– Mon cher ami, dit Béville en se tournant vers Mergy, le conseil que j’ai à vous donner, c’est de vous faire porter le plus secrètement que faire se pourra, chez maître Ambroise Paré, qui est un homme admirable pour vous recoudre une plaie et vous rhabiller un membre cassé. Bien qu’hérétique comme Calvin lui-même, il est en telle réputation de savoir, que les plus chauds catholiques ont recours à lui. Jusqu’à présent il n’y a que la marquise de Boissières qui se soit laissée mourir bravement plutôt que de devoir la vie à un huguenot. Aussi je parie dix pistoles qu’elle est en paradis.
– La blessure n’est rien, dit George; dans trois jours elle sera fermée. Mais Comminges a des parents à Paris, et je crains qu’ils ne prennent sa mort un peu trop à cœur.
– Ah! oui! il y a bien une mère qui par convenance se croira obligée de poursuivre notre ami. Bah! fais demander sa grâce par Mr de Châtillon, le roi l’accordera aussitôt: le roi est comme une cire molle sous les doigts de l’Amiral.
– Je voudrais, s’il était possible, dit alors Mergy d’une voix faible, je voudrais que l’Amiral ne sût rien de tout ce qui vient de se passer.
– Pourquoi donc? Croyez-vous que la vieille barbe grise sera fâchée d’apprendre de quelle gaillarde manière un protestant vient de dépêcher un catholique?
Mergy ne répondit que par un profond soupir.
– Comminges était assez connu à la cour pour que sa mort fasse du bruit, dit le capitaine. Mais tu as fait ton devoir en gentilhomme, et il n’y a rien que d’honorable pour toi dans tout ceci. Depuis bien longtemps je n’ai pas rendu visite au vieux Châtillon, et voici une occasion de renouer connaissance avec lui.
– Comme il est toujours désagréable de passer quelques heures sous les verrous de la justice, reprit Béville, je vais mener ton frère dans une maison où l’on ne s’avisera pas de le chercher. Il y sera parfaitement tranquille en attendant que son affaire soit arrangée; car je ne sais si en sa qualité d’hérétique il pourrait être reçu dans un couvent.
– Je vous remercie de votre offre, Monsieur, dit Mergy; mais je ne puis l’accepter. Je pourrais vous compromettre en le faisant.
– Point, point, mon très cher. Et puis ne faut-il pas faire quelque chose pour ses amis? La maison où je vous logerai appartient à un de mes cousins, lequel n’est pas à Paris dans ce moment. Elle est à ma disposition. Il y a même quelqu’un à qui j’ai permis de l’habiter, et qui vous soignera: c’est une vieille fort utile à la jeunesse et qui m’est dévouée. Elle se connaît en médecine, en magie, en astronomie. Que ne fait-elle pas! Mais son plus beau talent, c’est celui d’entremetteuse. Je veux être foudroyé si elle n’irait pas remettre une lettre d’amour à la reine si je l’en priais.
– Eh bien, dit le capitaine, nous le conduirons dans cette maison aussitôt après que maître Ambroise aura mis le premier appareil.
En parlant ainsi, ils abordèrent à la rive droite. Après avoir guindé Mergy sur un cheval, non sans quelque peine, ils le conduisirent chez le fameux chirurgien, puis de là dans une maison isolée du faubourg Saint-Antoine, et ils ne le laissèrent que le soir, couché dans un bon lit, et recommandé aux soins de la vieille.
Quand on vient de tuer un homme, et que cet homme est le premier que l’on tue, on est tourmenté pendant quelque temps, surtout aux approches de la nuit, par le souvenir et l’image de la dernière convulsion qui a précédé sa mort. On a l’esprit tellement préoccupé d’idées noires, qu’on peut à grand’peine prendre part à la conversation la plus simple; elle fatigue et ennuie; et d’un autre côté l’on à peur de la solitude, parce qu’elle donne encore plus d’énergie à ces idées accablantes. Malgré les visites fréquentes de Béville et du capitaine, Mergy passa dans une tristesse affreuse les premiers jours qui suivirent son duel. Une fièvre assez forte, causée par sa blessure, le privait de sommeil pendant les nuits, et c’était alors qu’il était le plus malheureux. L’idée seule que madame de Turgis pensait à lui et avait admiré son courage le consolait un peu, mais ne le calmait pas.
Une nuit, oppressé par la chaleur étouffante (c’était au mois de juillet), il voulut sortir de sa chambre pour se promener et respirer l’air dans un jardin planté d’arbres, au milieu duquel était située la maison. Il mit un manteau sur ses épaules et voulut sortir; mais il trouva que la porte de sa chambre était fermée à clef en dehors. Il pensa que ce ne pouvait être qu’une méprise de la vieille qui le servait; et comme elle couchait loin de lui, et qu’à cette heure elle devait être profondément endormie, il jugea tout à fait inutile de l’appeler. D’ailleurs sa fenêtre était peu élevée; au bas la terre était molle, pour avoir été fraîchement remuée. En un instant il se trouva dans le jardin. Le temps était couvert; pas une étoile ne montrait le bout de son nez, et de rares bouffées de vent traversaient de temps en temps, et comme avec peine, l’air chaud et lourd. Il était environ deux heures du matin, et le plus profond silence régnait aux environs.
Mergy se promena quelque temps absorbé dans ses rêveries. Elles furent interrompues par un coup frappé à la porte de la rue. C’était un coup de marteau faible et comme mystérieux, celui qui frappait paraissant compter que quelqu’un serait aux écoutes pour lui ouvrir. Une visite dans une maison isolée, à pareille heure, avait de quoi surprendre. Mergy se tint immobile dans un endroit sombre du jardin, d’où il pouvait tout observer sans être vu. Une femme, qui ne pouvait être autre que la vieille, sortit sur-le-champ de la maison, une lanterne sourde à la main; elle ouvrit, et quelqu’un entra couvert d’un grand manteau noir garni d’un capuchon.
La curiosité de Bernard fut vivement excitée. La taille et, autant qu’il en pouvait juger, les vêtements de la personne qui venait d’arriver indiquaient une femme. La vieille la salua avec toutes les marques d’un grand respect, tandis que la femme au manteau noir lui fit à peine une inclination de tête. En revanche, elle lui mit dans la main quelque chose que la vieille parut recevoir avec grand plaisir. Un bruit clair et métallique qui se fit entendre, et l’empressement de la vieille à se baisser et à chercher à terre, firent conclure à Mergy qu’elle venait de recevoir de l’argent. Les deux femmes se dirigèrent vers le jardin, la vieille marchant la première et cachant sa lanterne. Au fond du jardin, il y avait une espèce de cabinet de verdure formé par des tilleuls plantés en cercle et réunis par une charmille fort épaisse, et qui pouvait assez bien remplacer un mur. Deux entrées, ou deux portes, conduisaient à ce bosquet, au milieu duquel était une petite table de pierre. C’est là qu’entrèrent la vieille et la femme voilée. Mergy, retenant son haleine, les suivit à pas de loup, et se plaça derrière la charmille, de manière à bien entendre et à voir autant que le peu de lumière qui éclairait cette scène pouvait le lui permettre.