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Mergy se laissa entraîner. Son frère le présenta à tous ses amis l’un après l’autre: le baron de Vaudreuil, le chevalier de Rheincy, le vicomte de Béville, etc. Ils accablèrent de caresses le nouveau-venu, qui fut obligé de leur donner l’accolade à tous l’un après l’autre. Béville l’embrassa le dernier.

– Oh! oh! s’écria-t-il, Dieu me damne! camarade, je sens odeur d’hérétique. Je gage ma chaîne d’or contre une pistole que vous êtes de la religion.

– Il est vrai, Monsieur, et je ne suis pas si bon religieux que je devrais.

– Voyez si je ne distingue pas un huguenot entre mille! Ventre de loup! comme messieurs les parpaillots [22] prennent un air sérieux quand ils parlent de leur religion.

– Il me semble qu’on ne devrait jamais parler en plaisantant d’un pareil sujet.

– Mr de Mergy a raison, dit le baron de Vaudreuil; et vous, Béville, il vous arrivera malheur pour vos mauvaises railleries des choses sacrées.

– Voyez un peu cette mine de saint, dit Béville à Mergy; c’est le plus fieffé libertin de nous tous, et pourtant il s’avise de temps en temps de nous prêcher.

– Laissez-moi pour ce que je suis, Béville, dit Vaudreuil. Si je suis libertin, c’est que je ne puis dompter la chair; mais du moins je respecte ce qui est respectable.

– Pour moi, je respecte beaucoup… ma mère; c’est la seule honnête femme que j’aie connue. Au surplus, mon brave, catholiques, huguenots, papistes, juifs ou Turcs, ce m’est tout un; je me soucie de leurs querelles comme d’un éperon cassé.

– Impie! murmura Vaudreuil.

Et il fit le signe de la croix sur sa bouche, en se cachant toutefois du mieux qu’il put avec son mouchoir.

– Il faut que tu saches, Bernard, dit le capitaine George, que tu ne trouveras guère parmi nous de disputeurs comme notre savant maître Théobald Wolfsteinius. Nous faisons peu de cas des conversations théologiques, et nous employons mieux notre temps, Dieu merci.

– Peut-être, répondit Mergy avec un peu d’aigreur, peut-être aurait il été préférable pour toi que tu eusses écouté attentivement les doctes dissertations du digne ministre que tu viens de nommer.

– Trêve sur ce sujet, petit frère; plus tard je t’en reparlerai peut-être: je sais que tu as de moi une opinion… N’importe… Nous ne sommes pas ici pour parler de ces sortes de choses… Je crois que je suis un honnête homme, et tu le verras sans doute un jour… Brisons-là, il ne faut penser maintenant qu’à nous amuser.

Il passa la main sur son front comme pour chasser une idée pénible.

– Cher frère! dit tout bas Mergy en lui serrant la main.

George répondit par un autre serrement de main, et tous deux s’empressèrent de rejoindre leurs compagnons, qui les précédaient de quelques pas.

En passant devant le Louvre, d’où sortaient nombre de personnes richement habillées, le capitaine et ses amis saluaient ou embrassaient presque tous les seigneurs qu’ils rencontraient. Ils présentaient en même temps le jeune Mergy, qui, de cette manière, fit connaissance en un instant avec une infinité de personnages célèbres à cette époque. En même temps il apprenait leurs sobriquets (car alors chaque homme marquant avait le sien), ainsi que les histoires scandaleuses qui se débitaient sur leur compte.

– Voyez-vous, lui disait-on, ce conseiller si pâle et si jaune? C’est messire Petrus de finibus, en français Pierre Séguier, qui, dans tout ce qu’il entreprend, se démène tant et si bien, qu’il arrive toujours à ses fins. Voici le petit capitaine Brûle-bancs, Thoré de Montmorency; voici l’archevêque de Bouteilles [23], qui se tient assez droit sur sa mule, attendu qu’il n’a pas encore dîné. Voici un des héros de votre parti, le brave comte de La Rochefoucauld, surnommé l’ennemi des choux. Dans la dernière guerre, il a fait cribler d’arquebusades un malheureux carré de choux que sa mauvaise vue lui faisait prendre pour des lansquenets.

