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— J'ai une femme, deux gosses. Je veux pas finir en taule. Alors il faut retrouver cette fille et la faire taire.

Encore un silence. Épais, meurtri. Coupable ou effrayé.

— Suffit peut-être de la menacer pour qu'elle ferme sa gueule ? hasarde soudain l'aubergiste.

— En tout cas, il faut lui mettre la main dessus, conclut Margon. Et c'est pas gagné !

*

9 h 00

— J'en peux plus… J'vais crever…

Sarhaan le prend par le bras.

— Dépêche-toi… Faut pas rester là !

— J'vais crever, j'te dis !

— Si tu restes là, oui, tu vas crever !

— Tu m'emmerdes !

Rémy essaie de recouvrer un semblant de souffle. Ses trois compagnons aussi sont fatigués. Mais ils se montrent tout de même plus endurants que lui.

— Essaie de marcher, au moins…

Rémy se remet en route.

— Peut-être qu'ils veulent pas nous descendre… juste s'amuser, dit-il d'une voix cassée.

— T'as vu ses yeux, au type ? Tu crois vraiment qu'il plaisantait ? Tu penses qu'il va nous laisser rentrer chez nous après ça ? Nous, on peut pas aller chez les flics, mais toi, tu peux… Alors non, c'est pas un jeu.

Démonstration implacable qui brise les dernières chimères de Rémy. Même s'il a appris la cruauté humaine par la force, il ne peut se résoudre à accepter que ses semblables soient capables de ça.

D'une telle horreur.

Ses petits camarades, eux, paraissent moins abasourdis. Sans doute ont-ils vécu ou simplement vu des choses si dures qu'ils savent jusqu'où l'humain peut aller.

Jusqu'à quelles extrémités. Jusqu'à quelle sauvagerie. Soudain, Eyaz se met à crier, à faire de grands gestes. Le mur. Enfin.

Ils se précipitent, lèvent la tête. La muraille de Chine, plutôt.

— Merde ! On n'arrivera jamais à franchir ce truc ! peste Rémy.

Deux mètres cinquante de haut, une clôture métallique au-dessus.

— On peut passer ! assure Sarhaan.

— Oui, mais pas tous. Il y en a forcément un qui va rester là…

Trois qui passent, un qui reste. Trois qui vivent, un qui meurt. Ams tram gram…

Ils se dévisagent un instant, tandis qu'au loin les aboiements leur rappellent qu'ils n'ont ni le temps de tirer au sort, ni celui d'échanger des adieux déchirants.

— Bon, vous montez sur mes épaules, décide Sarhaan. Vous allez chercher du secours et moi, je vous attends… Je compte sur vous, hein ?

Rémy le considère avec admiration. Personne, jamais, ne s'est sacrifié pour lui. Un instant, il songe à prendre sa place. Un bref instant, seulement.

Le Malien se poste dos au rempart, adresse un signe à Hamzat qui n'hésite pas plus longtemps. La courte échelle, le voilà sur les épaules du grand Black. Il s'agrippe en haut du mur. Sarhaan a du mal à supporter le poids du jeune colosse tchétchène, mais il tient bon.

Stoïque.

— Allez ! encourage Rémy. Vas-y petit ! Passe par-dessus… Je reviendrai avec les poulets, Sarhaan, j'te jure !

Eyaz aussi pousse son frangin à accélérer le mouvement.

Hamzat se hisse tant bien que mal en s'accrochant à un piquet métallique. Et brusquement, le choc. Il pousse un cri, lâche prise, part en arrière.

S'écrase au sol dans un bruit effrayant.

Là, aux pieds de son frère aîné.

*

Se planquer derrière un buisson, un rocher ? Ou courir le plus vite possible ?

Pour le moment, Diane a choisi la fuite. D'instinct.

Elle sait qu'ils sont derrière. Juste derrière. Avance minime, infime.

Comme son espérance de vie, désormais.

Elle sait qu'ils ratissent le terrain à sa recherche.

Pour la tuer.

