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«Quand Dieu a donné le signal, Satan ne vous dit pas, comme ces duellistes courtois: Mon gentilhomme, êtes-vous en garde? mais il fond sur le chrétien, tête baissée, sans dire gare! Le chrétien, qui s’aperçoit qu’il va recevoir une botte de Gourmandise au milieu de l’estomac, pare avec le Jeûne.

Ici le prédicateur, pour se rendre plus intelligible, décrocha un crucifix et commença à s’en escrimer, poussant des bottes et faisant des parades, comme un maître d’armes ferait avec son fleuret pour démontrer un coup difficile.

«Satan, en se retirant, lui décharge un grand fendant de Colère; puis, faisant une feinte d’Hypocrisie, lui pousse en quarte une botte d’Orgueil. Le chrétien se couvre d’abord avec la Patience, puis il riposte à l’Orgueil avec une botte d’Humilité. Satan, irrité, lui donne d’abord un coup d’estoc de Luxure; mais, le voyant rendu sans effet par une parade de Mortifications, il se jette à corps perdu sur son adversaire, lui donnant à la fois un croc-en-jambe de Paresse et un coup de dague d’Envie, tandis qu’il essaye de lui faire entrer l’Avarice dans le cœur. C’est alors qu’il faut avoir bon pied, bon œil. Par le Travail on se délivre du croc-en-jambe de Paresse, de la dague d’Envie par l’Amour du prochain (parade bien difficile, mes frères); et, quant à la botte d’Avarice, il n’y a que la Charité qui puisse la détourner.

«Mais, mes frères, combien y en a-t-il d’entre vous, attaqués ainsi en tierce et en quarte, d’estoc et de taille, qui trouveraient une parade toujours prête à toutes les bottes de l’ennemi? J’ai vu plus d’un champion porté par terre, et alors, s’il n’a pas bien vite recours à la Contrition, il est perdu; et ce dernier moyen, il faut en user plus tôt que plus tard. Vous croyez, vous autres courtisans, qu’un peccavi [40] n’est pas long à dire. Hélas! mes frères, combien de pauvres moribonds veulent dire peccavi, à qui la voix manque sur le pec! et crac! voilà une âme emportée par le diable; l’aille chercher qui voudra.

Le frère Lubin continua encore quelque temps à donner carrière à son éloquence; et, lorsqu’il abandonna la chaire, un amateur de beau langage remarqua que son sermon, qui n’avait duré qu’une heure, contenait trente-sept pointes et d’innombrables traits d’esprit semblables à ceux que je viens de citer. Catholiques et protestants avaient également applaudi au prédicateur, qui demeura longtemps au pied de la chaire, entouré d’une foule empressée qui venait de toutes les parties de l’église pour lui offrir des félicitations.

Pendant le sermon, Mergy avait plusieurs fois demandé où était la comtesse de Turgis; son frère l’avait inutilement cherchée des yeux. Ou la belle comtesse n’était pas dans l’église, ou bien elle se cachait à ses admirateurs dans quelque coin obscur.

– Je voudrais, disait Mergy en sortant, je voudrais que toutes les personnes qui viennent d’assister à cet absurde sermon entendissent sur-le-champ les simples exhortations d’un de nos ministres…

– Voici la comtesse de Turgis, lui dit tout bas le capitaine en lui serrant le bras.

Mergy tourna la tête, et vit passer sous le portail obscur, avec la rapidité de l’éclair, une femme, fort richement parée, et que conduisait par la main un jeune homme blond, mince, fluet, d’une mine efféminée, et dont le costume offrait une négligence peut-être étudiée. La foule s’ouvrait devant eux avec un empressement mêlé de terreur. Ce cavalier était le terrible Comminges.

Mergy eut à peine le temps de jeter un coup d’œil sur la comtesse. Il ne pouvait se rendre compte de ses traits, et cependant ils avaient fait sur lui une grande impression; mais Comminges lui avait mortellement déplu, sans qu’il pût s’expliquer pourquoi. Il s’indignait de voir un homme si faible en apparence et déjà possesseur de tant de renommée.

«Si par hasard, pensa-t-il, la comtesse aimait quelqu’un dans cette foule, cet odieux Comminges le tuerait! Il a juré de tuer tous ceux qu’elle aimera.»

Il mit involontairement la main sur la garde de son épée; mais aussitôt il eut honte de ce transport.

«Que m’importe, après tout? Je ne lui envie pas sa conquête, que d’ailleurs j’ai à peine vue.»

Cependant ces idées lui avaient laissé une impression pénible, et pendant tout le chemin de l’église à la maison du capitaine il garda le silence.

Ils trouvèrent le souper servi. Mergy mangea peu; et, aussitôt que la table fut enlevée, il voulut retourner à son hôtellerie. Le capitaine consentit à le laisser sortir, mais sous la promesse qu’il viendrait le lendemain s’établir définitivement dans sa maison.

Il n’est pas besoin de dire que Mergy trouva chez son frère argent, cheval, etc., et de plus la connaissance du tailleur de la cour et du seul marchand où un gentilhomme, curieux d’être bien vu des dames, pouvait acheter ses gants, ses fraises à la confusion et ses souliers à cric ou à pont levis.

Enfin, la nuit étant tout à fait noire, il retourna à son auberge accompagné de deux laquais de son frère, armés de pistolets et d’épées; car les rues de Paris, après huit heures du soir, étaient alors plus dangereuses que la route de Séville à Grenade ne l’est encore aujourd’hui.

VI – UN CHEF DE PARTI

Bernard de Mergy, de retour dans son humble auberge, jeta tristement les yeux sur son ameublement usé et terni. Quand il compara dans son esprit les murs de sa chambre, autrefois blanchis à la chaux, maintenant enfumés et noircis, avec les brillantes tentures de soie de l’appartement qu’il venait de quitter; quand il se rappela cette jolie madone peinte, et qu’il ne vit sur la muraille devant lui qu’une vieille image de saint, alors une idée assez vile entra dans son âme. Ce luxe, cette élégance, les faveurs des dames, les bonnes grâces du roi, tant de choses désirables enfin, n’avaient coûté à George qu’un seul mot, un seul mot bien facile à prononcer, car il suffisait qu’il partit des lèvres, et l’on n’allait pas interroger le fond des cœurs. Aussitôt se présentèrent à sa mémoire les noms de plusieurs protestants qui, en abjurant leur religion, s’étaient élevés aux honneurs; et, comme le diable se fait arme de tout, la parabole de l’Enfant prodigue revint à son esprit, mais avec cette étrange moralité, que l’on ferait plus de fête à un huguenot converti qu’à un catholique persévérant.

Ces pensées, qui se reproduisaient sous toutes les formes et comme malgré lui, l’obsédaient, tout en lui inspirant du dégoût. Il prit une Bible de Genève, qui avait appartenu à sa mère, et lut pendant quelque temps. Plus calme alors, il posa le livre, et, avant de fermer les yeux, il fit en lui-même le serment de vivre et de mourir dans la religion de ses pères.

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[40] Aveu et repentir de ses péchés devant Dieu.