous avez raison, mais j'y tiens. Il me vient une idée…

— Ah oui ?

Ton idée, elle ressemblerait pas à un rectangle en papier, si possible mauve, marqué du chiffre 500 ?!

— Ça vous dirait de travailler ?

— Travailler ? s'étrangle Rémy.

— Je m'apprête justement à recruter quelqu'un…

— Vous êtes patron ?

— Non ! Mon jardinier m'a quitté, je lui cherche un remplaçant.

Rémy se retient d'éclater de rire. Il m'a bien regardé, le bourge ? Moi, jardinier ? Et pourquoi pas nurse anglaise ?!

— Euh… C'est que…

— Réfléchissez ! Vous seriez logé, nourri et vous auriez un salaire chaque mois…

Rémy ravale son sourire.

— Votre jardin est si grand que ça ?

— Je possède un château.

— À Paname ?!

— Non ! A deux cents kilomètres d'ici. Ça me ferait sincèrement plaisir de pouvoir vous aider… Les gens tels que vous sont si rares de nos jours ! Pourquoi ne pas essayer ? Je vous propose mille deux cents euros par mois…

Les yeux de Rémy s'agrandissent.

— Et si ça ne vous plaît pas, vous pouvez toujours changer d'avis, ajoute le Lord… Il y aura une période d'essai !

Rémy fixe son convive, sans prononcer mot. Mais dans sa tête, un curieux cocktail se mélange… L'étonnement, d'abord.

Quelqu'un qui s'intéresse à moi ? Qui veut m'aider, vraiment, et non me faire l'aumône ? L'émotion, ensuite.

Quelqu'un qui me donne sa confiance en m'invitant chez lui, dans sa propre maison, pardon, son propre château ? Qui veut m'offrir un travail, un vrai travail…

Me filer un salaire, un vrai salaire ? Et pas un billet de dix parce que j'ai déchargé les caisses de son camion…

Le doute, l'angoisse, juste après.

Travailler. Respecter des horaires, un emploi du temps, des consignes.

En serai-je encore capable, après ces années d'errance ?