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Mais peut-être était-ce préférable, dans les circonstances actuelles, pensa Conway en s’installant confortablement pour une très longue lecture.

Les Moniteurs qui avaient visité le vaisseau du patient avaient été dans l’incapacité de convertir avec précision les unités de temps EPLH à l’échelle terrestre, mais ils avaient pu établir presque avec certitude qu’un grand nombre de bandes du journal de bord avaient plusieurs siècles et que quelques-unes remontaient à deux millénaires ou plus. Conway commença sa lecture par la copie des bandes les plus anciennes qu’il compulsa méticuleusement jusqu’aux plus récentes. Il découvrit presque immédiatement qu’il ne s’agissait pas de journaux intimes … la mention de sujets d’ordre personnel était relativement rare … mais plutôt d’une suite de notes pour la plupart purement technique et extrêmement ardues. Les données relatives au meurtre, qu’il étudia en dernier, avaient cependant un caractère bien plus dramatique :

 … Mon médecin me rend malade, lut-il dans la dernière annotation, il me tue lentement. Je dois réagir. C’est un mauvais praticien puisqu’il permet à la maladie de s’étendre. Je vais devoir me débarrasser de lui d’une manière ou d’une autre …

Conway replaça la dernière feuille sur la pile, puis il soupira et s’apprêta à prendre une position plus propice à la pensée créatrice : c.a.d. avec le dossier de son siège incliné en arrière, les pieds sur le plateau du bureau, et pratiquement assis sur sa nuque.

Quel merdier, pensa-t-il.

Les divers éléments du puzzle, ou tout au moins la plupart, étaient à sa disposition et il n’avait plus qu’à les mettre en place. Il y avait l’état du malade, bénin selon le point de vue d’un praticien mais fatal s’il ne faisait pas l’objet des soins appropriés. Puis il y avait les données fournies par les deux Ians au sujet de cette race divine, assoiffée de puissance, mais fondamentalement bonne, ainsi que sur les compagnons de ces êtres qui n’appartenaient jamais à la même espèce et qui voyageaient et vivaient toujours à leur côté. Ces compagnons étaient sujets à remplacement, pour la simple raison qu’ils vieillissaient et mouraient alors que ce n’était pas le cas pour les EPLH. Il disposait également des rapports du labo : le compte rendu écrit qu’il avait reçu avant le déjeuner et le second, verbal, dont il avait pris connaissance pendant les deux heures passées en compagnie de Thornnastor, le FGLI responsable du service de pathologie. Selon Thornnastor, le EPLH n’était pas un véritable immortel, et l’opinion d’un diagnosticien était presque une certitude absolue. Mais alors que l’immortalité avait été rayée de la liste des possibilités pour diverses raisons d’ordre physiologique, les examens avaient révélé les traces laissées par des cures de régénération ou de longévité de type non sélectif.

Finalement, il y avait ces émotions que Prilicla avait perçues avant et pendant leur tentative de traitement de l’épiderme du malade. Prilicla avait signalé une radiation constante de confusion, d’angoisse et d’impuissance. Mais lorsque le EPLH avait reçu sa seconde injection hypodermique, il était devenu fou furieux et le souffle de l’explosion d’émotions qui s’était produite dans son esprit avait, selon les propres paroles de Prilicla, presque fait griller dans leur jus les petits cerveaux de la créature empathique. Prilicla s’était trouvé dans l’incapacité d’analyser en détail une éruption d’émotions aussi violentes, principalement parce qu’il avait été accordé sur la puissance bien plus faible avec laquelle le patient avait émis jusqu’alors, mais il reconnaissait avoir découvert des preuves irréfutables d’instabilité de type schizophrénique.

Conway se carra plus profondément dans son siège et ferma les yeux. Il laissait les éléments du puzzle s’installer lentement à leur place.

Tout avait commencé sur la planète où les EPLH avaient représenté la forme de vie dominante. Au fil des siècles, ils avaient atteint un degré de civilisation qui comprenait la maîtrise du vol interstellaire et une science médicale avancée. Leur existence, déjà très longue à l’origine, avait été artificiellement prolongée dans des proportions telles qu’on ne pouvait tenir rigueur aux espèces à l’existence plus brève, tels que les Ians, d’avoir cru en leur immortalité. Mais en échange de cette longévité exceptionnelle, ils avaient dû payer un prix élevé : la reproduction de leur espèce, cette forme d’immortalité en termes d’individus éphémères vers laquelle tendent tous les peuples, avait dû être la première chose à disparaître. Et alors cette civilisation s’était effondrée, ou plutôt s’était dispersée, en un essaim de voyageurs des étoiles, individualistes farouches. Finalement, il s’était produit ce pourrissement psychologique qui s’installe irrémédiablement dès que tout risque d’une dégradation physique a disparu.

Pauvres demi-dieux, pensa Conway.

S’ils évitaient la compagnie de leurs semblables, c’était simplement parce qu’ils avaient été sevrés de leur présence. Siècles après siècles des mêmes habitudes, des mêmes idiotismes, et des mêmes opinions constamment rabâchées, ainsi que l’ennui écrasant provoqué par la vision des autres. Ils se posaient eux-mêmes d’importants problèmes sociologiques … lorsqu’ils prenaient en charge des cultures planétaires errantes ou arriérées et les contraignaient à s’élever par elles-mêmes, et faisaient d’autres œuvres philanthropiques similaires à une échelle impensable, tout simplement parce qu’ils possédaient des esprits démesurés, qu’ils disposaient de temps à revendre, qu’ils devaient constamment combattre leur ennui et que, à la base, ils étaient un peuple bienveillant. Et comme une partie du prix à payer en échange d’une telle longévité était une peur toujours plus grande de la mort, chacun d’eux se faisait accompagner par son médecin personnel … sans nul doute le praticien le plus habile qu’il pouvait trouver … constamment à son service.

Un seul élément de ce puzzle refusait de trouver sa place. C’était la raison pour laquelle le EPLH avait refusé de se laisser soigner par Conway, mais ce dernier était convaincu qu’il ne s’agissait que d’un détail d’ordre psychologique qui serait rapidement élucidé. L’important, c’était qu’il savait à présent comment il devait procéder.

Les traitements ne convenaient pas dans tous les cas, bien que Thornnastor eût proclamé le contraire, et il aurait compris plus tôt qu’une intervention chirurgicale était la meilleure solution si toute cette affaire n’avait pas été aussi embrouillée par des considérations sans aucun rapport avec la maladie elle-même : l’identité et la nature du patient et le crime qu’il était censé avoir commis. Que ce malade fût un demi-dieu, un meurtrier, et dans l’ensemble un être qu’il était préférable de ne pas prendre à la légère, étaient des détails dont il n’aurait jamais dû se préoccuper.

Conway laissa échapper un soupir et posa ses pieds sur le sol. Il commençait à se sentir tellement à son aise qu’il estima préférable d’aller s’allonger avant de s’endormir.

Le lendemain, juste après le déjeuner, Conway s’attela aux préparatifs de l’intervention chirurgicale. Il ordonna de faire apporter les instruments et le matériel nécessaires dans la salle d’observation, puis il donna des instructions détaillées sur leur stérilisation … Le patient était censé avoir tué son praticien personnel parce que ce dernier n’avait pu le protéger contre la maladie, ce qui n’augurait rien de bon si, en raison des négligences d’un autre médecin lors du processus d’asepsie il devait être victime d’une nouvelle maladie. Puis il demanda à être secondé par un chirurgien Tralthien qui effectuerait le travail délicat. Finalement, une demi-heure avant le début de l’intervention, Conway alla voir O’Mara.