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Williamson toussa discrètement avant de conclure.

« Il faudra en informer Lonvellin, naturellement, mais vous avez carte blanche pour décider du moment où le faire. Brusquement, Conway éclata de rire.

— Ne vous en faites pas, colonel, cela restera entre nous un certain temps. Mais si Lonvellin devait l’apprendre malgré tout, vous pourrez toujours lui rappeler que le rôle de tout bon serviteur est de devancer les désirs de son maître.

Il continua de rire doucement après que Williamson eût cessé de parler puis, brusquement, la réaction se produisit.

Conway n’avait guère eu l’occasion de rire depuis son arrivée sur Etla. Il n’avait pas été coupable de trop s’identifier à ses patients … aucun médecin digne de ce nom et ayant son travail à cœur n’aurait commis cette faute, mais c’était dû au fait que personne ne riait beaucoup, sur Etla. Il y avait un élément propre à l’atmosphère de ce monde qui donnait naissance à un sentiment situé entre l’urgence et le désespoir, et qui semblait s’accentuer au fur et à mesure que les jours s’écoulaient. Cela rappelait quelque peu l’atmosphère d’un service dans lequel un patient allait mourir, pensa Conway, bien que dans ce dernier cas le personnel trouvait malgré tout le temps de plaisanter et de se détendre, entre les crises …

Conway commençait à regretter le Secteur Général. Il était heureux de savoir qu’il le regagnerait dans quelques jours, en dépit de son sentiment d’insatisfaction au sujet de toutes les questions qu’il laisserait sans réponse. Il se mit à penser à Murchison.

C’était également une chose qu’il n’avait pas faite souvent, depuis qu’il était sur Etla. À deux occasions il avait fait accompagner des prélèvements etliens par des messages qui lui étaient destinés. Il savait que Thornnastor, le responsable de la pathologie, veillerait à les lui transmettre, bien que le FGLI n’accordât pas le moindre intérêt aux imbroglios sentimentaux des DBDG terriens. Mais Murchison avait un caractère peu démonstratif. Elle avait pu estimer que si elle prenait la peine de lui faire passer en secret une réponse, cela aurait pu lui donner trop d’espoirs. Il était également possible que le baiser hâtif qui avait précédé son départ l’eût définitivement dressée contre lui. C’était une fille singulière. Elle avait un caractère posé, elle était extrêmement sérieuse dans son travail, et elle ne consacrait aucun temps aux hommes.

Lorsqu’elle avait accepté pour la première fois un de ses rendez-vous, c’était parce que Conway venait de réussir une intervention délicate et désirait fêter l’événement, et aussi parce qu’il avait auparavant travaillé avec elle sans lui faire la moindre avance. Depuis lors ils s’étaient régulièrement retrouvés et Conway était devenu un sujet d’envie pour tous les mâles DBDG de l’hôpital. L’unique ennui, c’est qu’ils n’avaient pas eu la moindre raison d’être envieux …

Ce train de pensées lugubres fut brusquement stoppé par l’arrivée d’un Moniteur qui laissa tomber un dossier sur son bureau.

— Les renseignements sur Teltrenn, professeur, dit-il. L’autre rapport est confidentiel et le colonel Williamson a dû le faire recopier sur son scripteur. Nous vous le ferons parvenir dans un quart d’heure.

— Merci.

Le Moniteur sortit et Conway se plongea dans le rapport. En raison de son statut de monde colonial qui n’avait pas connu un développement naturel, Etla ne possédait aucune frontière nationale et les forces armées qui allaient de pair avec celles-ci, et les policiers chargés de faire respecter la loi sur cette planète étaient techniquement les soldats de l’Empereur et étaient placés sous les ordres de Teltrenn. C’était un commando de ces soldats-policiers qui avaient attaqué, et qui attaquaient toujours, le vaisseau de Lonvellin. À première vue, pouvait-on lire sur le rapport, tout indiquait que Teltrenn avait une personnalité orgueilleuse et avide de pouvoir, mais que la cruauté habituellement rencontrée chez ce genre de personnages lui faisait défaut. Dans ses rapports avec la population autochtone (le Délégué Impérial n’était pas originaire d’Etla) Teltrenn faisait montre d’équité et de considération. Il était évident qu’il regardait de haut les indigènes, de très haut, même, comme s’ils appartenaient à une espèce inférieure, mais cependant il ne les méprisait pas et il ne faisait jamais montre de cruauté envers eux.

