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Les autres s'élancent à sa poursuite.

L'histoire recommence.

Sauf que son avance est moindre ; sauf qu'elle puise dans ses ultimes forces.

Il lui en reste. Pourtant, elle croyait être au bout… L'histoire recommence.

Sauf que Diane est armée. Et que la route n'est plus très loin…

L'histoire recommence, sauf qu'elle approche forcément de la fin.

Chapitre 18

Sarhaan est né en dernier.

Le dernier à être sorti du ventre fatigué de sa mère qui avait déjà donné la vie à trois autres enfants. Trois filles.

Sa mère, il ne l'a pas connue longtemps. Elle est morte alors qu'il n'avait que six ans. Mais son père a pris une nouvelle épouse, plus jeune. Et Sarhaan a vu naître deux demi-frères.

Il a grandi dans la région de Kayes, sur les rives du fleuve Sénégal.

Un jour, son paternel a vendu quelques bêtes et lui a confié ses maigres économies en lui expliquant qu'il fallait partir, qu'il était temps de tenter l'aventure.

Ça signifiait quitter le Mali pour aller gagner de l'argent en Occident. Pour devenir un homme. Pour rester digne.

Sarhaan n'avait que vingt et un ans mais s'était préparé à cette idée. Comme la plupart des jeunes Maliens, il rêvait de la société de consommation.

Aller au fast-food, s'acheter des Nike.

Il ne connaissait l'Europe qu'à travers des films ou de la télévision. Autant dire qu'il n'en connaissait rien.

Mais il convoitait simplement ce qu'il n'avait pas.

Quoi de plus tentant que ce qu'on ne possède pas ?

Il avait souvent entendu des hommes raconter que là-bas, c'était facile. Que là-bas, c'était le paradis.

Ils mentaient. Pour cacher les souffrances endurée s leurs misérables conditions de vie. Leurs échecs ou désenchantements.

Mais ça, Sarhaan l'ignorait.

De toute façon, il fallait bien gagner suffisamment d'argent pour nourrir ses parents prenant de l'âge. Ses sœurs s'étaient mariées, avaient quitté leur famille ; ses demi-frères étaient encore trop jeunes pour partir ou travailler.

En Afrique, le fils doit nourrir le père. Il ne doit pas représenter trop longtemps une charge pour ses parents. Sous peine de voir le déshonneur s'abattre sur lui.

Sarhaan a choisi la voie du désert. Moins risquée, d'après ses renseignements, que celle de l'Océan. Le voyage a été long, périlleux, semé d'embûches. Il s'est arrêté au Maroc, y est resté six mois pour gagner un peu d'argent et engraisser un passeur.

Enfin, il a atteint la France, débordant d'angoisse, d'enthousiasme, d'illusions.

Mais son ivresse n'a pas duré longtemps ; trois mois à peine après son arrivée, il est tombé sur un contrôle policier. Charter, direction Bamako, la capitale de son cher pays…

Une ville inconnue. Pourtant, hors de question de retourner au village natal ; d'affronter la honte.

Celle d'avoir échoué, d'être un incapable.

Un déshonneur qui aurait éclaboussé toute la famille.

Une insoutenable humiliation.

Alors, il a survécu tant bien que mal au sein de l'immense capitale grouillante de vie et de tumulte.

Pendant plus d'un an, il a enchaîné les petits boulots sur les marchés ou ailleurs, dans l'espoir de glaner suffisamment d'argent pour repartir vers son éden occidental.

C'est là que sa vie a basculé.

C'est là qu'il est devenu un meurtrier.

Ça s'est passé si vite. Incroyablement vite. D'une seconde à l'autre, tout a changé.

Un peu trop d'alcool, un peu trop de colère. Une bagarre qui dégénère. Il veut se protéger, sort son arme blanche. Qui finit plantée dans l'abdomen de l'autre, sans qu'il sache vraiment comment.

Il a tué un homme, aussi jeune que lui. Sans véritable mobile.

