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Tout s'explique ! Je me suis fait piéger comme un con…

Le Lord qui est là aussi, main sur la crosse de son fidèle revolver. Il sourit.

Comme le squale sourit avant d'ouvrir sa gueule béante.

Comme la mort sourit avant de vous prendre.

— Je vais vous expliquer les règles du jeu, annonce-t-il calmement.

Même s'ils ne tiennent pas spécialement à entendre ces fameuses règles du jeu, ils n'ont guère le choix.

— Toi, le clodo, écoute bien ! continue le Lord. Parce que tu parles français et que tu devras expliquer aux autres ensuite. J'ai invité des amis à passer le week-end dans ma propriété… Et je leur ai promis un séjour inoubliable !

Dehors, devant le manoir, les fameux invités discutent. Trois mecs et une nana bizarrement fringués. Le petit personnel amène des chevaux sellés ; les chiens aboient, heureux d'être sortis de leur cage.

Rémy a déjà compris. Pourtant, il ne peut croire que tout cela soit réel.

Un équipage de chasse à courre, comme il a pu en voir à la télé ou au ciné dans sa vie d'avant. Sauf qu'ils sont moins nombreux. Sauf que…

— Mes amis et moi allons nous offrir une bonne partie de chasse aujourd'hui, poursuit le châtelain en fixant Rémy droit dans les yeux. À ton avis, quel gibier allons-nous traquer ?

Rémy avale sa salive avant de répondre, la gorge serrée. Ses amygdales ont dû enfler durant la nuit.

— Nous, articule-t-il enfin.

— Exact ! Bravo, je vois que tu comprends vite ! D'habitude, ils sont plus lents à la détente !

D'habitude ? Rémy serre les mâchoires. Ils sont tombés dans un repaire de psychopathes.

Le pire, c'est qu'il est monté de son plein gré dans la Mercedes. S'il pouvait se filer une raclée, il ne s'en priverait pas.

— Mes invités viennent de loin pour participer à ce jeu ! Du monde entier…

Le bourge s'approche et murmure :

— Et ils paient surtout très cher…

— Pourquoi vous faites ça ?!

— Je viens de te le dire ! Tu ne m'écoutes pas ou quoi ?… Pour le fric, bien entendu ! Avant, j'organisais des chasses aux fauves en Afrique, c'était bien… Mais j'ai trouvé quelque chose de plus lucratif… Car les clients veulent toujours plus. Plus d'adrénaline, de risques, de nouveauté…

On dirait qu'il fait un exposé, une sorte de cours magistral. Peut-être tente-t-il de justifier l'injustifiable ?

— Un gibier qu'ils n'ont jamais chassé… Un qu'ils n'ont pas le droit de tuer ! Ils sont prêts à payer un maximum pour ça !

Eyaz fronce les sourcils. Visiblement, il n'a pas compris grand-chose au laïus débité par le Lord. Hamzat, le géant du Caucase, sautille d'un pied sur l'autre. Quant à Sarhaan, il demeure figé telle une statue d'ébène. Imperturbable, en apparence.

— Vous êtes vraiment une pourriture ! grogne Rémy.

— Juste un homme d'affaires ! Certains clients considèrent même que je rends service à mon pays en débarrassant de la vermine ou des métèques ! De sous ceux qui viennent l'envahir pour le vider de son sang…

Il fixe Eyaz.

— Et même des bougnouls, des terroristes…

Rémy écarquille les yeux. Quels bougnouls  ? Ça lui permet de se remémorer un peu brutalement que les Tchétchènes sont musulmans… ça commence fort ; wohl mein Fuhrer !

Le Tchétchène ne répond pas mais affronte le regard de son geôlier sans sourciller. Le mot terroriste, il l'a fort bien compris. Sans doute parce que c'est le même qu'en anglais. Le bourge se tourne à nouveau vers Rémy.

