Un assez grand nombre de jeunes gentilshommes protestants bien montés, après avoir rendu visite à l’Amiral, se répandirent dans les rues avec l’intention de chercher le duc de Guise ou ses amis, et de leur faire une querelle s’ils les rencontraient. Néanmoins tout se passa d’abord paisiblement. Le peuple, effrayé de leur nombre, ou peut-être se réservant pour une autre occasion, gardait le silence sur leur passage, et, sans paraître ému, les entendait crier:
– Mort aux assassins de Mr l’Amiral! À bas les guisards!
Au détour d’une rue, une douzaine de jeunes gentilshommes catholiques, et parmi eux plusieurs serviteurs de la maison de Guise, se présentèrent inopinément devant la troupe protestante. On s’attendait à une querelle sérieuse, mais il n’en fut rien. Les catholiques, peut-être par prudence, peut-être parce qu’ils agissaient d’après des ordres précis, ne répondirent pas aux cris injurieux des protestants, et un jeune homme de bonne mine, qui marchait à leur tête, s’avança vers Mergy, et, le saluant avec politesse, lui dit d’un ton familier et amicaclass="underline"
– Bonjour, monsieur de Mergy. Vous avez sans doute vu Mr de Châtillon? Comment se porte-t-il? L’assassin est-il pris?
Les deux troupes s’arrêtèrent. Mergy reconnut le baron de Vaudreuil, lui rendit son salut et répondit à ses questions. Plusieurs conversations particulières s’établirent, et, comme elles durèrent peu, on se sépara sans dispute. Les catholiques cédèrent le haut du pavé, et chacun poursuivit son chemin.
Le baron de Vaudreuil avait retenu Mergy quelque temps, de sorte qu’il était resté un peu en arrière de ses compagnons. En le quittant, Vaudreuil lui dit en examinant la selle de son chevaclass="underline"
– Prenez garde! je me trompe fort, ou votre courtaud [62] est mal sanglé. Faites-y attention.
Mergy mit pied à terre et ressangla son cheval. Il était à peine remonté, qu’il entendit quelqu’un qui venait au grand trot derrière lui. Il tourna la tête et vit un jeune homme dont la figure lui était inconnue, mais qui faisait partie de la troupe qu’ils venaient de rencontrer.
– Dieu me damne! dit celui-ci en l’abordant; je serais ravi de rencontrer seul un de ceux qui criaient tout à l’heure à bas les guisards!
– Vous n’irez pas bien loin pour en trouver un, lui répondit Mergy. Qu’y a-t-il pour votre service?
– Seriez-vous par hasard du nombre de ces coquins-là?
Mergy dégaina sur-le-champ, et du plat de son épée frappa au visage cet ami des Guises. Celui-ci saisit aussitôt un pistolet d’arçon, et le tira à bout portant sur Mergy. Heureusement l’amorce seule prit feu. L’amant de Diane riposta par un grand coup d’épée sur la tête de son ennemi, et le fit tomber à bas de cheval, baigné dans son sang. Le peuple, jusqu’alors spectateur impassible, prit à l’instant parti pour le blessé. Le jeune huguenot fut assailli à coups de pierres et de bâtons, et, toute résistance étant inutile contre une telle multitude, il prit le parti de piquer des deux et de s’échapper au galop. En voulant tourner trop court un angle de rue, son cheval s’abattit et le renversa, sans le blesser, mais sans lui permettre de remonter assez tôt pour empêcher la populace furieuse de l’entourer. Alors il s’adossa contre un mur et repoussa quelque temps ceux qui se présentèrent à portée de son épée. Mais un grand coup de bâton en ayant brisé la lame, il fut terrassé, et allait être mis en pièces, si un cordelier [63], s’élançant devant les gens qui le pressaient, ne l’eût couvert de son corps.
– Que faites-vous, mes enfants! s’écria-t-il; lâchez cet homme, il n’est point coupable.
