– Si bien que tu ne te vengeras pas de l’Amiral? Cependant le… devient furieusement insolent!
George ouvrait de grands yeux étonnés.
– Pourtant, continua le roi, il t’a offensé. Oui, le diable m’emporte! il t’a grièvement offensé, m’a-t-on dit… Un gentilhomme n’est pas un laquais, et il y a des choses que l’on ne peut endurer, même d’un prince.
– Comment pourrais-je me venger de lui? il trouverait au-dessous de sa naissance de se battre avec moi.
– Peut-être. Mais…
Le roi reprit l’arquebuse et la mit en joue.
– Me comprends-tu?
Le capitaine recula de deux pas. Le geste du monarque était assez clair, et l’expression diabolique de sa physionomie ne l’expliquait que trop.
– Quoi! sire, vous me conseilleriez?…
Le roi frappa le plancher avec force de la crosse de l’arquebuse, et s’écria, en regardant le capitaine avec des yeux furieux:
– Te conseiller! ventre de Dieu! je ne te conseille rien.
Le capitaine ne savait que répondre; il fit ce que bien des gens auraient fait à sa place, il s’inclina et baissa les yeux.
Charles reprit bientôt d’un ton plus doux.
– Ce n’est pas que si tu lui tirais une bonne arquebusade pour venger ton honneur… cela me serait fort égal. Par les boyaux du pape! un gentilhomme n’a pas de plus précieux bien que son honneur, et, pour le réparer, il n’est chose qu’il ne puisse faire. Et puis ces Châtillons sont fiers et insolents comme des valets de bourreau; les coquins voudraient bien me tordre le cou, je le sais, et prendre ma place… Quand je vois l’Amiral, il me prend envie quelquefois de lui arracher tous les poils de la barbe.
À ce torrent de paroles d’un homme qui n’en était pas prodigue d’ordinaire, le capitaine ne répondit pas un mot.
– Eh bien! par le sang et par la tête! qu’est-ce que tu veux faire? Tiens, à ta place, je l’attendrais au sortir de son… prêche, et de quelque fenêtre je lui lâcherais une bonne arquebusade dans les reins. Parbleu! mon cousin de Guise t’en saurait gré, et tu aurais fait beaucoup pour la paix du royaume. Sais-tu que ce parpaillot est plus roi en France que moi-même? Cela me lasse à la fin… Je te dis tout net ce que je pense; il faut apprendre à ce… là à ne pas faire d’accroc à l’honneur d’un gentilhomme. Un accroc à l’honneur, un accroc à la peau, l’un paye l’autre.
– L’honneur d’un gentilhomme se déchire au lieu de se recoudre par un assassinat.
Cette réponse fut comme un coup de foudre pour le prince. Immobile, les mains étendues vers le capitaine, il tenait encore l’arquebuse qu’il semblait lui offrir comme l’instrument de sa vengeance. Sa bouche était pâle et à demi ouverte, et l’on eût dit que ses yeux hagards, fixés sur ceux de George, leur lançaient et en recevaient à la fois une horrible fascination.
L’arquebuse enfin échappa des mains tremblantes du roi, et fit retentir le plancher de sa chute: le capitaine se précipita sur-le-champ pour la ramasser, et le roi s’assit alors dans son fauteuil, et baissa la tête d’un air sombre. Les mouvements précipités de sa bouche et de ses sourcils annonçaient les combats qui se livraient au fond de son cœur.
– Capitaine, dit-il après un long silence, où est ta compagnie de chevau-légers?
– À Meaux, sire.
– Dans peu de jours tu iras la rejoindre, et tu la conduiras toi-même à Paris. Dans… quelques jours tu en recevras l’ordre. Adieu.
Il y avait dans sa voix un accent dur et colère. Le capitaine le salua profondément, et Charles, lui montrant de la main la porte du cabinet, lui annonça que son audience était terminée.
Le capitaine sortait à reculons avec les révérences d’usage, quand le roi, se levant avec impétuosité, lui saisit le bras.
– Bouche cousue, au moins! Tu m’entends!
