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Sur leurs mondes natals, ils étaient tous des personnages importants, sur le plan médical s’entend. Le Secteur Général était le seul lieu où ils seraient considérés comme des stagiaires débutants et, pour certains d’entre eux, le passage du statut de maître incontesté à celui de simple élève s’avérerait difficile. C’était pour cette raison qu’il fallait faire preuve d’énormément de tact, lorsqu’on avait affaire à eux à ce stade. Plus tard, cependant, lorsqu’ils se seraient accoutumés à cette nouvelle vie, ils pourraient être réprimandés pour leurs erreurs comme tous les autres membres du personnel.

— Je propose de commencer la visite par la Réception, leur dit Conway. C’est dans ce service que l’on règle les problèmes d’admission et de premiers soins. Puis, à condition que l’environnement ne nécessite pas pour vous des protections compliquées et que l’état des patients ne soit pas critique, nous visiterons les services proches afin de vous permettre de voir comment s’effectue l’examen des patients qui viennent d’être admis. Si l’un de vous désire me poser des questions, qu’il n’hésite surtout pas à le faire.

« Pour nous rendre à la Réception, ajouta-t-il, nous emprunterons des couloirs qui risquent d’être bondés de monde. Il existe un système compliqué de priorité qui régit les droits de passage selon le statut des membres du personnel médical, un système que vous apprendrez plus tard. Mais pour l’instant, il est suffisant que vous vous souveniez d’une règle très simple : si l’être qui arrive en face de vous appartient à une espèce plus volumineuse que la vôtre, écartez-vous de son chemin.

Il était sur le point d’ajouter qu’aucun médecin du Secteur Général « n’écraserait » délibérément un collègue, mais estima préférable de s’en abstenir. Un grand nombre d’extra-terrestres ne possédaient pas le moindre sens de l’humour et une plaisanterie aussi inoffensive, si elle était prise littéralement, pourrait engendrer des complications sans fin.

— Suivez-moi, je vous prie.

Conway prit des dispositions afin que les cinq AACP qui étaient les membres les plus lents du groupe, soient placés juste derrière lui et règlent ainsi l’allure des autres. Derrière eux venaient les Kelgiens, dont la démarche ondulante n’était guère plus rapide que celle des créatures végétales qui les précédaient. Le PVSJ vivant dans le chlore venait ensuite et l’octopode Creppelien fermait la marche. Le gargouillement de son scaphandre était un signal sonore qui indiquait à Conway que sa longue queue de cinquante mètres était toujours d’une seule pièce.

En raison de leur éloignement, il était inutile que Conway tentât de leur parler, et ils effectuèrent la première partie de la visite en silence : trois rampes ascendantes et deux corridors rectilignes de cent mètres qui tournaient à angle droit. L’unique personne qu’ils croisèrent était un Nidien qui arborait le brassard d’un interne ayant deux ans d’ancienneté. Les Nidiens avaient en moyenne un mètre de hauteur et personne ne courait le risque d’être écrasé. Ils atteignirent le sas interne qui donnait accès à la section aquatique.

Dans le vestiaire adjacent, Conway surveilla les deux Kelgiens qui revêtaient leurs scaphandres, puis il se glissa à son tour dans une combinaison légère. Les AACP déclarèrent que leur métabolisme végétal leur permettait de rester sous l’eau durant des périodes importantes sans devoir revêtir de combinaison protectrice. L’Illensien portait déjà un scaphandre afin de pouvoir se déplacer dans l’atmosphère chargée d’oxygène et il le protégeait également contre l’eau, qui était pour lui un poison au même titre. Mais le Creppelien, qui était un être aquatique, voulait ôter son scaphandre … Il possédait huit pattes qui avaient grand besoin de se dégourdir, déclara-t-il. Conway le lui interdit, en raison du fait qu’ils ne resteraient dans la cuve qu’une quinzaine de minutes.