En moins d’un quart d’heure Mergy sut le nom des amants de presque toutes les dames de la cour, et le nombre de duels auxquels leur beauté avait donné lieu. Il vît que la réputation d’une dame était en proportion des morts qu’elle avait causées; ainsi, madame de Courtavel, dont l’amant en pied avait tué deux de ses rivaux, était en bien plus grand renom que la pauvre comtesse de Pomerande, qui n’avait donné lieu qu’à un petit duel et une blessure légère.

Une femme d’une riche taille, montée sur une mule blanche conduite par un écuyer, et suivie de deux laquais, attira l’attention de Mergy; ses habits étaient à la mode la plus nouvelle, et tout roides à force de broderies. Autant que l’on en pouvait juger, elle devait être jolie. On sait qu’à cette époque les dames ne sortaient que le visage couvert d’un masque; le sien était de velours noir: on voyait, ou plutôt on devinait, d’après ce qui paraissait par les ouvertures des yeux, qu’elle devait avoir la peau d’une blancheur éblouissante et les yeux d’un bleu foncé.

Elle ralentit le pas de sa mule en passant devant les jeunes gens; et même elle sembla regarder avec quelque attention Mergy, dont la figure lui était inconnue. Sur son passage on voyait toutes les plumes des chapeaux balayer la terre, et elle inclinait la tête avec grâce pour rendre les nombreux saluts que lui adressait la haie d’admirateurs qu’elle traversait. Comme elle s’éloignait, un léger souffle de vent souleva le bas de sa longue robe de satin et laissa voir, comme un éclair, un petit soulier de velours blanc et quelques pouces d’un bas de soie rose.

– Quelle est cette dame que tout le monde salue? demanda Mergy avec curiosité.

– Déjà amoureux! s’écria Béville. Au reste, elle n’en fait jamais d’autres; huguenots et papistes, tous sont amoureux de la comtesse Diane de Turgis.

– C’est une des beautés de la cour, ajouta George, une des plus dangereuses Circés pour nos jeunes galants. Mais, peste! ce n’est pas une citadelle facile à prendre.

– Combien compte-t-elle de duels? demanda en riant Mergy.

– Oh! elle ne compte que par vingtaines, répondit le baron de Vaudreuil; mais le bon, c’est qu’elle a voulu se battre elle-même: elle a envoyé un cartel [24] dans les formes à une dame de la cour, qui avait pris le pas sur elle.

– Quel conte! s’écria Mergy.

– Ce ne serait pas la première, dit George, qui se fût battue de notre temps: elle a envoyé un cartel bien en règle et en bon style à la Sainte-Foix, l’appelant au combat à mort, à l’épée et au poignard, et en chemise, comme ferait un duelliste raffiné [25].

– J’aurais bien voulu être le second d’une de ces dames pour les voir toutes deux en chemise, dit le chevalier de Rheincy.

– Et le duel eut lieu? demanda Mergy.

– Non, répondit George; on les raccommoda.

– Ce fut lui qui les raccommoda, dit Vaudreuil; il était alors l’amant de la Sainte-Foix.

– Fi donc! pas plus que toi, dit George d’un ton fort discret.

– La Turgis est comme Vaudreuil, dit Béville; elle fait un salmigondis [26] de la religion et des mœurs du temps: elle veut se battre en duel, ce qui est, je crois, un péché mortel, et elle entend deux messes par jour.

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[22] Calviniste, protestant.

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[23] L’archevêque de Guise.

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[24] Lettre, avis de provocation en duel, de défi.

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[25] Cette épithète désignait les duellistes de profession.

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[26] Assemblage disparate, mélange confus de choses ou de personnes.