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– C’est vrai que depuis un temps ils font bien les fiers, dit Merlin.

– Ne dirait-on pas qu’ils nous ont battus à Jarnac et à Moncontour, tant ils piaffent et font les fendants?

– Ils voudraient, dit le trompette, manger le gigot et ne nous donner que le manche.

– Il est bien temps que les bons catholiques leur donnent un tour de peigne.

– Pour moi, dit le sergent, si le roi me disait: Tue-moi ces coquins-là, que je perde mon baudrier si je me le faisais dire deux fois!

– Belle-Rose, dis-nous donc un peu ce qu’a fait notre cornette? demanda Merlin.

– Il a parlé avec une espèce d’officier des Suisses; mais je n’ai pu entendre ce qu’il disait. Il faut toujours que cela soit curieux, car il s’écriait à tout moment: Ah! mon Dieu! ah! mon Dieu!

– Tiens, voici des cavaliers qui viennent à nous au grand galop; c’est sans doute un ordre que l’on nous apporte.

– Ils ne sont que deux, ce me semble; et le capitaine et le cornette vont à leur rencontre.

Deux cavaliers se dirigeaient rapidement vers la compagnie de chevau-légers. L’un, richement vêtu, et portant un chapeau couvert de plumes et une écharpe verte, montait un cheval de bataille. Son compagnon était un homme gros, court, ramassé dans sa petite taille; il était vêtu d’une robe noire, et portait un grand crucifix de bois.

– On va se battre, sûr, dit le sergent; voici un aumônier qu’on nous envoie pour confesser les blessés.

– Il n’est guère agréable de se battre sans avoir dîné, murmura tout bas Merlin.

Les deux cavaliers ralentirent l’allure de leurs chevaux, de manière qu’en joignant le capitaine ils purent les arrêter sans effort.

– Je baise les mains de Mr de Mergy, dit l’homme à l’écharpe verte. Reconnaît-il son serviteur, Thomas de Maurevel?

Le capitaine ignorait encore le nouveau crime de Maurevel; il ne le connaissait que comme l’assassin du brave de Mouy. Il lui répondit fort seulement:

– Je ne connais point Mr de Maurevel. Je suppose que vous venez nous dire enfin pourquoi nous sommes ici.

– Il s’agit, Monsieur, de sauver notre bon roi et notre sainte religion du péril qui les menace.

– Quel est donc ce péril? demanda George d’un ton de mépris.

– Les huguenots ont conspiré contre Sa Majesté; mais leurs coupables complots ont été découverts à temps, grâce à Dieu, et tous les bons chrétiens doivent se réunir cette nuit pour les exterminer pendant leur sommeil.

– Comme furent exterminés les Madianites par le fort Gédéon, dit l’homme en robe noire.

– Qu’entends-je! s’écria Mergy frémissant d’horreur.

– Les bourgeois sont armés, poursuivit Maurevel; les gardes françaises et trois mille Suisses sont dans la ville. Nous avons près de soixante mille hommes à nous; à onze heures le signal sera donné, et le branle commencera.

– Misérable coupe-jarret! quelle infâme imposture viens-tu nous débiter? Le roi n’ordonne point les assassinats… et tout au plus il les paye.

Mais, en parlant ainsi, George se souvint de l’étrange conversation qu’il avait eue quelques jours auparavant avec le roi.

– Pas d’emportement, monsieur le capitaine; si le service du roi ne réclamait tous mes soins je répondrais à vos injures. Écoutez-moi: je viens, de la part de Sa Majesté, vous requérir de m’accompagner avec votre troupe. Nous sommes chargés de la rue Saint-Antoine et du quartier avoisinant. Je vous apporte une liste exacte des personnes qu’il nous faut expédier. Le révérend père Malebouche va exhorter vos gens, et leur distribuer des croix blanches comme en porteront tous les catholique, afin que, dans l’obscurité, on ne prenne pas des fidèles pour des hérétiques.

– Et je consentirais à prêter mes mains pour massacrer des gens endormis!

– Êtes-vous catholique, et reconnaissez-vous Charles IX pour votre roi? Connaissez-vous la signature du maréchal de Retz, à qui vous devez obéissance?

Et il lui remit un papier qu’il avait à sa ceinture.

Mergy fit approcher un cavalier, et, à la lueur d’une torche de paille allumée à la mèche d’une arquebuse, il lut un ordre en bonne forme, enjoignant de par le roi au capitaine de Mergy de prêter main-forte à la garde bourgeoise, et d’obéir à Mr de Maurevel pour un service que le susdit devait lui expliquer. À cet ordre était jointe une liste de noms avec ce titre: Liste des hérétiques qui doivent être mis à mort dans le quartier Saint-Antoine. La lueur de la torche qui brûlait dans la main du cavalier montrait à tous les chevau-légers l’émotion profonde que causait à leur chef cet ordre qu’ils ne connaissaient pas encore.

– Jamais mes cavaliers ne voudront faire le métier d’assassins, dit George en jetant le papier au visage de Maurevel.

– Il n’est point question d’assassinat, dit froidement le prêtre; il s’agit d’hérétiques, et c’est justice que l’on va faire à leur endroit.

– Braves gens! s’écria Maurevel en élevant la voix et s’adressant aux chevau-légers, les huguenots veulent assassiner le roi et les catholiques; il faut les prévenir: cette nuit nous allons les tuer tous pendant qu’ils sont endormis… et le roi vous accorde le pillage de leurs maisons!

Un cri de joie féroce partit de tous les rangs:

– Vive le roi! mort aux huguenots!

– Silence dans les rangs! s’écria le capitaine d’une voix tonnante. Seul ici j’ai le droit de commander à ces cavaliers. Camarades, ce que dit ce misérable ne peut être vrai, et, le roi l’eût-il ordonné, jamais mes chevau-légers ne voudraient tuer des gens qui ne se défendent pas.

Les soldats gardèrent le silence.

– Vive le roi! mort aux huguenots! s’écrièrent à la fois Maurevel et son compagnon.

Et les cavaliers répétèrent un instant après eux:

– Vive le roi! mort aux huguenots!

– Eh bien! capitaine, obéirez-vous? dit Maurevel.

– Je ne suis plus capitaine! s’écria George.

Et il arracha son hausse-col et son écharpe, insignes de sa dignité.

– Saisissez-vous de ce traître! s’écria Maurevel en tirant son épée; tuez ce rebelle qui désobéit à son roi.

Mais pas un soldat n’osa lever la main contre son chef… George fit sauter l’épée des mains de Maurevel; mais, au lieu de le percer de la sienne, il se contenta de le frapper du pommeau au visage, si violemment qu’il le fit tomber à bas de son cheval.

– Adieu, lâches! dit-il à sa troupe; je croyais avoir des soldats, et je n’avais que des assassins.

Puis se tournant vers son cornette:

– Alphonse, si vous voulez être capitaine, voici une belle occasion. Mettez-vous à la tête de ces brigands.

À ces mots, il piqua des deux et s’éloigna au galop, se dirigeant vers l’intérieur de la ville. Le cornette fit quelques pas comme pour le suivre; mais bientôt il ralentit l’allure de son cheval, le mit au pas, puis enfin il s’arrêta, tourna bride et revint à sa compagnie, jugeant sans doute que le conseil de son capitaine, pour être donné dans un moment de colère, n’en était pas moins bon à suivre.