Maurevel, encore un peu étourdi du coup qu’il avait reçu, remontait à cheval en blasphémant; et le moine, élevant son crucifix, exhortait les soldats à ne pas faire grâce à un seul huguenot, à noyer l’hérésie dans des flots de sang.
Les soldats avaient été un moment retenus par les reproches de leur capitaine; mais, se voyant débarrassés de sa présence et ayant sous les yeux la perspective d’un beau pillage, ils brandirent leurs sabres au-dessus de leurs têtes, et jurèrent d’exécuter tout ce que Maurevel leur commanderait.
XXI – DERNIER EFFORT
Le même soir, à l’heure accoutumée, Mergy sortit de sa maison, et, bien enveloppé dans un manteau couleur de muraille, le chapeau rabattu sur les yeux, avec la discrétion convenable, il se dirigea vers la maison de la comtesse. Il avait à peine fait quelques pas qu’il rencontra le chirurgien Ambroise Paré, qu’il connaissait pour en avoir reçu des soins lorsqu’il avait été blessé. Paré revenait sans doute de l’hôtel de Châtillon; et Mergy, s’étant fait connaître, lui demanda des nouvelles de l’Amiral.
– Il va mieux, dit le chirurgien. La plaie est belle, et le malade sain. Dieu aidant, il guérira. J’espère que la potion que je lui ai prescrite pour ce soir lui sera salutaire et qu’il aura une nuit tranquille.
Un homme du peuple, qui passait auprès d’eux, avait entendu qu’ils parlaient de l’Amiral. Quand il se fut assez éloigné pour être insolent sans crainte de s’attirer une correction, il s’écria:
– Il ira bientôt danser la sarabande à Montfaucon, votre Amiral du diable!
Et il prit la fuite à toutes jambes.
– Misérable canaille! dit Mergy. Je suis fâché que notre grand Amiral soit obligé de demeurer dans une ville où tant de gens lui sont ennemis.
– Heureusement que son hôtel est bien gardé, répondit le chirurgien. Quand je l’ai quitté, les escaliers étaient remplis de soldats, et déjà ils allumaient leurs mèches. Ah! monsieur de Mergy, les gens de cette ville ne nous aiment pas… Mais il se fait tard, et il faut que je rentre au Louvre.
Ils se séparèrent en se souhaitant le bonsoir, et Mergy continua son chemin, livré à des pensées couleur de rose qui lui firent oublier bien vite l’Amiral et la haine des catholiques. Cependant il ne put s’empêcher de remarquer un mouvement extraordinaire dans les rues de Paris, toujours peu fréquentées aussitôt après la nuit close. Tantôt il rencontrait des crocheteurs [64] portant sur leurs épaules des fardeaux d’une forme étrange, que dans l’obscurité il était tenté de prendre pour des faisceaux de piques; tantôt c’était un détachement de soldats marchant en silence, les armes hautes et les mèches allumées; ailleurs on ouvrait précipitamment des fenêtres, quelques figures s’y montraient un instant avec des lumières et disparaissaient aussitôt.
– Holà! cria-t-il à un crocheteur, bonhomme, où portez-vous cette armure si tard?
– Au Louvre, mon gentilhomme, pour le divertissement de cette nuit.
– Camarade, dit Mergy à un sergent qui commandait une patrouille, où allez-vous donc ainsi en armes?
– Au Louvre, mon gentilhomme, pour le divertissement de cette nuit.
– Holà! page, n’êtes-vous point au roi? Où donc allez-vous avec vos camarades, menant ces chevaux harnachés en guerre?
– Au Louvre, mon gentilhomme, pour le divertissement de cette nuit.
– Le divertissement de cette nuit! se disait Mergy. Il paraît que tout le monde, excepté moi, est dans la confidence. Au reste, peu m’importe; le roi peut s’amuser sans moi, et je suis peu curieux de voir son divertissement.
Un peu plus loin il remarqua un homme mal vêtu qui s’arrêtait devant quelques maisons et qui marquait les portes en faisant une croix blanche avec de la craie.
– Bonhomme, êtes-vous donc un fourrier pour marquer ainsi les logements?
L’inconnu disparut sans répondre.
Au détour d’une rue, comme il entrait dans celle qu’habitait la comtesse, il faillit heurter un homme enveloppé, comme lui, d’un grand manteau, et qui tournait le même coin de rue, mais en sens contraire. Malgré l’obscurité et le soin que tous deux semblaient mettre à se cacher l’un à l’autre, ils se reconnurent aussitôt.
– Ah! bonsoir, monsieur de Béville, dit Mergy en lui tendant la main.
Pour lui donner la main droite, Béville fit un mouvement singulier sous son manteau: il passa de la main droite à la main gauche quelque chose d’assez lourd qu’il portait. Le manteau s’entr’ouvrit un peu.
– Salut au vaillant champion chéri des belles! s’écria Béville. Je parierais que mon noble ami s’en va de ce pas en bonne fortune.
– Et vous-même, Monsieur?… Il paraît que les maris sont d’humeur fâcheuse de votre côté: car je me trompe fort, ou ce que je vois sur vos épaules, c’est une cotte de mailles, et ce que vous tenez là sous votre manteau, cela ressemble furieusement à des pistolets.
– Il faut être prudent, monsieur Bernard, très prudent, dit Béville.
En prononçant ces mots, il arrangeait son manteau de manière à cacher soigneusement les armes qu’il portait.
– Je regrette infiniment de ne pouvoir vous offrir ce soir mes services et mon épée pour garder la rue et faire sentinelle à la porte de votre maîtresse. Cela m’est impossible aujourd’hui, mais en toute occasion veuillez disposer de moi.
– Ce soir vous ne pouvez venir avec moi, monsieur de Mergy.
Il accompagna ce peu de mots d’un sourire étrange.
– Allons, bonne chance! Adieu.
– Je vous souhaite aussi bonne chance!
Il y avait une certaine emphase dans sa manière de prononcer cet adieu.
Ils se quittèrent, et Mergy avait déjà fait quelques pas quand il s’entendit rappeler par Béville. Il se retourna et le vit qui revenait à lui.
– Votre frère est-il à Paris?
– Non; mais je l’attends tous les jours. Ah! dites-moi, êtes-vous du divertissement de cette nuit?
– Du divertissement?
– Oui; on dit partout qu’il y aura ce soir un grand divertissement à la cour.
Béville murmura tout bas quelques mots entre ses dents.
– Adieu encore une fois, dit Mergy. Je suis un peu pressé, et… Vous savez ce que je veux dire?
– Écoutez, écoutez! encore un mot. Je ne puis vous laisser aller sans vous donner un conseil en véritable ami.
– Quel conseil?
– N’allez pas chez elle ce soir. Croyez-moi, vous me remercierez demain.
– C’est là votre conseil? Mais je ne vous comprends pas. Qui, elle?
– Bah! nous nous entendons. Mais, si vous êtes sage, passez la Seine ce soir même.
– Est-ce une plaisanterie qui tient au bout de tout cela!
– Point. Je n’ai jamais parlé plus sérieusement. Passez la Seine, vous dis-je. Si le diable vous presse trop, allez-vous-en auprès du couvent des Jacobins, dans la rue Saint-Jacques. À deux portes des bons pères, vous verrez un grand crucifix de bois, cloué contre une maison d’assez chétive apparence. C’est une drôle d’enseigne: n’importe! Vous frapperez, et vous trouverez une vieille fort accorte qui vous recevra bien à ma considération… Allez passer votre fureur de l’autre côté de la Seine. La mère Brûlard a des nièces gentilles et polies… M’entendez-vous?