George s’inclina, et mit sa main sur sa poitrine.
Comme il quittait l’appartement, il entendit le roi qui appelait son lévrier d’une voix dure, et en faisant claquer son fouet de chasse, comme s’il était disposé à décharger sa mauvaise humeur sur l’animal innocent.
De retour chez lui, George écrivit le billet suivant, qu’il fit tenir à l’Amiraclass="underline"
«Quelqu’un qui ne vous aime pas, mais qui aime l’honneur, vous engage à vous défier du duc de Guise, et même peut-être de quelqu’un encore plus puissant. Votre vie est menacée.»
Cette lettre ne produisit aucun effet sur l’âme intrépide de Coligny. On sait que peu de temps après, le 22 août 15 72, il fut blessé d’un coup d’arquebuse par un scélérat nommé Maurevel, qui reçut, à cette occasion, le surnom de tueur du roi.
XVIII – LE CATÉCHUMÈNE
Quand deux amants sont discrets, il se passe quelquefois plus de huit jours avant que le public soit dans leur confidence. Après ce temps, la prudence se relâche, on trouve les précautions ridicules; un coup d’œil est facilement surpris, plus facilement interprété, et tout est su.
Aussi la liaison de la comtesse de Turgis et du jeune Mergy ne fut bientôt plus un secret pour la cour de Catherine. Une foule de preuves évidentes auraient ouvert les yeux à des aveugles. Ainsi, madame de Turgis portait d’ordinaire des rubans lilas, et la garde de l’épée de Bernard, le bas de son pourpoint et ses souliers étaient ornés de rosettes de rubans lilas. La comtesse avait professé assez publiquement son horreur pour la barbe au menton, mais elle aimait une moustache galamment relevée; depuis peu, le menton de Mergy était toujours rasé avec soin, et sa moustache, désespérément frisée, empommadée et peignée avec un peigne de plomb, formait comme un croissant dont les pointes se relevaient bien au-dessus du nez. Enfin l’on allait jusqu’à dire qu’un certain gentilhomme sortant de grand matin, et passant par la rue des Assis, avait vu s’ouvrir la porte du jardin de la comtesse, et sortir un homme, lequel, quoique soigneusement enveloppé jusqu’au nez dans son manteau, il avait reconnu sans peine pour le seigneur de Mergy.
Mais ce qui semblait encore plus concluant, et ce qui surprenait tout le monde, c’était de voir le jeune huguenot, ce railleur impitoyable de toutes les cérémonies du culte catholique, aujourd’hui fréquentant les églises avec assiduité, ne manquant guère de processions, et même trempant ses doigts dans l’eau bénite, ce que, peu de jours auparavant, il aurait considéré comme un sacrilège horrible. On se disait à l’oreille que Diane venait de gagner une âme à Dieu, et les jeunes gentilshommes de la religion réformée déclaraient qu’ils songeraient peut-être sérieusement à se convertir, si, au lieu de capucins et de cordeliers, on leur envoyait pour les prêcher de jeunes et jolies dévotes comme madame de Turgis.
Il s’en fallait de beaucoup pourtant que Bernard fût converti. Il est vrai qu’il accompagnait la comtesse à l’église; mais il se plaçait à côté d’elle, et, tant que durait la messe, il ne cessait de lui parler à l’oreille, au grand scandale des dévots. Ainsi, non seulement il n’écoutait pas l’office, mais encore il empêchait les fidèles d’y prêter l’attention convenable. On sait qu’une procession était alors une partie de plaisir aussi amusante qu’une mascarade. Enfin, Mergy ne se faisait plus de scrupule de tremper ses doigts dans l’eau bénite, puisque cela lui donnait le droit de serrer en public une jolie main qui tremblait toujours en touchant la sienne. Au reste, s’il conservait sa croyance, il avait de rudes combats à soutenir, et Diane argumentait contre lui avec d’autant plus d’avantage qu’elle choisissait ordinairement, pour entamer ses disputes théologiques, les instants où Mergy avait le plus de peine à lui refuser quelque chose.