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— Seulement moi. Ça ne vous gêne pas, si je commande un steak?

— Non, évitez simplement d’en parler.

— Soyez tranquille.

Conway ne connaissait que trop la confusion, la double vision mentale et les perturbations émotionnelles intenses qui étaient indissociables de toute bande physiologique profondément ancrée dans l’esprit d’un chirurgien. Il se souvenait parfaitement de ce qui s’était produit seulement trois mois plus tôt, lorsqu’il était tombé irrémédiablement … au sens propre du terme … amoureux d’une créature faisant partie d’un groupe de spécialistes de Melf IV venus visiter l’hôpital. Les Melfiens étaient des ELNT, des êtres amphibies à six pattes auxquels on pouvait trouver une vague ressemblance avec des crabes. Et pendant qu’une moitié de son esprit lui répétait que c’était absolument ridicule, l’autre moitié se consumait d’amour pour cet être à carapace et voulait hurler à la lune.

Les bandes physiologiques étaient décidément des armes à double tranchant, mais on ne pouvait s’en passer. Aucun être n’aurait pu espérer garder dans son cerveau la masse de données physiologiques nécessaires au traitement des diverses catégories de patients d’un hôpital à multi-environnements. La quantité impensable de renseignements requis pour pouvoir s’occuper d’eux était fournie par les bandes éducatrices sensorielles, qui étaient tout simplement les enregistrements cérébraux des plus grands spécialistes médicaux des diverses espèces concernées. Si un médecin terrien devait soigner un patient Kelgien, il lui suffisait de prendre une des bandes physiologiques DBLF et de la conserver jusqu’à la fin du traitement, après quoi il la faisait effacer. Mais les professeurs, qui avaient également une tâche d’enseignants, devaient souvent conserver ces bandes durant de très longues périodes, ce qui n’était pas le moins du monde amusant.

L’unique élément positif, selon leur point de vue, était que leur sort était plus enviable que celui des diagnosticiens.

Ces derniers représentaient l’élite de l’hôpital. Un diagnosticien était un de ces êtres exceptionnels dont l’esprit avait été jugé suffisamment stable pour pouvoir conserver simultanément, et en permanence, jusqu’à dix bandes physiologiques différentes. C’était à leurs esprits bondés de savoir qu’étaient confiées les recherches de médecine xénologique, le diagnostic et le traitement des nouvelles maladies de formes de vie jusqu’alors inconnues. Au sein du personnel de l’hôpital circulait un adage dont la paternité était attribuée à O’Mara. Selon lui, tout médecin suffisamment sain d’esprit pour vouloir devenir diagnosticien était fou à lier.

Car ces bandes ne communiquaient pas uniquement des données physiologiques. La personnalité et tous les souvenirs de l’entité qui avait possédé ces connaissances étaient en même temps transmis au cerveau récepteur. Un diagnosticien se soumettait volontairement à la forme la plus drastique de schizophrénie multiple et la personnalité étrangère qui partageait son esprit était parfois à tel point différente que, dans de nombreux cas, donneur et receveur ne possédaient même pas un système de logique en commun.

Conway reporta ses pensées sur l’instant présent. Mannon parlait à nouveau.

— Il y a un détail amusant au sujet du goût de cette salade, dit-il sans quitter le plafond des yeux. Aucun de mes alter ego ne semble en faire le moindre cas. Seule la vue compte, pour eux, pas le goût. Ils n’apprécient pas particulièrement ce plat, sans pour autant le trouver répugnant, alors que certaines espèces éprouvent pour lui une passion incontrôlée. En parlant de passions incontrôlées, ou en êtes-vous avec Murchison?

En présence de Mannon, Conway s’attendait toujours à entendre craquer une boîte de vitesses, en raison de la manie qu’avait le professeur de changer brusquement de sujet de conversation.

— Je dois la retrouver cet après-midi, répondit-il avec prudence. Mais nous sommes simplement de bons amis.

— Hum, commenta Mannon.