Le voilà avec du sang sur les mains. Le voilà fuyant Bamako.

Il n'a jamais été inquiété pour ce crime. Ni soupçonné ni arrêté. Il n'a jamais payé. Si.

Il paie chaque jour. Car chaque minute, il y pense. Chaque minute, il affronte les yeux révulsés de sa victime agonisante, reçoit son dernier souffle en pleine figure.

Il avait une nouvelle raison de quitter sa terre natale, alors il a tenté sa chance une seconde fois. A vingt-deux ans, il est reparti à l'assaut de la France.

Le second voyage s'est éternisé. Mais il est arrivé. S'est installé à Montreuil, d'abord. Puis à Sarcelles.

Son rêve s'est étiolé, lentement. Effiloché sur les barbelés de la réalité.

Louer un studio dans un immeuble pourri pour une somme exorbitante, bosser sur les chantiers. Dans la crainte quotidienne de l'expulsion.

Mais, enfin, il a pu envoyer un peu d'argent à famille ; quelques nouvelles, aussi.

Six longues années en France, où il a réussi, cette fois, à échapper aux contrôles pourtant nombreux.

Les flics ont des comptes à rendre, un chiffre à faire ou un chiffre d'affaires… Des objectifs à atteindre. Que ça leur plaise ou non.

Alors, ils les traquent sans relâche.

Mais ils ont encore du pain sur la planche… !

Sarhaan s'est adapté tant bien que mal à sa nouvelle vie, si loin des rives du fleuve Sénégal. Si loin de la chaleur de son pays.

Finalement, le fast-food, c'est plutôt dégueu. Et le Nike, il n'a pas de quoi se les payer.

Il a juste un travail, un toit, quelques copains de la même couleur que lui. Pas si mal, quand on y réfléchit.

Il a découvert un bouquiniste sympa qui lui a filé un ou deux romans. Au début, Sarhaan a lu avec difficulté. Puis avec avidité, dévorant les livres les uns après les autres.

Une véritable boulimie. Un insatiable appétit. Ça le faisait voyager, ça lui changeait les idées. C'était beaucoup plus digeste que le fast-food… Beaucoup plus abordable que les Nike. Et puis, un jour, il a rencontré Salimata. La divine Salimata.

Une jeune Malienne, bardée de diplômes, docteur en biologie ; qui se tape le ménage dans un hypermarché de la banlieue parisienne. Envoyée par sa famille en France, pour rembourser ses coûteuses études.

Tout de suite, Sarhaan a compris que c'était elle.

Au début, il n'a pas osé poser ses mains sur elle.

Ses mains pleines de sang.

Alors c'est elle qui a posé ses mains sur lui…

Ils projetaient de vivre ensemble. De fonder une famille, au pays. Car ici, ils ne seraient jamais que des clandestins, des immigrés, des exclus.

Oui, ils avaient des projets. Maintenant, le seul projet de Sarhaan est de survivre. Là, dans cette forêt, pourchassé par une horde d'aliénés.

Sarhaan est persuadé que ce qui lui arrive n'est pas le fruit du hasard.

Il est ici parce qu'il a tué. Parce que ses mains sont maculées d'horreur.

Parce qu'il n'est qu'un meurtrier.

Parce qu'il ne méritait pas Salimata.

Il savait qu'un jour il paierait pour son crime, d'une façon ou d'une autre. Il se savait en sursis. Il avait envisagé beaucoup de punitions. Mais pas celle-là.

Allah fait preuve de beaucoup d'imagination, parfois.

Adieu, cher Mali.

Adieu, mes chères sœurs, mon cher père. Adieu, la France. Adieu, Salimata…

Chapitre 19

16 h 40

Les aboiements se font plus précis, pressants, présents.

Même pas des aboiements d'ailleurs ; lugubres complaintes qui résonnent, ricochent sur l'âme, à l'infini. Blessent, encore et encore.

Rémy s'arrête une fois de plus. Sarhaan, compatissant à son calvaire, lui accorde quelques secondes.