Le sas s’ouvrit sur le service AUGL principal, un vaste réservoir obscur empli d’eau tiède et glauque de cinquante mètres de profondeur et de cent vingt-cinq mètres de diamètre. Conway découvrit bientôt que guider les stagiaires dans la traversée de la cuve, du sas à l’entrée du corridor était comparable à vouloir conduire un troupeau de bétail à trois dimensions à travers de la glue. Le Creppelien excepté, tous perdirent leur sens de l’orientation dès qu’ils furent dans les flots. Conway, qui nageait frénétiquement autour d’eux, gesticulait et leur criait des instructions. Et en dépit des éléments de refroidissement et de dessiccation de sa combinaison, celle-ci devint rapidement une véritable étuve. Il perdit son calme à plusieurs reprises et dirigea ses élèves dans des directions autres que celle de l’entrée du couloir.

Et, durant un instant de grande confusion, un patient AUGL vint vers eux en nageant lourdement. Cet être de dix mètres à carapace, un poisson originaire de Chalderscol, s’approcha à cinq mètres des AACP, ce qui provoqua presque la panique au sein de leur groupe.

— Des étudiants ! dit-il sur un ton méprisant.

Puis il s’éloigna en nageant. Tous savaient que les Chalders étaient particulièrement asociaux durant leur convalescence, mais cet incident n’apaisa aucunement la colère de Conway.

Il avait l’impression que bien plus d’un quart d’heure s’était écoulé lorsqu’ils furent réunis dans le couloir qui s’ouvrait de l’autre côté de la cuve.

— À trois cents mètres, à l’extrémité de ce passage, se trouve le sas de transfert qui donne sur la Réception, dont l’atmosphère comporte de l’oxygène, annonça-t-il. La Réception est le service dont la visite est la plus instructive, lorsqu’on arrive ici. Ceux d’entre vous qui portent des vêtements protecteurs uniquement dans un milieu liquide devront ôter leurs combinaisons, les autres pourront continuer …

Tandis qu’il nageait vers le sas, le Creppelien s’adressa à un des AACP.

— Le nôtre est censé être empli de vapeur surchauffée, mais j’estime qu’il faudrait avoir fait quelque chose de particulièrement grave pour être envoyé ici.

Ce à quoi le AACP répliqua :

— Notre enfer est très chaud, lui aussi, mais on n’y trouve pas la moindre trace d’humidité …

Conway était sur le point de présenter ses excuses pour avoir perdu son sang-froid à l’intérieur du réservoir, car il craignait d’avoir blessé quelques extra-terrestres très susceptibles mais, de toute évidence, ils n’avaient pas pris ses paroles bien au sérieux.

VI

À travers la paroi transparente de la galerie d’observation, la Réception était une vaste salle obscure où se trouvaient trois grands pupitres de contrôle, dont un seul était occupé pour l’instant. L’être qui y était assis était un autre Nidien, un petit humanoïde aux mains à sept doigts à la fourrure rousse et drue. Sur la console, des voyants indiquaient qu’il venait de prendre contact avec un vaisseau qui approchait de l’hôpital.

— Ecoutez … dit Conway.

— Veuillez vous identifier, je vous prie ! aboya l’ourson en peluche rousse.

Sa voix de staccato était traduite dans les oreilles de Conway en un anglais sans timbre et parvenait aux autres en Kelgien, Illensien, ou n’importe quelle autre langue, également sans la moindre intonation.

« Malades, visiteurs, médecins et espèces?

— Pilote, avec un patient à bord, entendit-on en réponse. Tous deux humains.

Il y eut une brève pause, puis :

— Veuillez indiquer votre classification physiologique ou établir un contact visuel, dit le Nidien qui adressa un clignement d’œil extrêmement humain à l’attention des observateurs présents dans la galerie. « Tous les membres de races intelligentes pensent qu’ils sont humains et estiment que les autres ne le sont pas. Le terme que vous vous donnez ne peut être d’aucune utilité pour effectuer les préparatifs destinés à l’accueil du patient en question …