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– La comtesse de Turgis! Qu’elle est belle aujourd’hui! murmuraient les courtisans. Et chacun se pressait pour la mieux voir. Mergy, qui se trouva sur son passage, fut tellement frappé de sa beauté, qu’il resta immobile, et ne pensa à se ranger pour lui faire passage que lorsque les larges manches de soie de la comtesse touchèrent son pourpoint.

Elle remarqua son émotion, peut-être avec plaisir, et daigna fixer un instant ses beaux yeux sur ceux de Mergy, qui se baissèrent aussitôt, tandis que ses joues se couvraient d’une vive rougeur. La comtesse sourit, et en passant laissa tomber un de ses gants devant notre héros, qui, toujours immobile et hors de lui, ne pensa pas même à le ramasser. Aussitôt un jeune homme blond (ce n’était autre que Comminges), qui se trouvait derrière Mergy, le poussa rudement pour passer devant lui, se saisit du gant, et, après l’avoir baisé avec respect, le remit à madame de Turgis. Celle-ci, sans le remercier, se tourna vers Mergy, qu’elle regarda quelque temps, mais avec une expression de mépris foudroyante, puis remarquant auprès de lui le capitaine George:

– Capitaine, dit-elle très haut, dites-moi d’où nous vient ce grand dadais? Sûrement c’est quelque huguenot, à en juger par sa courtoisie.

Un éclat de rire général acheva de déconcerter le malheureux qui en était l’objet.

– C’est mon frère, Madame, répondit George un peu moins haut; il est à Paris depuis trois jours, et, sur mon honneur, il n’est pas plus gauche que n’était Lannoy avant que vous ne prissiez soin de le former.

La comtesse rougit un peu.

– Capitaine, voilà une méchante plaisanterie. Ne parlez pas mal des morts. Tenez, donnez-moi la main; j’ai à vous entretenir de la part d’une dame qui n’est pas trop contente de vous.

Le capitaine lui prit respectueusement la main, et la conduisit dans une embrasure de fenêtre éloignée; mais, en marchant, elle se retourna encore une fois pour regarder Mergy. Encore tout ébloui de l’apparition de la belle comtesse, qu’il brûlait de regarder, et sur laquelle il n’osait lever les yeux, Mergy se sentit frapper doucement sur l’épaule. Il se retourna, et vit le baron de Vaudreuil, qui, le prenant par la main, le conduisit à l’écart pour lui parler, disait-il, sans crainte d’être interrompu.

– Mon cher ami, dit le baron, vous êtes tout nouveau dans ce pays, et peut-être ne savez-vous pas encore comment vous y conduire?

Mergy le regarda d’un air étonné.

– Votre frère est occupé, et ne peut vous donner de conseils; si vous le permettez, je le remplacerai.

– Je ne sais, Monsieur, ce qui…

– Vous avez été gravement offensé, et, vous voyant dans cette altitude pensive, je ne doute pas que vous ne songiez aux moyens de vous venger.

– Me venger? et de qui? demanda Mergy, rougissant jusqu’au blanc des yeux.

– N’avez-vous pas été heurté rudement tout à l’heure par le petit Comminges! Toute la cour a vu l’affaire, et s’attend que vous allez la prendre fort à cœur.

– Mais, dit Mergy, dans une salle où il y a tant de monde, il n’est pas extraordinaire que quelqu’un m’ait poussé involontairement.

– Monsieur de Mergy, je n’ai pas l’honneur d’être fort connu de vous, mais votre frère est mon grand ami, et il peut vous dire que je pratique, autant qu’il m’est possible, le divin précepte de l’oubli des injures. Je ne voudrais pas vous embarquer dans une mauvaise querelle, mais en même temps je crois de mon devoir de vous dire que Comminges ne vous a pas poussé par mégarde. Il vous a poussé parce qu’il voulait vous faire affront; et, ne vous eût-il pas poussé, il vous a offensé cependant; car, en ramassant le gant de la Turgis, il a usurpé un droit qui vous appartenait. Le gant était à vos pieds, ergo [47] vous seul aviez le droit de le ramasser et de le rendre… Tenez, d’ailleurs, tournez-vous, vous verrez au bout de la galerie Comminges qui vous montre du doigt et se moque de vous.

Mergy, s’étant retourné, aperçut Comminges entouré de cinq ou six jeunes gens à qui il racontait en riant quelque chose qu’ils paraissaient écouter avec curiosité. Rien ne prouvait qu’il fût question de lui dans ce groupe; mais, sur la parole de son charitable conseiller, Mergy sentit une violente colère se glisser dans son cœur.

– Je veux aller le trouver après la chasse, dit-il, et je saurai de lui…

– Oh! ne remettez jamais une bonne résolution comme celle-là; en outre, vous offensez bien moins Dieu en appelant votre adversaire aussitôt après l’injure, que si vous le faisiez après avoir eu le temps de la réflexion. Dans un moment de vivacité, ce qui n’est qu’un pêché véniel, vous prenez rendez-vous pour vous battre; et si vous vous battez ensuite, c’est seulement pour ne pas faire un pêché bien plus grand, celui de manquer à votre parole. Mais j’oublie que je parle à un protestant. Quoi qu’il en soit, prenez tout de suite rendez-vous avec lui; je m’en vais vous aboucher [48] sur-le-champ.

– J’espère qu’il ne se refusera pas à me faire les excuses qu’il me doit.

– Pour cela, mon camarade, détrompez-vous; Comminges n’a jamais dit: J’ai eu tort. Du reste, il est fort galant homme, et vous donnera toute satisfaction.

Mergy fit un effort pour calmer son émotion et pour prendre un air d’indifférence.

– Si j’ai été insulté, dit-il, il me faut une satisfaction. Quelle qu’elle soit, je saurai l’exiger.

– À merveille, mon brave; j’aime à voir votre audace, car vous n’ignorez pas que Comminges est une de nos meilleures épées. Par ma foi! c’est un gentilhomme qui a les armes bien dans la main. Il a pris à Rome des leçons de Brambilla, et Petit-Jean ne veut plus tirer contre lui.

En parlant ainsi, il regardait attentivement la figure un peu pâle de Mergy, qui semblait cependant plus ému de l’offense qu’effrayé de ses suites.

– Je voudrais bien vous servir de second dans cette affaire; mais, outre que je communie demain, je suis engagé avec Mr de Rheincy, et je ne puis tirer l’épée contre un autre que lui [49].

– Je vous remercie, Monsieur; si nous en venons à des extrémités, mon frère me servira de second.

– Le capitaine s’entend à merveille à ces sortes d’affaires. En attendant, je vais vous amener Comminges pour que vous vous expliquiez avec lui.

Mergy s’inclina, et, se tournant vers le mur, il s’occupa de préparer les termes du défi et de composer son visage.

Il y a une certaine grâce à faire un défi, qui s’acquiert, comme bien d’autres, par l’habitude. Notre héros en était à sa première affaire, par conséquent il éprouvait un peu d’embarras; mais, dans ce moment, il craignait moins de recevoir un coup d’épée que de dire quelque chose qui ne fût pas d’un gentilhomme. À peine était-il parvenu à rédiger dans sa tête une phrase ferme et polie, que le baron de Vaudreuil, en le prenant par le bras, la lui fit oublier à l’instant.

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[47] Donc, par conséquent.

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[48] Mettre en rapport, en communication verbale.

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[49] C’était un principe pour un raffiné de n’entrer dans aucune nouvelle querelle tant qu’il en avait une arriérée.