Conway jeta le rapport sur son bureau. Ce n’était qu’un élément stupide de plus dans un puzzle déjà dépourvu de sens, et il se sentait brusquement dégoûté par toute cette affaire insensée. Il se leva et se rendit dans le bureau extérieur. Le battant de la porte claqua contre la cloison et Stillman tressaillit légèrement. Il releva le regard.

— Laissez tomber ce travail de gratte-papier pour ce soir ! ordonna sèchement Conway. Nous allons nous livrer sans la moindre honte aux plaisirs de la chair. Nous allons aller dormir dans nos cabines …

— Dormir? répéta Stillman qui sourit brusquement. Qu’est-ce que ça veut dire?

— Je ne sais plus … Je pensais que vous pourriez peut-être me l’apprendre. J’ai entendu dire que c’était une sensation nouvelle, un bonheur inexprimable auquel on s’habitue très vite. Allons-nous vivre dangereusement …?

— Après vous, dit Stillman.

À l’extérieur du bâtiment, la nuit était agréablement fraîche. Des nuages dispersés étaient visibles à l’horizon mais les étoiles semblaient s’être réunies au-dessus d’eux, brillantes, nombreuses et froides. Ils se trouvaient dans une zone de l’espace extrêmement dense, un fait prouvé par les météorites qui traçaient des balafres blanches dans le ciel à quelques minutes d’intervalle. Tout cela formait une scène apaisante et inspiratrice, mais Conway ne pouvait s’empêcher de se sentir inquiet. Il était persuadé d’avoir omis quelque chose et ici, à l’extérieur, son angoisse était encore plus grande que dans son bureau. Il éprouva l’envie soudaine de lire le plus rapidement possible le rapport concernant l’Empire.

— Ne vous arrive-t-il jamais de penser à une chose, puis d’avoir horriblement honte de posséder un esprit ignoble au point de donner naissance à de telles pensées? demanda-t-il à Stillman.

L’officier estima que c’était une question de pure rhétorique et se contenta d’émettre un grognement. Ils marchaient toujours en direction du vaisseau lorsqu’ils s’immobilisèrent brusquement.

Sur l’horizon sud, le soleil semblait se lever. Le ciel avait pris une teinte bleu pâle dont les nuances allaient du turquoise jusqu’au noir, et les bases des nuages lointains s’embrasaient de rouge et d’or. Puis, avant qu’il fût possible d’apprécier ce lever de soleil magnifique et incongru, ou encore avoir la moindre réaction, cela se métamorphosa en une tache rouge sombre sur l’horizon. Ils perçurent la légère onde de choc à travers les semelles de leurs chaussures puis, un court instant plus tard, ils entendirent un lointain grondement de tonnerre.

— Le vaisseau de Lonvellin ! s’exclama Stillman.

Ils se mirent à courir.

XI

Dans la salle des communications du Vespasien régnait un tourbillon d’activité dont le colonel Williamson formait le centre calme et décidé. Lorsque Stillman et Conway y pénétrèrent ordre avait été donné à l’appareil de liaison et à tous les hélicoptères disponibles de prendre à leur bord le matériel de décontamination et de secours et de gagner le plus rapidement possible la zone touchée par la déflagration. Il eût été naturellement vain de nourrir le moindre espoir pour les militaires Etliens qui avaient assiégé le vaisseau de Lonvellin, mais des fermes isolées et un petit village se trouvaient à la limite de cette zone. Les sauveteurs auraient à combattre la panique autant que la radioactivité, car les Etliens qui ignoraient ce qu’était une explosion nucléaire refuseraient certainement de se laisser évacuer.