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– Allons, mes enfants, disait-il, dépêchez, les dames s’impatientent; donnez-moi mon texte.

– Parlez-nous des bons tours que ces dames jouent à leurs maris, dit un des jeunes gens, que George reconnut aussitôt pour Béville.

– La matière est riche, j’en conviens, mon garçon; mais que puis-je dire qui vaille le sermon du prédicateur de Pontoise, qui s’écria: «Je m’en vais jeter mon bonnet à la tête de celle d’entre vous qui a planté le plus de cornes à son mari!» Sur quoi il n’y eut pas une seule femme dans l’église qui ne se couvrît la tête du bras ou de la mante, comme pour parer le coup.

– Oh! père Lubin, dit un autre, je ne suis venu au sermon qu’à cause de vous: contez-nous aujourd’hui quelque chose de gaillard, là; parlez-nous un peu du péché d’amour, qui est présentement si fort à la mode.

– À la mode! oui, à votre mode, Messieurs, qui n’avez que vingt-cinq ans; mais moi j’en ai cinquante bien comptés. À mon âge on ne peut plus parler d’amour. J’ai oublié ce que c’est que ce péché-là.

– Ne faites pas la petite bouche, père Lubin; vous sauriez discourir là-dessus maintenant aussi bien que jamais: nous vous connaissons.

– Oui, prêchez sur la luxure, ajouta Béville, toutes ces dames diront que vous êtes plein de votre sujet.

Le cordelier répondit à cette plaisanterie par un clignement d’œil malin, dans lequel perçaient l’orgueil et le plaisir qu’il éprouvait à s’entendre reprocher un vice de jeune homme.

– Non, je ne veux pas prêcher là-dessus, parce que nos belles de la cour ne voudraient plus se confesser à moi, si je me montrais trop sévère sur cet article-là; et, en conscience, si j’en parlais, ce serait pour montrer comment on se damne à tout jamais… pourquoi?… pour une minute de bon temps.

– Eh bien!… Ah! voici le capitaine! Allons, George, donne-nous un texte de sermon. Le père Lubin s’est engagé à prêcher sur le premier sujet que nous lui fournirons.

– Oui, dit le moine, mais dépêchez-vous, mort de ma vie! car je devrais déjà être en chaire.

– Peste, père Lubin! vous jurez aussi bien que le roi! s’écria le capitaine.

– Je parie qu’il ne jurerait pas dans son sermon, dit Béville.

– Pourquoi pas, si l’envie m’en prenait? répondit hardiment le père Lubin.

– Je parie dix pistoles que vous n’oseriez pas.

– Dix pistoles? Tope!

– Béville, dit le capitaine, je suis de moitié dans ton pari.

– Non, non, repartit celui-ci, je veux gagner tout seul l’argent du beau père; et s’il jure, ma foi! je ne regretterai pas mes dix pistoles: jurements de prédicateur valent bien dix pistoles.

– Et moi, je vous annonce que j’ai déjà gagné, dit le père Lubin; je commence mon sermon par trois jurons. Ah! messieurs les gentilshommes, vous croyez que, parce que vous portez une rapière au côté et une plume au chapeau, vous avez seuls le talent de jurer? Nous allons voir!

En parlant ainsi, il sortait de la sacristie, et dans un instant il fut en chaire. Aussitôt, le plus profond silence régna dans l’assemblée.

Le prédicateur parcourut des yeux la foule qui se pressait autour de sa chaire, comme pour chercher son parieur; et lorsqu’il l’eut découvert, adossé contre un pilier précisément en face de lui, il fronça les sourcils, mit le poing sur la hanche, et du ton d’un homme en colère, commença de la sorte:

«Mes chers frères,

«Par la vertu! par la mort! par le sang!…

Un murmure de surprise et d’indignation interrompit le prédicateur, ou plutôt remplit la pause qu’il laissait à dessein.

