Выбрать главу

– Ainsi tu ne crois pas à toutes les absurdes inventions des papistes?

Le capitaine haussa les épaules et fit résonner un de ses larges éperons en laissant tomber le talon de sa botte sur le plancher. Il s’écria:

– Papistes! huguenots! superstition des deux parts. Je ne sais point croire ce que ma raison me montre comme absurde. Nos litanies et vos psaumes, toutes ces fadaises se valent. Seulement, ajouta-t-il en souriant, il y a quelquefois de bonne musique dans nos églises, tandis que chez vous c’est une guerre à mort aux oreilles délicates.

– Belle supériorité pour ta religion, et il y a là de quoi lui faire des prosélytes [32]!

– Ne l’appelle pas ma religion, car je n’y crois pas plus qu’à la tienne. Depuis que j’ai su penser par moi-même, depuis que ma raison a été à moi…

– Mais…

– Ah! trêve de sermons. Je sais par cœur tout ce que tu vas me dire. Moi aussi j’ai eu mes espérances, mes craintes. Crois-tu que je n’ai pas fait des efforts puissants pour conserver les heureuses superstitions de mon enfance? J’ai lu tous nos docteurs pour y chercher des consolations contre les doutes qui m’effrayaient, et je n’ai fait que les accroître. Bref, je n’ai pu et je ne puis croire. Croire est un don précieux qui m’a été refusé, mais pour rien au monde je ne chercherais à en priver les autres.

– Je te plains.

– À la bonne heure, et tu as raison.

– Protestant, je ne croyais pas au prêche; catholique, je ne crois pas davantage à la messe. Eh! morbleu! les atrocités de nos guerres civiles ne suffiraient-elles pas pour déraciner la foi la plus robuste?

– Ces atrocités sont l’ouvrage des hommes seuls, et des hommes qui ont perverti la parole de Dieu.

– Cette réponse n’est pas de toi; mais tu trouveras bon que je ne sois pas encore convaincu. Votre Dieu, je ne le comprends pas, je ne puis le comprendre… Et si je croyais, ce serait, comme dit notre ami Jodelle, sous bénéfice d’inventaire.

– Puisque les deux religions te sont indifférentes, pourquoi donc cette abjuration qui a tant affligé ta famille et tes amis?

– J’ai vingt fois écrit à mon père pour lui expliquer mes motifs et me justifier; mais il a jeté mes lettres au feu sans les ouvrir, et il m’a traité plus mal que si j’avais commis quelque grand crime.

– Ma mère et moi nous désapprouvions cette rigueur excessive; et sans les ordres…

– Je ne sais ce qu’on a pensé de moi. Peu m’importe! Voici ce qui m’a déterminé à un coup de tête, que je ne referais pas, sans doute, s’il était à refaire…

– Ah! j’ai toujours pensé que tu t’en repentais.

– M’en repentir! non; car je ne crois pas avoir fait une mauvaise action. Lorsque tu étais encore au collège, apprenant le latin et le grec, j’avais endossé la cuirasse, ceint l’écharpe blanche [33], et je combattais à nos premières guerres civiles. Votre petit prince de Condé, qui a fait faire tant de fautes à votre parti, votre prince de Condé s’occupait de vos affaires quand ses amours lui en laissaient le temps. Une dame m’aimait, le prince me la demanda; je la lui refusai, il devint mon ennemi mortel. Il prit dès lors à tâche de me mortifier de toutes les manières.

«Ce petit prince si joli

Qui toujours baise sa mignonne,»

«Il me désignait aux fanatiques du parti comme un monstre de libertinage et d’irréligion. Je n’avais qu’une maîtresse, et j’y tenais. Pour ce qui est de l’irréligion… je laissais les autres en paix: pourquoi me déclarer la guerre?

– Je n’aurais jamais cru le prince capable d’un trait si noir.

– Il est mort, et vous en avez fait un héros. C’est ainsi que va le monde. Il avait des qualités: il est mort en brave, je lui ai pardonné. Mais alors il était puissant, et un pauvre gentilhomme comme moi lui semblait criminel s’il osait lui résister.

