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Il y avait dans cette voix quelque chose de triste et de mélancolique; mais ce n’était pas la voix de la Turgis. Mergy ne savait que penser.

– Quoi! dit-il, vous êtes Espagnole, et vous n’estimez pas la jalousie?

– Laissons cela. Qu’est-ce que ce cordon noir que vous avez pendu au cou?

– C’est une relique.

– Je vous croyais protestant.

– Il est vrai. Mais cette relique m’a été donnée par une dame, et je la porte en souvenir d’elle.

– Tenez, si vous voulez me plaire, vous ne songerez plus aux dames; je veux être pour vous toutes les dames. Qui vous a donné ce reliquaire? Est-ce encore là Turgis?

– Non, en vérité.

– Vous mentez!

– Vous êtes donc madame de Turgis?

– Vous vous êtes trahi, seigneur Bernardo!

– Comment?

– Quand je verrai la Turgis, je lui demanderai pourquoi elle fait ainsi le sacrilège de donner une chose sainte à un hérétique.

L’incertitude de Mergy redoublait à chaque instant.

– Mais je veux ce reliquaire; donnez-le moi.

– Non, je ne puis le donner.

– Je le veux. Osez-vous me le refuser?

– J’ai promis de le rendre.

– Bah! enfantillage que cette promesse! Promesse faite à une femme fausse n’engage pas. D’ailleurs, prenez-y garde, c’est peut-être un charme, un talisman dangereux que vous portez là. La Turgis, dit-on, est une grande magicienne.

– Je ne crois pas à la magie.

– Ni aux magiciens?

– Je crois un peu aux magiciennes. (Il appuya sur ce dernier mot).

– Écoutez, donnez-moi ce reliquaire, et peut-être ôterai-je mon masque.

– Pour le coup, c’est la voix de madame de Turgis!

– Pour la dernière fois, voulez-vous me donner ce reliquaire?

– Je vous le rendrai, si vous voulez ôter votre masque.

– Ah! vous m’impatientez avec votre Turgis; aimez-la tant qu’il vous plaira; que m’importe?

Elle se tourna sur son fauteuil, comme si elle boudait. Le satin qui couvrait sa gorge s’élevait et s’abaissait rapidement.

Pendant quelques minutes elle garda le silence; puis, se retournant tout d’un coup, elle dit d’un ton moqueur:

– Vala me Dios! V. M. no es cabellero, es un monge. [58]

D’un coup de poing elle renversa les deux bougies qui brûlaient sur la table, et la moitié des bouteilles et des plats. Les flambeaux s’éteignirent à l’instant. En même temps elle arracha son masque. Dans l’obscurité la plus complète, Mergy sentit une bouche brûlante qui cherchait la sienne, et deux bras qui le serraient avec force.

XV – L’OBSCURITÉ

L’horloge d’une église voisine sonna quatre coups.

– Jésus! quatre heures! J’aurai à peine le temps de rentrer chez moi avant le jour.

– Quoi! méchante, me quitter si tôt!

– Il le faut; mais nous nous reverrons sous peu.

– Nous nous reverrons! songez donc, chère comtesse, que je ne vous ai pas vue.

– Laissez là votre comtesse, enfant que vous êtes. Je suis doña Maria; et, quand nous aurons de la lumière, vous verrez bien que je ne suis pas celle que vous croyez.

– De quel côté est la porte? Je vais appeler.

– Non, laissez-moi descendre, Bernardo; je connais cette chambre, je sais où je trouverai un briquet.

– Prenez bien garde de marcher sur des morceaux de verre; vous en avez cassé plusieurs hier.

– Laissez-moi faire.

– Trouvez-vous?

– Ah! oui, c’est mon corset. Sainte Vierge? comment ferai-je? J’ai coupé tous les lacets avec votre poignard.

– Il faut en demander à la vieille.

– Ne bougez pas, laissez-moi faire. Adios, querido Bernardo! [59]

La porte s’ouvrit et se referma aussitôt. Un long éclat de rire se fit entendre au dehors. Mergy comprit que sa conquête venait de lui échapper. Il essaya de la poursuivre; mais, dans l’obscurité, il se heurtait contre les meubles, il s’embarrassait dans des robes et des rideaux, sans pouvoir trouver la porte. Tout d’un coup la porte s’ouvrit, et quelqu’un entra, tenant une lanterne sourde. Mergy saisit aussitôt dans ses bras la personne qui la portait.

– Ah! je vous tiens, vous ne m’échapperez plus! s’écria-t-il en l’embrassant tendrement.

– Laissez-moi donc, monsieur de Mergy, dit une grosse voix. Est-ce que l’on serre les gens de la sorte?

Il reconnut la vieille.

– Que le diable vous emporte! s’écria-t-il.

Il s’habilla en silence, prit ses armes et son manteau, et sortit de cette maison dans l’état d’un homme qui, après avoir bu d’excellent vin de Malaga, avale, par la distraction du domestique qui le sert, un verre d’une bouteille de sirop antiscorbutique, oubliée depuis longues années dans la cave.

Mergy fut assez discret avec son frère; il parla d’une dame espagnole de la plus grande beauté, autant qu’il en avait pu juger sans lumière, mais il ne dit pas un mot des soupçons qu’il avait formés sur son incognito.

XVI – L’AVEU

Deux jours se passèrent sans message de la feinte Espagnole. Le troisième, les deux frères apprirent que madame de Turgis était arrivée la veille à Paris, et qu’elle irait certainement faire sa cour à la reine mère dans la journée. Ils se rendirent aussitôt au Louvre, et la rencontrèrent dans une galerie, au milieu d’un groupe de dames avec qui elle causait. La vue de Mergy ne parut pas lui causer la moindre émotion. Pas la plus légère rougeur ne colora ses joues ordinairement pâles. Aussitôt qu’elle l’aperçut, elle lui fit un signe de tête, comme à une ancienne connaissance, et, après les premiers compliments, elle lui dit en se penchant à son oreille:

– Maintenant, je l’espère, l’opiniâtreté huguenote est un peu ébranlée? Il fallait des miracles pour vous convertir.

– Comment?

– Quoi! n’avez-vous pas éprouvé par vous-même les surprenants effets du pouvoir des reliques?

Mergy sourit d’un air incrédule.

– Le souvenir de la belle main qui m’a donné cette petite boîte, et l’amour qu’elle m’a inspiré, ont doublé mes forces et mon adresse.

En riant elle le menaça du doigt.

– Vous devenez impertinent, monsieur le cornette. Savez-vous bien à qui vous tenez ce langage?

Tout en parlant, elle ôta son gant pour arranger ses cheveux, et Mergy regardait fixement sa main, et de la main il reportait ses regards aux yeux si vifs et presque méchants de la belle comtesse. L’air étonné du jeune homme la fit rire aux éclats.

– Qu’avez-vous à rire?

– Et vous, qu’avez-vous à me regarder ainsi d’un air étonné?

– Excusez-moi, mais depuis quelques jours je ne rencontre que des sujets d’étonnement.

– En vérité! cela doit être curieux. Contez-nous donc bien vite quelques-unes de ces choses surprenantes qui vous arrivent à chaque instant.

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[58] Dieu me pardonne! vous n’êtes point un cavalier, vous êtes un moine.

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[59] Adieu, cher Bernard.