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– Que fais-tu donc, George, mon ami? dit Béville; ne sais-tu pas qu’il va falloir en découdre avec moi? Nous ne sommes pas de ces seconds qui se croisent les bras pendant que leurs amis se battent, et nous pratiquons la coutume d’Andalousie.

Le capitaine haussa les épaules.

– Tu crois donc que je plaisante? Je le jure sur ma foi qu’il faut que tu te battes avec moi. Le diable m’emporte si tu ne te bats pas!

– Tu es un fou et un sot, dit froidement le capitaine.

– Parbleu! tu me feras raison de ces deux mots-là, ou tu m’obligeras à quelque…

Il levait son épée, encore dans le fourreau, comme s’il eût voulu en frapper George.

– Tu le veux, dit le capitaine; soit.

En un instant il fut en chemise.

Comminges, avec une grâce toute particulière, secoua son épée en l’air, et d’un seul coup fit voler le fourreau à vingt pas. Béville en voulut faire autant; mais le fourreau resta à moitié de la lame, ce qui passait à la fois pour une maladresse et pour un mauvais présage. Les deux frères tirèrent leurs épées avec moins d’apparat, mais ils jetèrent également leurs fourreaux, qui auraient pu les gêner. Chacun se plaça devant son adversaire, l’épée nue à la main droite et le poignard à la gauche. Les quatre fers se croisèrent en même temps.

George le premier, par cette manœuvre que les professeurs italiens appelaient alors liscio di spada è cavare alla vita [52], et qui consiste à opposer le fort au faible, de manière à écarter et à rabattre l’arme de son adversaire, fit sauter l’épée des mains de Béville, et lui mit la pointe de la sienne sur la poitrine; mais au lieu de le percer, il baissa froidement son arme.

– Tu n’es pas de ma force, dit-il, cessons; n’attends pas que je sois en colère.

Béville avait pâli en voyant l’épée de George si près de sa poitrine. Un peu confus, il lui tendit la main, et tous les deux, ayant planté leurs épées en terre, ne pensèrent plus qu’à regarder les deux principaux acteurs de cette scène.

Mergy était brave et avait du sang-froid. Il entendait assez bien l’escrime, et sa force corporelle était bien supérieure à celle de Comminges, qui paraissait d’ailleurs se ressentir des fatigues de la nuit précédente. Pendant quelque temps il se borna à parer avec une prudence extrême, rompant la mesure quand Comminges s’avançait trop, et lui présentant toujours à la figure la pointe de sa rapière, tandis qu’avec son poignard il se couvrait la poitrine. Cette résistance inattendue irrita Comminges. On le vit pâlir. Chez un homme si brave, la pâleur n’annonçait qu’une excessive colère. Il redoubla ses attaques avec fureur. Dans une passe, il releva avec beaucoup d’adresse l’épée de Mergy, et, se fendant avec impétuosité, il l’aurait infailliblement percé d’outre en outre sans une circonstance qui fut presque un miracle, et qui dérangea le coup: la pointe de la rapière rencontra le reliquaire d’or poli, qui la fit glisser et prendre une direction un peu oblique. Au lieu de pénétrer dans la poitrine; l’épée ne perça que la peau, et, en suivant une direction parallèle à la cinquième côte, ressortit à deux pouces de distance de la première blessure. Avant que Comminges pût retirer son arme, Mergy le frappa de son poignard à la tête avec tant de violence, qu’il en perdit lui-même l’équilibre et tomba à terre. Comminges tomba en même temps sur lui: en sorte que les seconds les crurent morts tous les deux.

Mergy fut bientôt sur pied, et son premier mouvement fut de ramasser son épée, qu’il avait laissé échapper dans sa chute. Comminges ne remuait pas. Béville le releva. Sa figure était couverte de sang; et, l’ayant essuyée avec son mouchoir, il vit que le poignard était entré dans l’œil et que son ami était mort sur le coup, le fer ayant pénétré sans doute jusqu’à la cervelle. Mergy regardait le cadavre d’un œil hagard.

– Tu es blessé, Bernard, dit le capitaine en courant à lui.

– Blessé! dit Mergy; et il s’aperçut alors seulement que sa chemise était toute sanglante.

– Ce n’est rien, dit le capitaine, le coup a glissé.

