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– Je réponds de ta vie si tu te fais catholique, dit Diane en joignant les mains.

– Si j’abjurais, pensa Mergy, je me mépriserais moi-même toute ma vie.

Cette pensée suffit pour lui rendre son courage, qui fut doublé par la honte d’avoir un instant faibli. Il enfonça son chapeau sur sa tête, boucla son ceinturon, et, ayant roulé son manteau autour de son bras gauche en guise de bouclier, il fit un pas vers la porte d’un air résolu.

– Où vas-tu, malheureux?

– Dans la rue. Je ne veux pas que vous ayez le regret de me voir égorger sous vos yeux et dans votre maison.

Il y avait dans sa voix quelque chose de si méprisant que la comtesse en fut accablée. Elle s’était placée au-devant de lui. Il la repoussa, et durement. Mais elle saisit un pan de son pourpoint, et elle se traînait à genoux après lui.

– Laissez-moi! s’écria-t-il. Voulez-vous me livrer vous-même aux poignards des assassins! La maîtresse d’un huguenot peut racheter ses péchés en offrant à son Dieu le sang de son amant.

– Arrête, Bernard, je t’en supplie! ce n’est que ton salut que je veux. Vis pour moi, cher ange! Sauve-toi, au nom de notre amour!… Consens à prononcer un seul mot, et, je le jure, tu seras sauvé.

– Qui? moi, prendre une religion d’assassins et de bandits! Saints martyrs de l’Évangile, je vais vous rejoindre!

Et il se dégagea si impétueusement que la comtesse tomba rudement sur le parquet. Il allait ouvrir la porte pour sortir, quand Diane, se relevant avec l’agilité d’une jeune tigresse, s’élança sur lui, et le serra dans ses bras d’une étreinte plus forte que celle d’un homme robuste.

– Bernard! s’écria-t-elle hors d’elle-même et les larmes aux yeux, je t’aime mieux ainsi que si tu te faisais catholique!

Et, l’entraînant sur le lit de repos, elle s’y laissa tomber avec lui, en le couvrant de baisers et de larmes.

– Reste ici, mon seul amour; reste avec moi, mon brave Bernard, disait-elle en le serrant et l’enveloppant de son corps comme un serpent qui se roule autour de sa proie. Ils ne viendront pas te chercher ici, jusque dans mes bras; et il faudra me tuer pour parvenir jusqu’à ton sein. Pardonne-moi, cher amour; je n’ai pu t’avertir plus tôt du danger qui te menaçait. J’étais liée par un serment terrible. Mais je te sauverai, ou je périrai avec toi.

En ce moment, on frappa rudement à la porte de la rue. La comtesse poussa un cri perçant, et Mergy s’étant dégagé de son étreinte, sans quitter son manteau roulé autour de son bras gauche, se sentit alors si fort et si résolu, qu’il n’eût pas hésité à se jeter tête baissée au milieu de cent massacreurs, s’ils se fussent présentés à lui.

Dans presque toutes les maisons de Paris, il y avait à la porte d’entrée une petite ouverture carrée, avec un grillage de fer très serré, de manière que les habitants de la maison pussent par avance reconnaître s’il y aurait sûreté pour eux à ouvrir. Souvent même des portes massives en chêne, garnies de gros clous et de bandes de fer, ne rassuraient pas encore les gens précautionnés, et qui ne voulaient pas se rendre avant un siège en règle. Des meurtrières étroites étaient en conséquence ménagées des deux côtés de la porte, et de là, sans être aperçu, on pouvait tout à son aise canarder les assaillants.

Un vieil écuyer de confiance de la comtesse, ayant examiné par un semblable grillage la personne qui se présentait, et lui ayant fait subir un interrogatoire convenable, revint dire à sa maîtresse que le capitaine George de Mergy demandait instamment à être introduit. La crainte cessa et la porte s’ouvrit.

