— Six ans ! s’exclama Conway, sidéré.
— D’après ce que nous avons pu en juger, ce Teltrenn n’est pas un personnage très énergique, dit Stillman. La situation est encore aggravée par le fait que la recherche médicale est pratiquement inexistante sur Etla, en raison de l’absence d’un outil indispensable aux chercheurs … le microscope. On ne peut fabriquer du matériel optique de précision sur Etla et il semble que personne, dans l’Empire, n’ait eu l’idée d’en expédier quelques-uns.
« Tout cela se résume à une simple chose : sur le plan médical, c’est l’Empire qui pense à la place d’Etla, conclut sombrement Stillman. Et tout laisse supposer que l’Empire n’est guère adroit en ce domaine.
— J’aimerais connaître la corrélation qui existe entre l’arrivée de cette aide et son incidence sur les maladies, déclara énergiquement Conway. Pourriez-vous m’obtenir ces renseignements?
— Nous venons de recevoir un rapport qui pourrait vous être utile, répondit Stillman. Il s’agit d’une copie des dossiers d’un hôpital du continent nord. Ces documents ont été rédigés peu après la dernière visite que Teltrenn a rendue à cet établissement et ils indiquent que le délégué Impérial a fourni certaines données valables en obstétrique, ainsi qu’un médicament destiné à lutter contre la maladie que nous avons baptisée B Dix-huit. Le nombre des cas de B Dix-huit a fortement baissé en quelques semaines, bien que cela n’ait guère modifié les statistiques générales pour la simple raison que la F Vingt-et-un à fait son apparition pratiquement au même instant …
Le B Dix-huit était comparable à une forte grippe, fatale pour les enfants et les jeunes adultes dans quatre cas sur dix alors que le F vingt-et-un était une fièvre bénigne qui ne mettait pas les jours des malades en danger. Cette nouvelle maladie évoluait en trois ou quatre semaines durant lesquelles de larges plaques en forme de croissant apparaissaient sur le visage ainsi que sur les membres et le tronc. Lorsque la fièvre tombait ces plaques s’assombrissaient pour prendre une teinte pourpre et laissaient aux malades des cicatrices qu’ils garderaient jusqu’à la fin de leurs jours. Conway secoua la tête avec colère.
— Une des choses qui laissent le plus à désirer, sur ce monde, c’est son Délégué Impérial ! s’exclama-t-il.
Stillman se leva.
— Nous aimerions nous aussi pouvoir lui poser quelques questions. Nous l’avons annoncé par voie de presse et à la radio, et nous savons à présent avec quasi-certitude que Teltrenn nous évite délibérément. Sans aucun doute parce qu’il se sent responsable en raison de la façon lamentable dont il a mené sa mission sur Etla. Mais un rapport psychologique, basé sur les bruits qui courent sur le compte de Teltrenn, a été préparé pour Lonvellin. Je vous en ferai envoyer une copie depuis le vaisseau.
— Merci.
Stillman hocha la tête, bâilla, et sortit. Conway abaissa l’interrupteur du communicateur, contacta le Vespasien et demanda à être relié par radio avec le EPLH qui se trouvait à quatre-vingt kilomètres de distance. Conway était toujours tourmenté et il aurait voulu pouvoir se débarrasser du poids qui écrasait sa poitrine, mais il ignorait quelle en était exactement la nature.
— Vous méritez des compliments pour avoir accompli votre tâche aussi rapidement, mon ami, approuva Lonvellin dès que Conway eut terminé ses explications. Et je puis estimer avoir beaucoup de chance en ce qui concerne la valeur et le dévouement de mes assistants. Nous sommes à présent parvenus à gagner la confiance des médecins Etliens dans la plupart des secteurs et la voie sera bientôt dégagée pour que nous puissions commencer à leur apprendre à l’échelle mondiale vos dernières techniques de lutte contre ces maladies. J’estime en conséquence que vous pourrez regagner le Secteur Général dans quelques jours et je vous affirme que vous auriez tort de partir avec le sentiment que vous n’avez pas effectué la tâche qui vous avait été assignée de façon entièrement satisfaisante. Les craintes dont vous venez de me parler sont sans le moindre fondement.