Le capitaine se promena quelque temps par la chambre, et continua d’une voix qui trahissait une émotion toujours croissante:

– Tous les ministres, tous les cagots de l’armée furent bientôt déchaînés contre moi. Je me souciais aussi peu de leurs aboiements que de leurs sermons. Un gentilhomme du prince, pour lui faire sa cour, m’appela paillard devant tous nos capitaines. Il y gagna un soufflet, et je le tuai. Il y avait bien douze duels par jour dans notre armée, et nos généraux avaient l’air de ne pas s’en apercevoir. On fit une exception pour moi, et le prince me destinait à servir d’exemple à toute l’armée. Les prières de tous les seigneurs, et, je suis obligé d’en convenir, celles de l’Amiral, me valurent ma grâce. Mais la haine du prince ne fut pas satisfaite. Au combat de Jazeneuil, je commandais une compagnie de pistoliers; j’avais été des premiers à l’escarmouche: ma cuirasse faussée de deux arquebusades, mon bras gauche traversé d’un coup de lance, montraient que je ne m’y étais pas épargné. Je n’avais plus que vingt hommes autour de moi, et un bataillon des Suisses du roi marchait contre nous. Le prince de Condé m’ordonne de faire une charge… je lui demande deux compagnies de reîtres… et… il m’appela lâche!

Mergy se leva et prit la main de son frère. Le capitaine poursuivit, les yeux étincelants de colère et se promenant toujours:

– Il m’appela lâche devant tous ces gentilshommes dans leurs armures dorées, qui, peu de mois après, l’abandonnèrent à Jarnac et le laissèrent tuer. Je crus qu’il fallait mourir; je m’élançai sur les Suisses en jurant que si, par fortune, j’en échappais, je ne tirerais jamais l’épée pour un prince si injuste. Grièvement blessé, jeté à bas de mon cheval, j’allais être tué, quand un des gentilshommes du duc d’Anjou, Béville, ce fou avec qui nous avons dîné, me sauva la vie et me présenta au duc. On me traita bien. J’avais soif de vengeance. On me cajola, on me pressa de prendre du service auprès de mon bienfaiteur, le duc d’Anjou; on me cita ce vers:

Omne solum forti patria est, ut piscibus æquor.

«Je voyais avec indignation les protestants appeler les étrangers dans notre patrie… Mais pourquoi ne pas te dire la seule raison qui me détermina? Je voulais me venger, et je me fis catholique dans l’espoir de rencontrer le prince de Condé sur un champ de bataille et de le tuer. C’est un lâche qui s’est chargé de lui payer ma dette… La manière dont il a été tué m’a presque fait oublier ma haine… Je le vis sanglant, en hutte aux outrages des soldats; j’arrachai ce cadavre de leurs mains et je le couvris de mon manteau. J’étais engagé avec les catholiques; je commandais un escadron de leur cavalerie, je ne pouvais plus les quitter. Heureusement je crois avoir rendu quelques services à mon ancien parti; j’ai tâché, autant qu’il m’a été possible, d’adoucir les fureurs d’une guerre de religion, et j’ai eu le bonheur de sauver plusieurs de mes anciens amis.

– Olivier de Basseville publie partout qu’il te doit la vie.

– Me voilà donc catholique, dit George d’une voix plus calme. Cette religion en vaut bien une autre; car il est si facile de s’accommoder avec leurs dévots! Vois cette jolie madone: c’est le portrait d’une courtisane italienne; les cagots admirent ma piété en se signant devant la prétendue vierge. Crois-moi, j’ai bien meilleur marché d’eux que de nos ministres. Je puis vivre comme je veux, en faisant de très légers sacrifices à l’opinion de la canaille. Eh bien! il faut aller à la messe; j’y vais de temps en temps regarder les jolies femmes. Il faut un confesseur: parbleu! j’ai un brave cordelier, ancien arquebusier à cheval, qui, pour un écu, me donne un billet de confession, et, par-dessus le marché, se charge de remettre mes billets doux à ses jolies pénitentes. Mort de ma vie! vive la messe!

вернуться

[32] Personne ayant renoncé au paganisme pour adhérer au judaïsme.

вернуться

[33] Les réformés avaient adopté cette couleur.