XXII – LE VINGT-QUATRE AOÛT

Après avoir quitté sa compagnie, le capitaine George courut à sa maison, espérant y trouver son frère; mais il l’avait déjà quittée après avoir dit aux domestiques qu’il s’absentait pour toute la nuit. George en avait conclu sans peine qu’il était chez la comtesse, et il s’était empressé de l’y chercher. Mais déjà le massacre avait commencé; le tumulte, la presse des assassins, et les chaînes tendues au milieu des rues l’arrêtaient à chaque pas. Il fut forcé de passer auprès du Louvre, et c’était là que le fanatisme déployait toutes ses fureurs. Un grand nombre de protestants habitaient ce quartier, envahi en ce moment par les bourgeois catholiques et les soldats des gardes, le fer et la flamme à la main. Là, selon l’expression énergique d’un écrivain contemporain, le sang courait de tous côtés cherchant la rivière, et l’on ne pouvait traverser les rues sans courir le risque d’être écrasé à tout moment par les cadavres que l’on précipitait des fenêtres.

Par une prévoyance infernale, la plupart des bateaux qui d’ordinaire étaient amarrés le long du Louvre avaient été conduits sur l’autre rive; de sorte que beaucoup de fugitifs qui couraient au bord de la Seine, espérant s’y embarquer et se dérober aux coups de leurs ennemis, se trouvaient n’avoir à choisir qu’entre les flots ou les hallebardes des soldats qui les poursuivaient. Cependant, à l’une des fenêtres de son palais, on voyait, dit-on, Charles IX armé d’une longue arquebuse, qui giboyait aux pauvres passants.

Le capitaine, enjambant des corps morts, et s’éclaboussant avec du sang, poursuivait son chemin, exposé à chaque pas à tomber victime de la méprise d’un massacreur. Il avait remarqué que les soldats et les bourgeois armés portaient tous une écharpe blanche au bras et une croix blanche au chapeau. Il aurait pu facilement prendre ce signe de reconnaissance; mais l’horreur que lui inspiraient les assassins s’étendait jusqu’aux marques qui leur servaient à se faire reconnaître.

Sur le bord de la rivière, près du Châtelet, il s’entendit appeler. Il tourna la tête, et vit un homme armé jusqu’aux dents, mais qui ne paraissait pas faire usage de ses armes, portant d’ailleurs la croix blanche à son chapeau, et roulant un morceau de papier entre ses doigts d’un air tout à fait dégagé. C’était Béville. Il regardait froidement les cadavres et les hommes vivants que l’on jetait dans la Seine par-dessus le pont au Meunier.

– Que diable fais-tu ici, George? Est-ce un miracle, ou bien est-ce la grâce qui te donne ce beau zèle, car tu m’as l’air d’aller à la chasse aux huguenots?

– Et toi-même, que fais-tu au milieu de ces misérables?

– Moi? parbleu, je regarde; c’est un spectacle. Et sais-tu le bon tour que j’ai fait? Tu connais bien le vieux Michel Cornabon, cet usurier huguenot qui m’a tant rançonné?…

– Tu l’as tué, malheureux!

– Moi? fi donc! Je ne me mêle point d’affaires de religion. Loin de le tuer, je l’ai caché dans ma cave, et lui, m’a donné quittance de tout ce que je lui dois. Ainsi j’ai fait une bonne action, et j’en suis récompensé. Il est vrai que, pour qu’il signât plus facilement la quittance, je lui ai mis deux fois le pistolet à la tête, mais le diable m’emporte si j’aurais tiré… Tiens, regarde donc cette femme arrêtée par ses jupons à une des poutres du pont. Elle tombera… non, elle ne tombera pas! Peste! ceci est curieux, et mérite qu’on le voie de plus près.

George le quitta, et il se disait en se frappant la tête:

– Et voilà un des plus honnêtes gentilshommes que je connaisse aujourd’hui dans cette ville!

Il entra dans la rue Saint-Josse, qui était déserte et sans lumière; sans doute pas un seul réformé ne l’habitait. Cependant on y entendait distinctement le tumulte qui partait des rues voisines. Tout à coup les murs blancs sont éclairés par la lumière rouge des torches. Il entend des cris perçants, et il voit une femme à demi nue, les cheveux épars, tenant un enfant dans ses bras. Elle fuyait avec une vitesse surnaturelle. Deux hommes la poursuivaient, s’animant l’un l’autre par des cris sauvages, comme des chasseurs qui suivent une bête fauve. La femme allait se jeter dans une allée ouverte, quand un des poursuivants fit feu sur elle d’une arquebuse dont il était armé. Le coup l’atteignit dans le dos et la renversa. Elle se releva aussitôt, fit un pas vers George, et retomba sur les genoux; puis, faisant un dernier effort, elle souleva son enfant vers le capitaine, comme si elle le confiait à sa générosité. Elle expira sans proférer une parole.