Il n'abandonnera pas, ne laissera pas le feu s'éteindre.
À la mémoire des martyrs.
Ses amis.
Alors que l'avion prend de l'altitude, il songe à Salimata. Qui doit être morte d'inquiétude de ne plus avoir de ses nouvelles. De ne pas savoir où il se trouve. Et qui ne peut même pas, faute d'un visa en règle, entreprendre la moindre démarche pour tenter de le retrouver.
Il se dit qu'il lui téléphonera ou lui écrira, une fois arrivé à Bamako. Pour lui raconter l'effroyable calvaire qu'il vient d'endurer.
Puis, il se ravise. Garder un contact avec elle, ce serait la mettre en danger.
Il sait que le Lord le poursuivra jusqu'en Afrique, jusqu'au bout du monde, jusqu'en Enfer.
Il sait que la traque ne fait que commencer.
Adieu, Salimata…
Le Lord sirote son café sur la terrasse couverte. Il écoute, admire cet hiver qui s'annonce un peu rude.
Bientôt, il repartira en chasse.
Aujourd'hui, un cerf sera sa cible ; un mâle magnifique repéré la veille.
Les chasses à l'homme, c'est terminé. Ici, en France. Déjà il songe à s'expatrier, à exporter son savoir-faire.
Car ici, c'est devenu trop dangereux.
Il a dû appeler à la rescousse ses appuis les plus haut placés pour s'extirper en finesse de ce mauvais pas. Delalande lui a filé un coup de main. À eux deux, ils ont rameuté les types les plus influents de ce pays.
Le témoignage d'un sans-papiers malien contre celui d'un richissime propriétaire terrien, ça ne vaut pas grand-chose. Même si les gendarmes de base auraient bien voulu mettre leur nez dans ses affaires.
Mais non, il ne sera plus harcelé. C'est déjà une histoire ancienne. Les képis sont muselés, persuadés en douceur qu'il s'agit là d'une fable abracadabrante. Qu'ils ont en face un homme au-dessus de tout soupçon. Un ami des puissants de cet État, irréprochable.
Intouchable.
Il faut juste qu'il trouve le moyen de bâillonner cet homme, celui qui a réussi l'exploit de lui échapper. Cet homme qu'il admire…
Si seulement il avait gardé le silence, s'était contenté de jouir du bonheur d'être en vie.
Le Lord paiera le prix qu'il faut pour s'en débarrasser, c'est juste une question de jours ou de semaines désormais.
Une nouvelle traque commence…
Roland Margon lit le journal, attablé au café, juste en face de son officine.
Un petit ballon de blanc posé devant lui.
Un vent frais dégringole des monts cévenols, le ciel est d'un bleu pur. Incroyablement pur.
Le quotidien régional fait une fois de plus la une avec le fait divers ayant ensanglanté la semaine. La mort tragique d'une photographe, retrouvée lundi dernier, étranglée sur le bas-côté d'une route déserte. Même modus operandi que pour l'assassinat de la petite Julie sauf que la victime a reçu une balle dans le bras avant d'être assassinée. Ce qui n'avance guère les gendarmes qui continuent à chercher l'arme en question. Sans se douter qu'elle gît au fond d'une ancienne mine… Toujours aucune piste pour retrouver le serial killer. Certains journaux ont même osé titrer : Retour de la bête en Gévaudan… !
Roland sourit, tout en caressant le museau de Katia. Quels cons, ces journalistes ! Le Gévaudan, c'est à une centaine de kilomètres d'ici. Mais ça frappe les esprits, c'est certain…
Margon aimerait bien la rencontrer, la bête du Gévaudan !
Celui qui, par deux fois et sans le savoir, lui a sauvé la mise. En le débarrassant de Julie, d'abord, puis de Diane, ensuite. Oui, il aimerait connaître ce dingue pour le remercier.
Mais, ignorant son identité, il remercie simplement sa bonne étoile.
Demain matin, il fermera boutique pour se rendre à l'enterrement. La moindre des choses.
Il a commandé une magnifique gerbe de fleurs qui ornera le cercueil.
Celui de Séverin Granet.
Qui s'est suicidé d'une décharge de chevrotine en pleine tête, le lendemain de la découverte du cadavre de Diane.
Personne n'a compris son geste désespéré. Il n'a laissé aucune explication, aucune lettre.
Margon non plus, ne comprend pas vraiment. A la rigueur, il aurait pu concevoir que la peur de la taule pousse Séverin à cette extrémité ; pendant les quarante-huit heures où ils n'ont pas su à quoi s'en tenir, où ils craignaient de voir débarquer à chaque instant les gendarmes chez eux…
Quarante-huit heures d'angoisse.
Quarante-huit heures d'un insoutenable doute. Parlera, parlera pas…
Et puis, il y a eu la délivrance, en ce lundi matin. Lorsque la nouvelle s'est propagée de village en village, à la vitesse de l'éclair.
La photographe est morte. Assassinée.
Soulagement.
Oui, Roland aurait pu comprendre que Granet succombe à cette intolérable attente. Mais s'exploser la cervelle le lendemain de la découverte du cadavre…
Il finit son verre, adresse un signe amical au patron. Puis, d'un pas lent, il rejoint sa pharmacie.
Il n'a ni sang sur les mains, ni tache sur la conscience. Ce n'est pas lui qui l'a tuée.
Une nouvelle journée de travail commence, identique à toutes les autres.
Une journée sans histoires.
Un meurtrier dénué de remords ressemble à s'y méprendre à un innocent…