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Si seulement il n'était pas brouillé à mort avec son paternel ! Pour un truc sans importance, en plus. Si seulement sa mère était encore là… Elle lui aurait pardonné, l'aurait aidé.

Mais il n'a plus personne.

Maman a succombé à un cancer ; papa refuse d'ouvrir sa porte. Fils unique, il ne peut se tourner vers un frère ou une sœur.

Plus personne, non.

Il cherche un boulot ; n'en trouve pas. Sauf des jobs à la sauvette qui lui permettent de ne pas crever de faim.

Le voilà dormant sur les bancs publics, dans les squares ; parfois même sur le pavé.

Il a mis un doigt dans l'engrenage, sera bientôt aspiré tout entier.

Broyé. Déchiqueté. Laminé.

Pas de domicile, pas de boulot.

Pas de boulot, pas de domicile.

Contraint et forcé, il appelle à la rescousse celle qui sera bientôt son ex-femme. Il fait amende honorable une fois encore, se transforme en serpillière humaine. Je suis le père de ta fille, l'aurais-tu oublié ?… Mais elle refuse de l'aider ou même de l'écouter. À croire qu'elle avait bien d'autres griefs à son encontre, bien d'autres choses à lui reprocher que sa petite incartade d'un soir.

À croire qu'elle n'attendait qu'un prétexte pour mettre un point final à leur relation.

Pourtant, il n'avait rien vu venir… Il tombe des nues. Dix ans passés à ses côtés et il ne la connaît pas. Ne la reconnaît pas.

Il découvre la soupe populaire, les Restos du Cœur auxquels il n'avait jamais daigné filer le moindre centime mais qui, sans rancune, lui donnent à bouffer.

Il découvre la déchéance, progressive, implacable. Qui le grignote, jour après jour.

Il découvre le regard des autres, féroce ou compatissant, posé sur lui, telle une insulte.

Insoutenable.

Il découvre l'indifférence de la foule, ces milliers de gens qui évitent seulement de le piétiner.

Ces gens dont il faisait partie, avant.

Il apprend la solitude au milieu des autres. La pire de toutes. La plus cruelle.

Il apprend à tendre la main, aux portières des bagnoles, aux passants dans le métro, aux voyageurs devant les gares. Il apprend combien ça fait mal.

Il apprend la belle étoile, le froid, la pluie, l'orage.

Pisser dans les caniveaux ou les jardinières. Ne pas se laver tous les jours, ne pas manger à tous les repas.

Terminé les vacances à Courchevel ou en Espagne. Terminé les bons petits plats de sa fidèle épouse. Terminé les histoires qu'il lisait le soir à Charlotte. Au placard, costards, cravates et pompes de marque. Oubliée la douceur du foyer où il s'ennuyait parfois. Oublié Rémy.

Bien sûr, il essaie de revoir sa fille. Au fil des mois, le manque devient vraiment insupportable… En stop, il descend jusqu'à Lyon. Mais arrivé près de son ancienne maison, il se ravise, incapable de franchir les derniers mètres.

Paralysé à l'idée de montrer à Charlotte ce qu'il est devenu.

Peur de lui faire peur. Honte de lui. De cette épave qui lui ressemble vaguement.

Peur de revoir son ex, aussi. De découvrir qu'elle a déjà reconstruit sa vie, qu'il est remplacé par un autre, après seulement quelques mois d'absence.

Alors, il se persuade qu'il reviendra plus tard, lorsqu'il aura retrouvé apparence humaine. Lorsqu'il aura retrouvé son statut social, son rang.

Sa dignité.

Car forcément, il ne s'agit que d'une mauvaise passe, d'un accident de parcours.

Car, forcément, il va s'en sortir. Redevenir ce qu'il a été.

Rémy n'est jamais redescendu à Lyon. Chaque matin, au réveil, une phrase revient. Coup de massue sur la tête.

Si seulement j'avais pas déconné  !

Quand il y repense, il se planterait volontiers un couteau en plein cœur. Le tournerait dans la plaie, plusieurs fois.