D'une balle dans la tête ou pire. En la rouant de coups, comme le jeune homme dont le visage terrorisé et les cris de souffrance la harcèlent.

Elle s'est arrêtée quelques secondes pour consulter sa carte. Ses mains tremblent, sa vue se trouble. Son cœur menace d'imploser.

Elle sait à peu près où elle se trouve.

Rejoindre sa voiture, voilà ce qu'elle doit faire.

Avant de se remettre en marche, elle essaie à nouveau d'utiliser son portable ; pas de réseau, évidemment.

— Merde, merde, merde…

Elle a beau orienter le téléphone dans toutes les directions, il s'obstine à clignoter, inutile.

Déjà que ça ne passait pas au village, alors ici… Au milieu de nulle part. Elle repart.

Pour atteindre sa bagnole, elle va devoir revenir en arrière.

Le terrain est accidenté ; progresser en dehors des chemins s'avère souvent impossible. Trop périlleux. Si elle se casse une jambe, elle est condamnée.

A force de courir droit devant, de s'écorcher la peau sur les buissons épineux, de se tordre les chevilles, elle a fini par atterrir sur une nouvelle piste forestière. Si ses calculs sont exacts, les poursuivants sont plus en contrebas. Elle devrait donc les contourner par le haut.

A moins qu'elle ne tombe pile sur eux.

Une chance sur deux.

Une chance sur mille…

*

9 h 30

Clôture électrifiée. Ils auraient dû s'en douter. Ces salauds ont tout prévu. C'était trop facile.

Rémy avance. Presque comme un automate. Un pied devant l'autre, le poids d'Hamzat qui s'appuie sur son épaule. Il s'est pété un genou en tombant ; son aîné, Sarhaan et Rémy se relaient pour le soutenir, l'aider. Lui qui ne se plaint même pas, se contente juste de grimacer chaque fois que son pied droit effleure la terre.

Rémy avance.

Avec le poids de la peur qui comprime son cœur. Le poids de la fatigue, comme un boulet enchaîné à ses jambes.

Le poids du passé d'où germent remords et regrets.

Il marche avec la nette impression d'aller à reculons. De s'enfoncer dans la mélancolie. Dans le néant.

Je vais crever. Alors que je n'ai profité de rien. Alors que j'avais une vie de chien.

Je vais finir comme un chien.

Logique, après tout. Mourir comme il a vécu.

Il devrait être ailleurs, en ce moment même. En train de savourer un copieux petit déjeuner en compagnie de sa femme et de sa fille. Il arrive presque à sentir l'odeur des croissants, du café. Presque à entendre le rire de Charlotte, toujours de bonne humeur au saut du lit.

Mais non, il est là, errant dans ces bois inhospitaliers, avec ces inconnus qui fuient comme lui. Avec ce blessé qui pèse lourd, de plus en plus lourd.

Avec ces fumiers qui le traquent, tel un gibier.

Il est devenu une proie. Rien de plus.

Un amusement pour milliardaires pervers, assoiffés de sang.

Il réalise qu'il est là parce qu'il n'était déjà plus dans la vie.

Un déchet ramassé dans une poubelle.

Pas de famille, pas d'amis, personne pour se soucier de ton avenir.

Cette pourriture a raison. Si je disparais, personne ne s'en apercevra.

On peut me jeter dans une fosse commune, personne ne réclamera mon corps.

Je peux crever, tout le monde s'en balance.

Je ne suis rien. Plus rien depuis longtemps.

Un macchabée qui respire, parle et marche.

Je n'existe plus.

Déjà mort.

Alors, pourquoi ai-je aussi peur ?

Chapitre 5

10 h 00

D'habitude, les parties de chasse entre amis sont des moments privilégiés qu'ils ne manqueraient pour rien au monde. Roland Margon confie les clefs de son officine à son assistante, Hugues ferme son auberge, Séverin Granet et son fils abandonnent l'exploitation le temps d'une journée. Non, ils ne s'en priveraient pour rien au monde. Ces instants de complicité, de franche camaraderie.