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– Votre opiniâtreté me met au désespoir!… Tenez, j’ai rêvé que vos ennemis se disposaient à vous tuer… et je vous voyais, sanglant et déchiré par leurs mains, rendre l’âme avant que je pusse amener mon confesseur auprès de vous.

– Mes ennemis? je ne croyais pas en avoir.

– Insensé! n’avez-vous pas pour ennemis tous ceux qui détestent votre hérésie? N’est-ce pas toute la France? Oui, tous les Français doivent être vos ennemis tant que vous serez l’ennemi de Dieu et de l’Église.

– Laissons cela, ma reine. Quant à vos rêves, adressez-vous à la vieille Camille pour vous les faire expliquer; moi, je n’y entends rien. Mais parlons d’autre chose. Vous avez été à la cour aujourd’hui, ce me semble: c’est de là, je pense, que vous avez rapporté cette migraine qui vous fait souffrir et qui me fait enrager?

– Oui, je viens de la cour, Bernard. J’ai vu la reine, et je suis sortie de chez elle… déterminée à tenter un dernier effort pour vous faire changer… Il le faut, il le faut absolument!…

– Il me semble, interrompit Bernard, il me semble, ma belle amie, que, puisque vous avez la force de prêcher avec tant de véhémence malgré votre maladie, nous pourrions, si vous vouliez bien le permettre, nous pourrions encore mieux employer notre temps.

Elle reçut cette raillerie avec un regard de dédain mêlé de colère.

– Réprouvé! dit-elle à voix basse et comme se parlant à elle-même, pourquoi faut-il que je sois si faible avec lui?

Puis, continuant plus haut:

– Je le vois assez clairement, vous ne m’aimez pas, et je suis auprès de vous en même estime qu’un cheval. Pourvu que je serve à vos plaisirs, qu’importe que je souffre mille maux!… C’est pour vous, pour vous seul, que j’ai consenti à souffrir les tourments de ma conscience, auprès desquels toutes les tortures que peut inventer la rage des hommes ne sont rien. Un seul mot de votre bouche me rendrait la paix de l’âme; mais ce mot, jamais vous ne le prononcerez! Vous ne voudriez pas me faire le sacrifice d’un de vos préjugés.

– Chère Diane, quelle persécution faut-il que j’endure! Soyez juste, et que votre zèle pour votre religion ne vous aveugle pas. Répondez-moi: pour tout ce que mon bras ou mon esprit peuvent faire, trouverez-vous ailleurs un esclave plus soumis que moi? Mais, s’il faut vous le répéter encore, je pourrais mourir pour vous, mais non croire à de certaines choses.

Elle haussait les épaules en l’écoutant, et le regardait avec une expression qui allait jusqu’à la haine.

– Je ne pourrais pas, continua-t-il, changer pour vous mes cheveux châtains en cheveux blonds. Je ne pourrais pas changer la forme de mes membres pour vous plaire. Ma religion est un de mes membres, chère amie, et un membre que l’on ne pourrait m’arracher qu’avec la vie. On aurait beau me prêcher pendant vingt ans, jamais on ne me fera croire qu’un morceau de pain sans levain…

– Tais-toi, interrompit-elle d’un ton d’autorité; point de blasphèmes. J’ai tout essayé, rien n’a réussi. Vous tous, qui êtes infectés du poison de l’hérésie, vous êtes un peuple à la tête dure, et vous fermez vos yeux et vos oreilles à la vérité: vous craignez de voir et d’entendre. Eh bien, le temps est venu où vous ne verrez plus, où vous n’entendrez plus… Il n’y avait qu’un moyen pour détruire cette plaie dans l’Église, et ce moyen, on va l’employer.

Elle fit quelques pas dans la chambre, d’un air agité, et poursuivit aussitôt:

– Dans moins d’une heure, on va couper les sept têtes du dragon de l’hérésie. Les épées sont aiguisées et les fidèles sont prêts. Les impies vont disparaître de la face de la terre.