«…de Dieu, continua le cordelier d’un ton de nez fort dévot, nous sommes sauvés et délivrés de l’enfer.

Un éclat de rire universel l’interrompit une seconde fois. Béville tira sa bourse de sa ceinture, et la secoua avec affectation devant le prédicateur, avouant ainsi qu’il avait perdu.

«Eh bien! mes frères, continua l’imperturbable frère Lubin, vous voilà bien contents, n’est-ce pas? Nous sommes sauvés et délivrés de l’enfer. Voilà de belles paroles, pensez-vous; nous n’avons plus qu’à nous croiser les bras et à nous réjouir. Nous sommes quittes de ce vilain feu d’enfer. Pour celui du purgatoire, ce n’est que brûlure de chandelle, qui se guérit avec l’onguent d’une douzaine de messes. Sus, mangeons, buvons, allons voir Catin.

«Ah! pécheurs endurcis que vous êtes! voilà sur quoi vous comptez! Or çà, c’est frère Lubin qui vous le dit, vous comptez sans votre hôte.

«Vous croyez donc, messieurs les hérétiques, huguenots huguenolisant, vous croyez donc que c’est pour vous délivrer de l’enfer que notre Sauveur a bien voulu se laisser mettre en croix? Quelque sot! Ah! ah! vraiment oui! c’est pour pareille canaille qu’il aurait versé son précieux sang! C’eût été, révérence parlant, jeter des perles aux pourceaux; et tout au contraire, Notre-Seigneur jetait les pourceaux aux perles: car les perles sont dans la mer, et Notre-Seigneur jeta deux mille pourceaux dans la mer. Et ecce impetu abiit totus grex prœceps in mare. Bon voyage, messieurs les pourceaux, et puissent tous les hérétiques prendre le même chemin!

Ici l’orateur toussa et s’arrêta un moment pour regarder l’assemblée et jouir de l’effet que produisait son éloquence sur les fidèles. Il reprit:

«Ainsi, messieurs les huguenots, convertissez-vous, et faites diligence; autrement… foin de vous! vous n’êtes ni sauvés ni délivrés de l’enfer: donc tournez-moi les talons au prêche, et vive la messe!

«Et vous, mes chers frères les catholiques, vous vous frottez les mains et vous vous léchez les doigts, vous pensant déjà aux faubourgs du paradis. Franchement, mes frères, il y a plus loin de la cour où vous vivez au paradis (même en prenant par la traverse) que de Saint-Lazare à la porte Saint-Denis.

«LA VERTU, LA MORT, LE SANG DE DIEU vous ont sauvés et délivrés de l’enfer… Oui, en vous délivrant du péché originel, d’accord; mais gare à vous si Satan vous rattrape! Et je vous le dis: Circuit quœrens quem devoret.

«Ô mes chers frères! Satan est un escrimeur qui en remontrerait à Grand-Jean, à Jean-Petit et à l’Anglais; et, je vous le dis en vérité, rudes sont les assauts qu’il nous livre!

«Car, aussitôt que nous quittons nos jaquettes pour prendre des hauts-de-chausses, je veux dire dès que nous sommes en âge de pécher mortellement, messire Satan nous appelle sur le Pré-aux-Clercs de la vie. Les armes que nous apportons sont les divins sacrements; lui, il porte tout un arsenaclass="underline" ce sont nos péchés, armes offensives et défensives à la fois.

«Il me semble le voir entrer en champ clos, la Gourmandise sur le ventre: voilà sa cuirasse; la Paresse lui sert d’éperons; à sa ceinture est la Luxure, c’est un estoc dangereux; l’Envie est sa dague; il porte l’Orgueil sur la tête comme un gendarme son armet [39]; il garde dans sa poche l’Avarice pour s’en servir au besoin; et pour la Colère, avec les injures et tout ce qui s’ensuit, il les tient dans sa bouche: ce qui vous fait voir qu’il est armé jusqu’aux dents.

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[39] Casque léger pour les fantassins.