– C’est un huguenot! hurlèrent cent voix furieuses.
– Eh bien! laissez-lui le temps de se repentir. Il le peut encore.
Les mains qui tenaient Mergy le lâchèrent aussitôt. Il se releva, ramassa le tronçon de son épée, et se disposa à vendre chèrement sa vie, s’il avait à soutenir une nouvelle attaque.
– Laissez vivre cet homme, poursuivit le moine, et prenez patience. Avant peu les huguenots iront à la messe.
– Patience, patience! répétèrent plusieurs voix avec humeur. Il y a bien longtemps qu’on nous dit de prendre patience, et, en attendant, chaque dimanche, dans leurs prêches, leurs chants scandalisent tous les honnêtes chrétiens.
– Eh! ne savez-vous pas le proverbe, reprit le moine d’un ton enjoué: Tant chante le hibou qu’à la fin il s’enroue? Laissez-les brailler encore quelque peu; bientôt, par la grâce de Notre-Dame d’août, vous les entendrez chanter la messe en latin. Quant à ce jeune parpaillot, laissez-le moi, je veux en faire un bon chrétien. Allez, et ne brûlez pas le rôti pour le manger plus vite.
La foule se dispersa en murmurant, mais sans faire la moindre injure à Mergy. On lui rendit même son cheval.
– Voici la première fois de ma vie, dit-il, que j’ai du plaisir à voir votre robe, mon père. Croyez à ma reconnaissance, et veuillez accepter cette bourse.
– Si vous la destinez aux pauvres, mon garçon, je la prends. Sachez que je m’intéresse à vous. Je connais votre frère, et je vous veux du bien. Convertissez-vous dès aujourd’hui; venez avec moi, et votre affaire sera bientôt faite.
– Pour cela, mon père, je vous remercie. Je n’ai nulle envie de me convertir. Mais comment me connaissez-vous? Quel est votre nom?
– On m’appelle le frère Lubin… et… petit coquin, je vous vois rôder bien souvent autour d’une maison… Chut! Dites-moi, monsieur de Mergy, croyez-vous maintenant qu’un moine puisse faire du bien?
– Je publierai partout votre générosité, père Lubin.
– Vous ne voulez pas quitter le prêche pour la messe?
– Non, encore une fois; et je n’irai jamais à l’église que pour entendre vos sermons.
– Vous êtes homme de goût, à ce qu’il paraît.
– Et de plus votre grand admirateur.
– Ma foi, je suis fâché pour vous que vous vouliez rester dans l’hérésie. Je vous ai prévenu, j’ai fait ce que j’ai pu; il en sera ce qui pourra: pour moi, je m’en lave les mains. Adieu, mon garçon.
– Adieu, mon père.
Mergy remonta sur son cheval et regagna son logis, un peu moulu, mais fort content de s’être tiré à bon marché d’un si mauvais pas.
XX – LES CHEVAU-LÉGERS
Le soir du 24 août, une compagnie de chevau-légers entrait dans Paris par la porte Saint-Antoine. Les bottes et les habits des cavaliers, tout couverts de poussière, annonçaient qu’ils venaient de faire une longue traite. Les dernières lueurs du jour expirant éclairaient les visages basanés de ces soldats; on y pouvait lire cette inquiétude vague qui se fait sentir à l’approche d’un événement que l’on ne connaît point encore, mais que l’on soupçonne être d’une nature funeste.
La troupe se dirigea au petit pas vers un grand espace sans maisons, qui s’étendait près de l’ancien palais des Tournelles. Là le capitaine ordonna de faire halte, puis envoya en reconnaissance une douzaine d’hommes commandés par son cornette, et posta lui-même à l’entrée des rues voisines des sentinelles à qui il fit allumer la mèche, comme en présence de l’ennemi. Après avoir pris cette précaution extraordinaire, il revint devant le front de sa compagnie.