— Ils pensent que je le débarrasse aussi des parasites dans ton genre, assène-t-il. Personnellement, je me fous de leurs convictions ou de leurs motivations, du moment qu'ils paient et restent discrets… Moi, je fais ça pour l'argent et le plaisir. Rien d'autre… Je joins l'utile à l'agréable, en somme !

Rémy s'est planté. Ce n'est pas mein Fuhrer. Il n'agit même pas par idéologie. Non, c'est juste un jeu qui lui rapporte gros.

L'utile à l'agréable…

Simple distraction grassement rémunérée.

— Au cas où vous auriez un doute, je précise que cette journée se terminera mal… pour vous, bien sûr !

Oui, c'est bien un cauchemar. Un film d'horreur. Comment Rémy aurait-il pu imaginer que cela existait ? Dans son propre pays.

Honte soudaine vis-à-vis des trois étrangers à ses côtés.

— Tu vas finir en taule ! lance-t-il en désespoir de cause.

Il se trouve pitoyable.

— Vraiment ? ricane son ennemi. Contrairement à toi, je ne suis pas un idiot ! Pourquoi crois-tu que je t'ai posé toutes ces questions hier soir, tandis que tu t'empiffrais ? As-tu vraiment pensé que je compatissais à ton triste sort ?! Pas de famille, pas d'amis, personne pour se soucier de ton avenir ! Quant à ces trois-là, ils n'ont même pas d'existence légale…

Le sourire du Lord change ; devient plus cynique encore.

— Tu dois t'en vouloir, non ? D'être venu à mon secours, je veux dire !… C'était juste un test, pour voir ce que tu avais dans le ventre. J'ai pas été déçu !

— Et si je n'avais pas bougé ?

Le bourge hausse les épaules.

— J'avais repéré un autre clodo… Tu n'étais pas le seul postulant !

Rémy a envie de le pulvériser. Mais l'œil noir de la carabine lui ôte ses velléités vengeresses.

— Bon, assez parlé ! Les chevaux et les chiens s'impatientent, on dirait…

Il recule d'un pas.

— Je vois que notre ami a une montre, ajoute-t-il en regardant le poignet de Sarhaan. Ça tombe bien ! Je vous laisse une demi-heure d'avance.

Il a balancé ça d'un ton cinglant. Cruel. Toujours avec le sourire.

Les quatre prisonniers ne bronchent pas ; le molosse leur ordonne de sortir. Ils hésitent.

— Vous préférez mourir tout de suite ? menace le châtelain en armant son flingue.

Enfin, ils mettent le nez dehors, marchent en direction des invités qui les reluquent sous toutes les coutures. Ils sont l'attraction du jour… Des bêtes de foire.

Deux types s'approchent, tenant six chiens au bout d'une longe. Les clébards se précipitent vers eux, commencent à leur renifler les mollets.

— Allez ! enjoint le Lord. Maintenant, vous pouvez y aller !

Personne ne bouge. Aller où ? Et pourquoi ?

Quelle est donc cette mascarade ? C'est forcément une farce, une plaisanterie de mauvais goût qui cessera lorsque les invités se seront bien marrés.

Pas possible autrement !

— Vous êtes sourds ? Une demi-heure, pas une minute de plus. Ensuite, on se met en selle… Ou plutôt, en chasse ! Alors à votre place, je ne traînerais pas…

*

Diane reprend son souffle. Elle vient de dévaler une pente abrupte, s'accrochant aux buissons, aux branches basses, aux racines.

Elle ne le voit plus, comme s'il s'était évaporé dans le soleil levant.

— Et merde ! murmure-t-elle.

Il lui a échappé.

Un magnifique chevreuil dont elle aurait volontiers tiré le portrait !

Elle renonce, décide de continuer sa randonnée. Mais elle est sortie des sentiers balisés pour poursuivre son gibier, il lui faut donc retrouver le droit chemin.

C'est à ce moment qu'elle distingue une sorte de ruine, un peu en contrebas, au milieu d'une petite trouée dans la futaie.

Joli cliché en perspective.

Elle se dirige vers la vieille baraque au toit de lauzes, déviant encore un peu plus de son itinéraire.