— Je détecte une inquiétude croissante liée à une volonté de plus en plus forte, fit remarquer Prilicla. L’angoisse devient intense …
Conway grommela. Il n’avait trouvé aucun autre commentaire.
Cinq minutes plus tard, le Tralthien prit à son tour la parole.
— Il faut aller moins vite, professeur. Nous atteignons une zone où les racines pénètrent plus profondément dans les tissus.
Deux minutes plus tard, Conway s’exclama :
— Je peux les voir, à présent. À quelle profondeur descendent-elles?
— Dix centimètres, répondit le Tralthien. Professeur, elles s’allongent à vue d’œil au fur et à mesure que nous travaillons.
— Mais, c’est impossible ! s’emporta Conway avant d’ajouter : Nous allons changer de zone.
Il sentait que la sueur se mettait à ruisseler sur son front et, juste à côté de lui, le corps gauche et fragile de Prilicla commençait à frissonner … pour une raison tout autre que les pensées du patient. À présent, les émotions de Conway n’étaient pas une chose agréable à capter car, dans la nouvelle zone et dans les deux choisies ensuite au hasard, le résultat avait été le même. Les racines des squames d’épiderme s’enfonçaient de plus en plus profondément.
— On arrête, déclara Conway avec colère.
Durant un très long moment, nul ne parla. Prilicla tremblait comme si un vent violent avait soufflé dans la salle. Le Tralthien s’affairait sur ses appareils et gardait ses quatre yeux rivés sur un bouton sans la moindre importance. O’Mara fixait intensément Conway. Il était lui aussi plongé dans de profondes méditations, et une pitié infinie pouvait se lire dans ses yeux gris. S’il était compatissant, c’était parce qu’il savait reconnaître lorsqu’un homme se trouvait vraiment dans les ennuis, et s’il méditait, c’était parce qu’il tentait de découvrir si Conway était ou non responsable des ennuis en question.
— Que s’est-il passé, professeur? demanda-t-il avec amabilité.
Conway secoua coléreusement la tête.
— Je l’ignore. Hier, il s’est produit un phénomène de rejet face au traitement et aujourd’hui la même chose se reproduit devant notre intervention chirurgicale. Ses réactions à tout ce que nous tentons de faire sont impensables, impossibles ! Et à présent la tentative que nous avons effectuée pour soulager chirurgicalement son état vient de déclencher quelque chose qui fait pénétrer ces racines assez profondément pour pouvoir atteindre des organes vitaux. Si leur croissance garde la même rapidité qu’actuellement, elle les toucheront dans quelques minutes et vous savez ce que cela signifie …
— L’angoisse du malade diminue, leur apprit Prilicla. Mais il a toujours des pensées volontaires.
Le Tralthien vint les rejoindre.
— J’ai noté une chose singulière au sujet des vrilles qui relient les plaques de peau nécrosée au corps du malade, dit-il. Ainsi que vous le savez, mon symbiote possède une vision extrêmement sensible et il m’a rapporté que les vrilles semblent avoir des racines à chaque extrémité. Ce qui nous empêche de savoir si ce sont les squames qui se fixent à la chair ou si c’est le corps qui retient délibérément les tumeurs en question.
Conway secoua la tête, l’esprit ailleurs. Le cas de ce patient était plein de contradictions et d’impossibilités absolues. Tout d’abord, aucun patient, quel que fut son degré de dérangement mental, ne pouvait annuler les effets d’un produit suffisamment puissant pour apporter une guérison totale en une demi-heure, à plus forte raison lorsque les résultats étaient obtenus en quelques minutes. Et la nature voulait que tout être victime d’une maladie de la peau s’en dépouille et la remplace par des tissus sains, et non qu’il s’y raccroche à tout prix.
C’était un cas déconcertant qui n’autorisait plus aucun espoir.
Cependant, lorsque le patient avait été admis dans ce service, son cas lui avait paru bénin et il n’avait redouté aucune complication … En fait, Conway avait éprouvé plus d’intérêt pour les origines du malade que pour son état, dont il avait considéré la guérison comme une simple affaire de routine. Mais il était à présent persuadé d’avoir omis quelque chose, quelque part, et ce péché par omission provoquerait certainement la mort de son patient dans les prochaines heures. Peut-être avait-il fait montre de trop de hâte dans l’établissement de son diagnostic, peut-être avait-il été trop sûr de lui et avait-il fait preuve d’une insouciance criminelle.
Il était toujours éprouvant de perdre un patient et, au Secteur Général, le décès d’un malade était un événement extrêmement rare. Mais perdre un patient dont le cas aurait été considéré comme bénin dans tous les hôpitaux de la galaxie civilisée … Conway se mit à débiter des jurons imagés mais fut contraint de s’interrompre car il ne connaissait aucun mot pouvant décrire avec exactitude l’opinion qu’il avait de lui-même.
— Calmez-vous, fiston.
C’était O’Mara qui lui serrait le bras et lui parlait comme un père. Habituellement, O’Mara était un tyran coléreux à la voix dure. Il était inapprochable et, lorsqu’on venait lui demander son aide, il restait assis à faire des remarques sarcastiques pendant que la personne en question devait se débattre honteusement avec ses ennuis et trouver une solution sans aide extérieure. Son attitude actuelle lui ressemblait si peu qu’elle prouvait au moins une chose, pensa amèrement Conway. Elle indiquait qu’il avait un problème sérieux sur les bras et qu’il ne pourrait jamais le résoudre à lui seul.
Mais, dans l’expression de O’Mara, on pouvait également déceler autre chose que de l’inquiétude pour Conway. Il était probable qu’en son for intérieur le psychologue n’était pas mécontent que les choses eussent tourné de cette façon. Conway ne pouvait le reprocher à O’Mara, car il savait que si le commandant s’était trouvé à sa place il aurait essayé avec autant d’acharnement que lui, sinon plus, de guérir le malade et qu’il se serait senti aussi affligé que lui par ce qui s’était passé. Mais le psychologue en chef devait s’être désespérément inquiété à l’idée qu’une créature aux pouvoirs incommensurables et inconnus, et de plus mentalement déséquilibrée, pourrait se promener librement à l’intérieur de l’hôpital. O’Mara devait également se demander si, à côté d’un EPLH conscient et bien vivant, il n’aurait pas fait figure de petit garçon ignorant …
— Essayons de reprendre les choses au début, déclara O’Mara en interrompant le cours des pensées de Conway. Avez-vous trouvé la moindre chose dans le passé du malade qui pourrait indiquer une propension au suicide?
— Non, répondit Conway avec véhémence. Au contraire ! Il veut désespérément vivre. Il suivait un traitement général de rajeunissement, ce qui signifie que toute la structure cellulaire de son corps était régénérée périodiquement. Le processus de stockage des souvenirs est dû au vieillissement des cellules cérébrales, et chaque fois que cet être était soumis à ce traitement, tout son esprit était pratiquement vidé de son contenu.
— Ce qui explique pourquoi le livre de bord ressemble tant à un mémorandum technique, glissa O’Mara. C’est exactement son rôle. Cependant, je préfère la méthode de rajeunissement que nous employons, bien qu’elle ne puisse pas nous offrir une vie aussi longue. Elle régénère uniquement les organes endommagés et permet au cerveau de rester intact …