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Mais quelques secondes, ça passe vite.

— Faut y aller, man…

— Fous-moi la paix ! hurle soudain Rémy.

Le Malien reste un instant sans voix. Le supplice, sans doute, aura rendu son compagnon agressif.

— Je sais que tu souffres, mais on ne peut pas rester là… Faut les semer et…

— Les semer ? ricane Rémy avec une âpre grimace. Comment ? Avec un hélico ? T'as un hélico, toi ?!… Non ? Alors ta gueule… !

Sarhaan serre les dents. Il shoote dans une vieille branche qui jonche le sol. Regarde le ciel, puis la terre, respire profondément, poings sur les hanches.

— Arrête de gueuler et viens, ordonne-t-il d'une voix posée.

— Non ! On n'est pas sur le bon chemin, t'as dit des conneries ! Tu dis que des conneries, de toute façon… !

Sarhaan soupire.

— On est passés par là ce matin… Je reconnais l'endroit.

— Tu reconnais que dalle, pauvre con ! Ce putain de manoir est à l'opposé si ça se trouve ! Et moi, je t'ai écouté, je t'ai suivi ! Avec ma guibole en sang… Faut jamais faire confiance aux mecs comme toi…

Cette fois le Black se rebiffe. Sa patience a des limites. Elle est d'ange, pourtant…

Il empoigne Rémy par son blouson, le plaque rudement contre le tronc d'arbre le plus proche.

— Me cherche pas ! Me pousse pas à bout ! Tu sais pas de quoi je suis capable !

— Non, je sais rien de toi ! De toute façon, tu mens comme tu respires… Lâche-moi, maintenant ! Enlève tes sales pattes !

Sarhaan se reprend, le libère ; ses yeux reflètent incompréhension, affliction. Désarroi et tristesse.

— T'as qu'à aller où tu veux ! vocifère Rémy d'un ton d'aliéné. Puisque t'es sûr que c'est par là, vas-y ! Allez, va !… Tu peux même aller te faire foutre si ça te chante ! Moi, je pars dans l'autre sens… J'ai plus envie d'écouter tes conneries ! Allez, dégage ! Barre-toi, je t'ai assez vu !

Sarhaan hésite. Il recule. L'homme blanc serait-il en train de devenir fou ? Apparemment, oui. Fou de douleur, de rage, de peur.

Il perd la raison. Tout simplement.

Trop de choses à supporter depuis le matin, sans doute.

— Je veux pas te laisser seul dans ton état… Viens avec moi, fais pas le con !

— J'ai pas besoin d'un type comme toi ! J'ai pas besoin de toi… Je m'en sortirai mieux sans toi ! Je m'en serais déjà sorti sans toi !

Soudain, le Malien le prend par le bras et essaie de l'entraîner de force. Mais Rémy ne l'entend pas ainsi. Il se débat, gigote, joue des poings, rugit.

— Lâche-moi, nom de Dieu !

— Merde ! s'écrie Sarhaan en laissant tomber. T'es devenu cinglé !

Impossible de le maîtriser. Un forcené.

— Allez, barre-toi ! Casse-toi, putain !

Le Black lui jette un dernier regard. Sans amertume, ni haine. Juste une blessure. Un adieu.

Quelques pas à reculons puis il tourne le dos et se remet à courir.

Alors que Sarhaan a presque disparu, Rémy sourit et murmure :

— Bonne chance, mon ami…

*

Roland Margon ne dit rien. Il se contente d'avancer, aussi vite qu'il peut, scrutant sans relâche les parages.

Derrière, Séverin suit, tant bien que mal.

Un peu plus loin, Hugues et Gilles ferment le cortège silencieux. Gilles, dont le visage porte les stigmates cuisants de son échec. Plus un nouvel hématome ; celui qui résulte de la rencontre entre sa mâchoire inférieure et le poing vengeur de Margon qui n'a pas digéré leur dernière mésaventure.

Maintenant, il leur faut tout recommencer. Retrouver leur gibier en fuite, armé qui plus est.

Maintenant, ils approchent de la route. De la catastrophe.