« Votre suggestion selon laquelle cet être, ce Teltrenn, devrait être relevé de ses fonctions, ou remplacé, dans le cadre du programme de rééducation est certes très sensée, ajouta Lonvellin avec lourdeur, et j’envisageais également de prendre une telle mesure. Et il existe une raison supplémentaire pour le relever de ses fonctions. Il a été prouvé qu’il est en grande partie responsable de l’intolérance largement répandue envers les espèces venues d’autres planètes. Votre suggestion selon laquelle ces idées néfastes seraient disséminées non par Teltrenn mais par l’Empire est peut-être exact, mais ce n’est pas une raison suffisante pour justifier l’envoi immédiat d’une mission chargée de trouver cet Empire et d’effectuer une enquête sur son compte, ainsi que vous le réclamez.
La voix lente de Lonvellin était, après être passée par le traducteur, obligatoirement dénuée d’émotions. Mais Conway crut déceler un certain durcissement du ton lorsque le EPLH ajouta :
— Je pense qu’Etla est un monde isolé, maintenu en quarantaine. Nous pouvons donc résoudre le problème qui se pose à nous sans y mêler d’autres considérations, telles que l’influence de cet Empire ou la nécessité de trouver préalablement un sens aux divers faits contradictoires qui nous déconcertent tous deux. Ces mystères seront résolus d’eux-mêmes dès que ce monde aura recouvré sa santé et les réponses aux questions que nous nous posons sont d’une importance secondaire si on les compare au soulagement des souffrances de la population de toute une planète.
« Je ne puis trouver le moindre fondement à votre affirmation selon laquelle le fait que les visites du vaisseau Impérial ont lieu seulement tous les dix ans et ne durent que quelques heures serait un élément capital de ce problème. J’irais même jusqu’à suggérer que, sans doute inconsciemment, vous accordez trop d’importance à ce détail afin de permettre à votre curiosité personnelle d’être satisfaite.
Il a raison, pensa Conway. Mais avant qu’il pût répondre, le EPLH ajouta :
— Je désire traiter Etla en tant que problème isolé. Y mêler cet Empire, qui a peut-être également besoin de notre aide sur le plan médical, étendrait cette opération dans de telles proportions que nous ne pourrions plus y faire face.
« Cependant, et uniquement afin d’apaiser vos inquiétudes, vous pourrez informer l’être Williamson que je l’autorise a envoyer une expédition chargée de découvrir cet Empire et d’établir un rapport sur la situation locale. Au cas où cette puissance serait découverte, cependant, aucune mention ne devra être faite de l’opération que nous effectuons actuellement sur Etla, tant que celle-ci n’aura pas été menée à bon terme.
— Je comprends parfaitement, monsieur, dit Conway.
Il interrompit la liaison. Il trouvait extrêmement bizarre que Lonvellin lui eût vivement reproché sa curiosité déplacée pour lui donner presque aussitôt l’autorisation de la satisfaire. Lonvellin redoutait-il bien plus l’influence de cet Empire qu’il ne voulait l’admettre, ou le cœur de cette grosse bestiole devenait-il simplement plus tendre en prenant de l’âge?
Il appela le colonel Williamson. L’officier toussota à deux reprises lorsque Conway eut terminé de parler, puis il lui répondit d’une voix qui trahissait nettement son embarras.
— Voici deux mois qu’un certain nombre d’officiers, qui appartiennent tant au service médical qu’à celui des Nouveaux Contacts, sont partis à la recherche de cet Empire, dit-il. L’un deux à réussi sa mission et nous a envoyé un premier rapport. Il ne faut pas oublier qu’il émane d’un officier du service de santé qui n’a pas travaillé sur le projet Etla et qui ignore pratiquement tout ce qui se déroule ici. Son compte-rendu risque donc de ne pas être aussi instructif que vous pourriez le souhaiter. Je vais cependant vous en faire parvenir une copie, avec les données disponibles sur le compte de Teltrenn.