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Rémy se remet debout, grimaçant de plus belle.

— C'est sans doute parce que tu manques d'imagination !

Sarhaan se marre.

— Comment t'arrives encore à rire ? s'étonne Rémy.

— Chez vous, il y a un dicton…

— Les dictons, c'est des conneries !

— Un dicton qui dit : il ne faut pas vendre la peau de l'ours…

— Avant de l'avoir tué, je sais ! Sauf que les ours en question sont bien mal barrés ! Et qu'ils ont une meute de psychopathes au cul… Ces salopards de riches !

— Rien à voir avec leur pognon…

— Le Lord m'a dit qu'ils payaient très cher pour s'amuser avec nous ! T'as entendu, non ?

— Des assassins, y en a partout… chez les riches comme chez les autres.

— Ouais… N'empêche que ceux-là sont bourrés de pognon ! s'entête Rémy.

Us reprennent leur marathon. Mais l'allure n'est plus aussi vive qu'ils le souhaiteraient. Plus d'essence dans le moteur, tout juste la peur qui les fait encore bouger. Comme un réflexe.

Soudain, Sarhaan s'immobilise.

— Quoi ? demande Rémy. Tu as entendu quelque chose ?

— Pas entendu, vu ! Là, regarde…

Rémy n'aperçoit rien d'autre que des arbres, des feuilles mortes. Tantôt des chênes, des charmes, des châtaigniers. Tantôt des pins. Mais c'est toujours cette saloperie de forêt à perte de vue. Entrecoupée de landes, d'étangs ou de tourbières.

Non, vraiment, il ne voit rien d'intéressant ici.

— On est passés par là ce matin ! s'écrie le Malien.

— Tu crois ?

— Sûr… Je reconnais ce rocher, là ! Je reconnais cet endroit, je te jure ! On est sur le bon chemin, on approche du château, man !

Rémy reste bouche bée. S'approcher du château, ce n'est pas trouver la sortie, même si c'est de lui que vient l'idée. C'est simplement revenir à la case départ.

Mais c'est bien là leur seul espoir.

— Tu devrais partir devant, dit-il brusquement. Je ne fais que te ralentir… Il faut que tu t'en sortes et, avec moi, c'est impossible.

Le Malien le considère avec une sorte de tendresse dans le regard. Ce regard noir, profond. Rieur.

— Si on doit survivre, ce sera ensemble. Si on doit mourir, ce sera ensemble.

— Pense à tes gosses, bordel ! Ils ont besoin de toi !

— Il faut que je te dise… Je t'ai menti.

— Hein ?

— Je t'ai menti ; j'ai pas d'enfant… Pas de femme ni d'enfant au pays…

— Ah bon ? Pourquoi t'as inventé ce bobard ?

— J'sais pas… comme ça… Parce que j'ai presque trente ans et…

— Je vois pas le rapport… Enfin, c'est pas important ! Pense à la nana que tu épouseras plus tard et aux gosses que vous aurez ensemble ! Ils auront forcément besoin de toi !

Sarhaan sourit.

— Pour l'instant, c'est toi qui as besoin de moi, homme blanc ! Et moi, j'ai besoin de toi. Alors appuie-toi sur mon épaule et arrête de parler. On a encore de la route à faire.

Rémy se résigne. Heureux que Sarhaan ne le laisse pas pourrir ici, heureux qu'il accepte de rester jusqu'au bout à ses côtés.

De descendre en Enfer, presque en lui tenant la main.

Tandis qu'il marche au milieu des pins, il songe soudain à cette femme. Celle qu'il apercevait parfois, alors qu'elle entrait ou sortait de chez elle, près d'un endroit où il faisait souvent la manche. Une photographe apparemment, vu le matériel qu'elle transportait. Cheveux longs, grande, avec un sourire un peu triste, mystérieux, qui l'intriguait. Un charme qui l'attirait. Elle ne lui a jamais donné le moindre centime. Mais lui a toujours dit bonjour.

Sans se douter de l'importance que ce bonjour pouvait revêtir dans sa morne journée.

Pourquoi pense-t-il subitement à cette inconnue ?