À cause de ce jeune con, incapable de maîtriser une gonzesse épuisée.

Margon observe les réactions de Katia. Semblant avoir flairé quelque chose, elle suit une piste. Un sanglier, un chevreuil, un lièvre ? Une photographe ? Comment savoir ?

Elle n'est pas loin, pourtant. Elle n'a pas pu prendre beaucoup d'avance. Trois bonnes minutes, à tout casser.

Autant dire rien.

Sauf que le terrain joue en sa faveur ; végétation dense, emmêlée, dénivelée chaotique. Que d'endroits pour se planquer !

Si ça se trouve, ils sont passés tout près d'elle sans la voir. Mais Katia l'aurait sentie, sans doute.

Quoiqu'elle soit dressée au gibier, pas au photographe en fuite.

Putain de journée…

*

17 h 00

Sarhaan s'immobilise. Il vient juste de comprendre. Comme une lumière qui se serait allumée dans son cerveau. Tilt.

Rémy lui a offert sa vie.

Il se retourne, se heurte au désert végétal, hostile. Envie de chialer. De hurler. De tout abandonner.

Faire marche arrière pour récupérer Rémy ? Il ne sera plus là où il l'a laissé, sans doute parti en sens inverse pour attirer la meute à ses trousses, pour jouer la diversion.

C'est pour cela qu'il m'a insulté, frappé. Il savait que ce serait l'unique moyen pour que je me sépare de lui. Et moi, j'y ai cru.

L'épuisement, la peur. Voilà ce qui a obscurci son jugement.

Il s'en veut. À mort.

Alors, le brave Sarhaan se met à sangloter.

Enfant terrorisé, triste, coupable, qui s'écroule à genoux face à un arbre, front posé sur l'écorce. Se laissant submerger par une infinie détresse.

Les aboiements se sont éloignés.

Ils sont si près de Rémy, désormais.

Tandis que Sarhaan pleure toutes les larmes de son corps, avec l'impression horrible d'avoir tué pour la seconde fois.

*

Diane s'est assise derrière un vieux muret à moitié délabré, qui autrefois délimitait sans doute un domaine. Elle essaie de reprendre son souffle, respirant avec difficulté. Avec douleur.

Avec acharnement.

Malgré la température qui tombe rapidement, son front est moite. Elle boit les dernières gouttes contenues dans sa gourde puis consulte sa carte déchirée, l'oreille aux aguets, le cœur en alerte.

Bientôt, le crépuscule la rattrapera.

Puis la nuit. Avec son cortège de silhouettes effrayantes, de bruits non identifiés, de peurs d'enfant. Avec son froid, mortel. Elle se relève, toujours sur ses gardes. Calme étrange.

Seulement le vol rapide, furtif, d'un gracieux pèlerin se faufilant entre les arbres ; regard acéré, serres d'acier, équilibre parfait.

Seulement les pas lointains d'une biche. Si discrète que Diane ne la verra pas.

Seulement la vie, toujours présente, jamais ostentatoire que recèle cette forêt, tel un trésor. Cette forêt qui deviendra peut-être sa dernière demeure.

Son caveau, sa sépulture.

L'endroit où elle tombera dans l'oubli.

Elle se remet en marche. Son pied dérape, sa cheville se tord, puis son genou.

Elle chute, se relève. Récupère le fusil qu'elle comprime dans sa main gauche.

Si j'en vois un, je tire. Même si je n'ai plus qu'un seul bras.

S'ils m'approchent, je les bute, l'un après l'autre. Je les massacre tous… Légitime défense. Violence légitime.

*

17 h 15

Rémy ne pensait plus pouvoir avancer. Avancer, encore.

Vers la mort.

Il ne pensait pas, un jour, trouver le courage de creuser sa propre tombe.

Les hurlements sont proches, maintenant. Là, juste derrière lui.

Comme une brûlure intolérable dans son dos ; une musique infernale dans ses oreilles. Là, si près… Il se retourne. Rien. Avancer, encore.

Avec deux morceaux de bois en guise de béquilles, il marche. Il ramperait, s'il le fallait.