Elle n'avait rien d'exceptionnel, cette nana ! C'est juste que ça l'excitait de se taper la femme du patron. Ça lui prouvait qu'il pouvait séduire. Ça mettait un peu de piment dans sa vie.

Un peu de piment ?

Ça a carrément mis le feu, oui ! Jusqu'à ce qu'il ne reste que des cendres. Aller simple pour l'enfer.

C'est pour une partie de jambes en l'air qu'il est là, aujourd'hui. La vie est barbare. Sans pitié.

Chapitre 4

8 h 30

— Dire que j'ai chassé quand j'étais plus jeune ! enrage Rémy. Quel con ! Je promets de ne plus jamais recommencer, mon Dieu !

— Économise ton souffle ! conseille Sarhaan.

Ils ont cessé de courir. Ils marchent, vite, en dehors des sentiers, au cœur du sous-bois qui leur semble protecteur. Rémy progresse juste derrière le Malien, tandis que les Tchétchènes jouent les éclaireurs.

— Putain, je commence à croire qu'il n'y a pas de clôture à cette propriété !

— Y en a forcément une ! rétorque le Black. Sinon, ce serait trop facile pour nous !

— Comment on peut avoir un terrain aussi grand ?

— Quand on a du pognon.

— Quelle heure il est ?

— Huit heures et demie. Ça fait vingt minutes qu'ils nous poursuivent…

— Ils sont peut-être partis dans le mauvais sens !

— Espérons…

— J'arrive pas à croire qu'on soit tombés dans ce traquenard !

— Vaudrait mieux la fermer, maintenant…

— J'arrive pas à croire que ces malades s'amusent à organiser des chasses à l'homme pour occuper leurs week-ends !

— Vive la France ! ironise Sarhaan.

Eyaz et Hamzat demeurent muets, exclus de cette conversation à laquelle ils ne comprennent pas grand-chose. Quelques mots, de-ci de-là. Mais ils ont tout de même saisi la tragique situation. Le rôle qu'ils jouent dans ce mauvais film. Ils regrettent d'avoir quitté leur pays, même si là-bas, c'est pire que l'enfer. Ils auraient préféré mourir chez eux, parmi les leurs, plutôt qu'ici.

Soudain, Rémy s'immobilise.

— Vous entendez ? chuchote-t-il.

— Quoi ?

— Les clébards…

Ils observent un silence religieux.

— C'est loin, murmure Sarhaan.

— Mais ça se rapproche… !

Les Tchétchènes se remettent à cavaler, les autres leur emboîtent le pas.

Courir, toujours plus vite. Plus loin.

Fuir la mort qui plane au-dessus d'eux ; oiseau de proie aux ailes gigantesques dont l'ombre les dévore déjà.

Ce n'est qu'un jeu, pourtant.

*

Le charognard tournoie dans le ciel, au-dessus de la forêt. Un vautour fauve, si majestueux en vol, si maladroit au sol… Quelques mètres en dessous de lui, quatre hommes en kaki marchent à toute allure.

— Faut la retrouver ! s'écrie Roland Margon en accélérant encore le pas.

— Et après ? demande Séverin. Qu'est-ce qu'on fera ?

Le pharmacien se retourne pour le toiser méchamment.

— Qu'est-ce que tu veux faire ? Je te signale qu'on vient de buter un type. Que ton fils vient de buter un type !

— Hé ! On est tous mouillés !

— Ouais, mais c'est Gilles qui a porté le coup mortel !

Le fiston reste muet ; il semble complètement anéanti.

— Et si la nana parle aux gendarmes, on se retrouve tous les quatre à l'ombre ! assène Roland.

— On voulait pas le tuer ! Et puis c'était un meurtrier, un salaud ! répond Séverin.

— Ça changera pas grand-chose, ajoute soudain le patron de l'auberge. Si elle nous dénonce, on va en prison. Et pour un bon moment…

Ils se taisent quelques instants, puis Margon reprend la parole, les rênes de ce drôle d'équipage.