Parce qu'il aimerait la voir sourire, sûrement… Aimerait entendre son bonjour timoré. Ça lui ferait du bien, lui redonnerait la foi.

Il se met à essayer de deviner son prénom. Ça occupe ses pensées, lui permet d'occulter un peu la douleur.

Comment s'appelle-t-elle ? Il aurait dû lui demander… Aurait dû engager la conversation, au moins une fois… Qui sait, il se serait peut-être passé quelque chose entre eux ?

Agnès ? Nathalie ? Marie ?

Non, ça doit être un prénom spécial, un prénom rare. Un prénom de déesse, peut-être…

*

16 h 00

Diane regarde sa carte, lève les yeux. Oui, elle y est presque.

Dans quelques minutes, elle atteindra le GR ; ensuite, du plat jusqu'à la route.

Elle se retourne ; personne à l'horizon.

Elle a du mal à croire qu'elle est arrivée jusqu'ici sans être rattrapée. Mais quel autre chemin auraient-ils pu emprunter ? Celui de gauche était bien plus long.

Ce constat ne la rassure qu'à moitié. Elle sait que le danger est là, toujours à rôder autour d'elle comme un fauve. À planer au-dessus de sa tête, comme un de ces majestueux charognards.

Elle accélère le pas.

Soudain, elle pense à ce type, ce clochard qui mendiait souvent dans sa rue. Ce type, jeune, costaud, qui ne manquait pas de charme malgré sa dégradante condition.

À cet instant, elle se reproche de ne lui avoir jamais rien filé. Jamais une pièce, jamais rien à bouffer. Pourtant, elle en avait envie.

Mais n'osait pas.

C'est gênant de quémander, sans doute. Ça l'est aussi de faire l'aumône.

Non, elle n'a jamais osé. Ne lui a jamais rien donné.

Qu'est-il en train de faire à cette minute ? Sans doute est-il assis en bas de chez elle, à espérer un peu d'argent des passants…

Pourquoi pense-t-elle à lui, maintenant ?

Peut-être parce que son regard recelait des trésors d'humanité, qu'il ressemblait à celui de Clément.

Clément…

Il faudra qu'elle se lance à sa recherche dès qu'elle se sera sortie de ce merdier.

Car si elle survit à cette journée, ce sera un signe : oui, elle le retrouvera, lui prouvera ce dont elle est capable. Lui racontera qu'elle a pensé à lui pour trouver la force d'avancer.

Mais il aura sans doute refait sa vie…

Marié, deux marmots, trois chats ?

Non, impossible. Elle le saurait, le sentirait.

L'angoisse la submerge. Marche arrière, vite… Oui, il est célibataire, encore. Une aventure de-ci de-là, comme elle. Sans même s'en rendre compte, lui aussi n'attend qu'elle. Elle qui habite encore ses pensées, ses rêves.

Il est parti parce qu'il avait la trouille de s'engager, parce qu'il était trop jeune ; qu'elle était trop amoureuse, qu'elle l'étouffait.

Mais elle a changé, saura lui plaire, le rassurer, regagner sa confiance.

Elle parviendra à l'apprivoiser.

Clément, attends-moi, je t'en prie. J'ai pas fait tout ça pour continuer à souffrir. Mais avec l'espoir que tu veux encore de moi, que tout est encore possible entre nous. Que rien n'est fini.

Tu m'expliqueras pourquoi tu es parti, je te pardonnerai.

Comment ai-je pu te laisser loin de moi si longtemps ? Comment ai-je pu gâcher ma vie ?…

*

Les chiens sont devant, à nouveau sur la piste. Concerto de hurlements.

Les chevaux suivent, au galop.

Le Lord mène la danse. Deux de ses larbins qui circulent en 4x4 affirment avoir aperçu le gibier près du carrefour de la Croix. Se dirigeant vers le nord.

Ça colle avec la route suivie par les limiers.

Cette fois, ils vont se faire les deux en même temps.

La journée est bien avancée, ils ne prendront pas le risque de laisser venir la nuit. Il faut les choper avant.

Les deux fugitifs ne doivent en aucun cas voir le crépuscule.