Puis, étendant le doigt vers l’horloge placée dans un des coins de la chambre:

– Vois, dit-elle; tu as encore un quart d’heure pour te repentir. Quand cette aiguille sera parvenue à ce point, ton sort sera décidé.

Elle parlait encore, quand un bruit sourd et semblable au frémissement de la foule qui s’agite autour d’un vaste incendie se fit entendre, d’abord confusément; puis il sembla croître avec rapidité; au bout de peu de minutes, on reconnaissait déjà dans le lointain le tintement des cloches et les détonations d’armes à feu.

– Quelles horreurs m’annoncez-vous? s’écria Mergy.

La comtesse s’était élancée vers la fenêtre, qu’elle avait ouverte.

Alors le bruit, que les vitres et les rideaux n’arrêtaient plus, arriva plus distinct. On croyait y démêler des cris de douleur et des hurlements de joie. Une fumée rougeâtre montait vers le ciel et s’élevait de toutes les parties de la ville aussi loin que la vue pouvait s’étendre. On eût dit un immense incendie, si une odeur de résine, qui ne pouvait être produite que par des milliers de torches allumées, n’eût aussitôt rempli la chambre. En même temps, la lueur d’une arquebusade qui semblait tirée dans la rue éclaira un moment les vitres d’une maison voisine.

– Le massacre est commencé! s’écria la comtesse en portant les mains à sa tête avec effroi.

– Quel massacre? Que voulez-vous dire?

– Cette nuit on égorge tous les huguenots; le roi l’a ordonné. Tous les catholiques ont pris les armes, et pas un seul hérétique ne doit être épargné. L’Église et la France sont sauvées; mais tu es perdu si tu n’abjures ta fausse croyance.

Mergy sentit une sueur froide qui se répandait sur tous ses membres. Il considérait d’un œil hagard Diane de Turgis, dont les traits exprimaient un mélange singulier d’angoisse et de triomphe. Le vacarme effroyable qui retentissait à ses oreilles et remplissait toute la ville, lui prouvait assez la vérité de l’affreuse nouvelle qu’elle venait de lui apprendre. Pendant quelques instants la comtesse demeura immobile, les yeux fixés sur lui sans parler; seulement, un doigt étendu vers la fenêtre, elle semblait vouloir s’en rapporter à l’imagination de Mergy, pour lui représenter les scènes sanglantes que laissaient deviner ces clameurs et cette illumination de cannibales. Par degrés, son expression se radoucit; la joie sauvage disparut, et la terreur resta. Enfin, tombant à genoux, et d’un ton de voix suppliant:

– Bernard! s’écria-t-elle, je t’en conjure, sauve ta vie, convertis-toi! Sauve ta vie, sauve la mienne qui en dépend!

Mergy lança sur elle un regard farouche, tandis qu’elle le suivait par la chambre, marchant sur les genoux et les bras étendus. Sans lui répondre un mot, il courut au fond de l’oratoire, où il se saisit de son épée qu’en entrant il avait posée sur un fauteuil.

– Malheureux! que veux-tu faire? s’écria la comtesse en courant à lui.

– Me défendre! On ne m’égorgera pas comme un mouton.

– Mille épées ne pourraient te sauver, insensé que tu es! Toute la ville est en armes. La garde du roi, les Suisses, les bourgeois et le peuple, tous prennent part au massacre, et il n’y a pas un huguenot qui n’ait en ce moment dix poignards sur sa poitrine. Il n’est qu’un seul moyen de t’arracher à la mort; fais-toi catholique.

Mergy était brave; mais, en songeant aux dangers que cette nuit semblait promettre, il sentit, pour un instant, une crainte lâche descendre au fond de son cœur; et même l’idée de se sauver en abjurant sa religion se présenta à son esprit avec la rapidité d’un éclair.