Conway changea tout aussi brusquement de sujet en lui annonçant rapidement sa nouvelle affectation. Mannon était le meilleur homme du monde mais il avait la pénible habitude de faire marcher quelqu’un jusqu’au moment où sa victime était épuisée. Conway parvint à tenir Murchison hors de leur conversation durant tout le reste du repas.

Après avoir pris congé de Mannon, Conway se rendit à un interphone et échangea quelques paroles avec les médecins de diverses espèces qui poursuivraient à sa place l’instruction des stagiaires. Puis il jeta un coup d’œil à sa montre. Il disposait de près d’une heure avant de devoir se présenter à bord du Vespasien. Il s’éloigna d’une démarche un peu trop rapide pour un homme de son rang …

Au-dessus de la porte se trouvait une plaque sur laquelle on pouvait lire : Aire de délassement, espèces DBDG, DBLF, ELNT, GKNM et FGLI. Conway entra, troqua sa blouse blanche contre un maillot de bain, et partit à la recherche de Murchison.

Un éclairage en trompe l’œil et certains paysages particulièrement réussis donnaient l’illusion que cette salle de détente était immense. L’effet le plus saisissant était rendu par une petite plage tropicale limitée sur les côtés par deux falaises et ouverte sur une mer qui s’étendait jusqu’à un horizon rendu indistinct par la brume de chaleur. Le ciel était bleu et sans nuage … il était extrêmement difficile de reproduire des nuages avec suffisamment de réalisme, lui avait expliqué un ingénieur … et les flots de la baie étaient d’un bleu profond nuancé de turquoise. Des vagues venaient mourir sur la plage en pente douce, dont le sable doré était presque brûlant. Seul le soleil artificiel, un peu trop rouge au goût de Conway, et la végétation extra-terrestre qui bordait la plage et les falaises empêchaient de se croire sur Terre dans une baie des tropiques.

Mais l’espace était compté au Secteur Général et les personnes qui travaillaient ensemble étaient également censées se distraire ensemble.

La caractéristique la plus marquante de ce lieu, bien qu’elle fût totalement invisible, était la gravité deux fois moindre que la normale sous laquelle cette salle était maintenue. Sous un demi-G, les personnes qui étaient lasses pouvaient se détendre plus confortablement … et celles qui étaient en forme débordaient encore plus de vitalité, ajouta mentalement Conway alors qu’une vague abrupte, au déplacement lent, remontait la plage et venait se briser autour de ses genoux. La turbulence de la baie n’était pas produite artificiellement mais variait en proportion de la taille, du nombre, et de l’enthousiasme des baigneurs qui l’utilisaient.

Sur la paroi d’une des falaises saillaient diverses corniches-plongeoirs reliées entre elles par des tunnels dissimulés. Conway grimpa jusqu’à la plus élevée, à plus de douze mètres, et de ce promontoire il essaya de trouver une femme DBDG qui portait un maillot de bain blanc et qui répondait au nom de Murchison.

Elle ne se trouvait pas dans le restaurant perché au sommet de l’autre falaise, pas plus que dans les hauts-fonds proches de la plage ou les eaux profondes, sous les plongeoirs. Le sable était couvert de silhouettes, diverses, volumineuses, petites, au cuir épais, couvertes d’écailles ou de fourrure … mais Conway n’éprouvait aucune difficulté à séparer les DBDG humains du reste, car les Terriens étaient la seule espèce de la Fédération qui possédait un tabou contre la nudité. Il savait ainsi que tout être portant un vêtement, aussi succinct qu’il fût, était probablement un humain.

Il entrevit brusquement une forme blanche en partie dissimulée par deux taches vertes et une jaune qui l’entouraient. Ce devait être Murchison. Il prit rapidement quelques points de repères et revint sur ses pas.

Lorsque Conway approcha de la foule qui entourait Murchison, deux membres du corps des Moniteurs et un interne du quatre-vingt-septième niveau s’écartèrent, visiblement à regret. D’une voix qui monta dans les aiguës à sa grande honte, il s’adressa à l’infirmière :