Il étancha le sang avec son mouchoir, et demanda celui de Béville pour achever le pansement. Béville laissa retomber sur l’herbe le corps qu’il tenait, et donna sur-le-champ son mouchoir ainsi que celui de Comminges, qu’il alla prendre dans son pourpoint.

– Tudieu! l’ami; quel coup de poignard! Vous avez là un furieux bras! Mort de ma vie! que vont dire messieurs les raffinés de Paris, si de la province leur viennent des lurons de votre espèce? Dites-moi, de grâce, combien de duels avez-vous eus déjà?

– Hélas! répondit Mergy, voici le premier. Mais, au nom de Dieu! allez secourir votre ami.

– Parbleu! de la façon dont vous l’avez accommodé, il n’a pas besoin de secours; la dague est entrée dans le cerveau, et le coup était si bon et si fermement asséné que… Regardez son sourcil et sa joue, la coquille du poignard s’y est imprimée comme un cachet dans de la cire.

Mergy se mit à trembler de tous ses membres, et de grosses larmes coulaient une à une sur ses joues.

Béville ramassa la dague, et considéra avec attention le sang qui en remplissait les cannelures.

– Voici un outil à qui le frère cadet de Comminges doit une fière chandelle. Cette belle dague-là le fait héritier d’une superbe fortune.

– Allons-nous-en… Emmène-moi d’ici, dit Mergy d’une voix éteinte, en prenant le bras de son frère.

– Ne t’afflige pas, dit George en l’aidant à reprendre son pourpoint. Après tout, l’homme qui est mort n’est pas trop digne qu’on le regrette.

– Pauvre Comminges! s’écria Béville. Et dire que tu es tué par un jeune homme qui se bat pour la première fois, toi qui t’es battu près de cent fois! Pauvre Comminges!

Ce fut la fin de son oraison funèbre. Et jetant un dernier regard sur son ami, Béville aperçut la montre du défunt suspendue à son cou, selon l’usage d’alors.

– Parbleu! s’écria-t-il, tu n’as plus besoin de savoir l’heure qu’il est maintenant.

Il détacha la montre et la mit dans sa poche, observant que le frère de Comminges serait bien assez riche, et qu’il voulait conserver un souvenir de son ami.

Comme les deux frères allaient s’éloigner:

– Attendez-moi! leur cria-t-il, repassant son pourpoint à la hâte. Eh! monsieur de Mergy, votre dague que vous oubliez! N’allez pas la perdre au moins.

Il en essuya la lame à la chemise du mort, et courut rejoindre le jeune duelliste.

– Consolez-vous, mon cher, lui dit-il en entrant dans son bateau. Ne faites pas une si piteuse mine. Croyez-moi, au lieu de vous lamenter, allez voir votre maîtresse aujourd’hui même, tout de ce pas, et besognez si bien que dans neuf mois vous puissiez rendre à la république un citoyen en échange de celui que vous lui avez fait perdre. De la sorte le monde n’aura rien perdu par votre fait. Allons, batelier, rame comme si tu voulais gagner une pistole. Voici des gens avec des hallebardes qui s’avancent vers nous. Ce sont messieurs les sergents qui s’en viennent de la tour de Nesle, et nous ne voulons rien avoir à démêler avec eux.

XII – MAGIE BLANCHE

Ces hommes armés de hallebardes étaient des soldats du guet, dont une troupe se tenait toujours dans le voisinage du Pré-aux-Clercs pour être à portée de s’entremettre dans les querelles qui se vidaient d’ordinaire sur ce terrain classique des duels. Suivant leur usage, ils s’étaient avancés fort lentement, et de manière à n’arriver que lorsque tout était fini. En effet, leurs tentatives pour rétablir la paix étaient souvent fort mal reçues; et plus d’une fois on avait vu des ennemis acharnés suspendre un combat à mort pour charger de concert les soldats qui essayaient de les séparer. Aussi les fonctions de cette garde se bornaient-elles généralement à secourir les blessés ou bien à emporter les morts. Cette fois les archers n’avaient que ce dernier devoir à remplir, et ils s’en acquittèrent selon leur coutume, c’est-à-dire après avoir vidé soigneusement les poches du malheureux Comminges et s’être partagé ses habits.

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[52] Froisser le fer et dégager au corps. Tous les termes d’escrime étaient alors empruntés à l’italien.