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– Encore une de ces chiennes d’hérétiques à bas! s’écria l’homme qui avait tiré le coup d’arquebuse. Je ne me reposerai que lorsque j’en aurai expédié douze.

– Misérable! s’écria le capitaine, et il lui lâcha à bout portant un coup de pistolet.

La tête du scélérat frappa la muraille opposée. Il ouvrit les yeux d’une manière effrayante, et glissant sur les talons tout d’une pièce, ainsi qu’une planche mal appuyée, il tomba à terre roide mort.

– Comment! tuer un catholique! s’écria le compagnon du mort, qui tenait une torche d’une main et une épée sanglante de l’autre. Qui donc êtes-vous? Par la messe! mais vous êtes des chevau-légers du roi. Mordieu! il y a méprise, mon officier.

Le capitaine prit à sa ceinture son second pistolet et l’arma. Ce mouvement et le léger bruit du ressort furent parfaitement compris. Le massacreur jeta sa torche et prit la fuite à toutes jambes. George ne daigna pas tirer sur lui. Il se baissa, examina la femme étendue par terre, et reconnut qu’elle était morte. La balle l’avait percée de part en part; son enfant, les bras passés autour de son cou, criait et pleurait; il était couvert de sang, mais par miracle il n’avait pas été blessé. Le capitaine eut quelque peine à l’arracher à sa mère, qu’il serrait de toute sa force, puis il l’enveloppa dans son manteau; et, rendu prudent par la rencontre qu’il venait de faire, il ramassa le chapeau du mort, en ôta la croix blanche et la mit sur le sien. De la sorte, il parvint, sans être arrêté, jusqu’à la maison de la comtesse. Les deux frères tombèrent dans les bras l’un de l’antre, et pendant quelque temps se tinrent étroitement embrassés sans pouvoir proférer une parole. Enfin le capitaine rendit compte en peu de mots de l’état où se trouvait la ville. Bernard maudissait le roi, les Guises et les prêtres; il voulait sortir et chercher à se réunir à ses frères, s’ils essayaient quelque part de résister à leurs ennemis. La comtesse pleurait et le retenait, et l’enfant criait et demandait sa mère.

Après beaucoup de temps perdu à crier, gémir et pleurer, il fallut enfin prendre un parti. Quant à l’enfant, l’écuyer de la comtesse se chargea de trouver une femme qui en prît soin. Pour Mergy, il ne pouvait fuir dans ce moment. D’ailleurs où se rendre? savait-on si le massacre ne s’étendait pas d’un bout à l’autre de la France? Des corps de garde nombreux occupaient les ponts par lesquels les réformés auraient pu passer dans le faubourg Saint-Germain, d’où ils pouvaient plus facilement s’échapper de la ville et gagner les provinces du Midi, de tout temps affectionnées à leur cause. D’un autre côté, il paraissait peu probable, et même imprudent, d’implorer la pitié du monarque dans un moment où, échauffé par le carnage, il ne pensait qu’à faire de nouvelles victimes. La maison de la comtesse, à cause de sa réputation de dévotion, n’était pas exposée à des recherches sérieuses de la part des meurtriers, et Diane croyait être sûre de ses gens. Ainsi Mergy ne pouvait nulle part trouver une retraite où il courût moins de risques. Il fut résolu qu’il s’y tiendrait caché en attendant l’événement.

Le jour, au lieu de faire cesser les massacres, sembla plutôt les accroître et les régulariser. Il n’y eut catholique qui, sous peine d’être suspect d’hérésie, ne prît la croix blanche, et ne s’armât ou ne dénonçât les huguenots qui vivaient encore. Cependant le roi, renfermé dans son palais, était inaccessible pour tous autres que les chefs des massacreurs. La populace, attirée par l’espoir du pillage, s’était jointe à la garde bourgeoise et aux soldats, et les prédicateurs exhortaient les fidèles dans les églises à redoubler de cruauté.

– Écrasons en une fois, disaient-ils, toutes les têtes de l’hydre, et mettons fin pour toujours aux guerres civiles.

Et, pour persuader ce peuple avide de sang et de miracles que le ciel approuvait ses fureurs et qu’il avait voulu les encourager par un prodige éclatant:

– Allez au cimetière des Innocents, criaient-ils, allez voir cette aubépine qui vient de refleurir, comme rajeunie et fortifiée pour être arrosée d’un sang hérétique!

Des processions nombreuses de massacreurs en armes allaient en grande cérémonie adorer la sainte épine, et sortaient du cimetière animées d’un nouveau zèle pour découvrir et mettre à mort ceux que le ciel condamnait ainsi manifestement. Un mot de Catherine était dans toutes les bouches; on se répétait en égorgeant les enfants et les femmes: Che pietà lor ser crudele, che crudeltà lor ser pietoso (aujourd’hui il y a de l’humanité à être cruel, de la cruauté à être humain). Chose étrange! parmi tous ces protestants, il y en avait peu qui n’eussent fait la guerre et n’eussent assisté à des batailles acharnées, où ils avaient essayé, souvent avec succès, de balancer l’avantage du nombre par la valeur; et pourtant, durant cette tuerie, deux seulement opposèrent quelque résistance à leurs assassins, et de ces deux hommes un seul avait fait la guerre. Peut-être l’habitude de combattre en troupe et d’une manière régulière les avait-elle privés de cette énergie individuelle qui pouvait exciter chaque protestant à se défendre dans sa maison comme dans une forteresse. On voyait, tels que des victimes dévouées, de vieux guerriers tendre leur gorge à des misérables qui, la veille, auraient tremblé devant eux. Ils prenaient leur résignation pour du courage, et préféraient la gloire des martyrs à celle des soldats. Quand la première soif de sang fut apaisée, on vit les plus cléments des massacreurs offrir la vie à leurs victimes pour prix de leur abjuration. Un bien petit nombre de calvinistes profita de cette offre, et consentit à se racheter de la mort et même des tourments par un mensonge peut-être excusable. Des femmes, des enfants, répétaient leur symbole au milieu des épées levées sur leur tête, et mouraient sans proférer une plainte.

Après deux jours, le roi essaya d’arrêter le carnage; mais, quand on a lâché la bride aux passions de la multitude, il n’est plus possible de l’arrêter. Non seulement les poignards ne cessèrent point de frapper, mais le monarque lui-même, accusé d’une compassion impie, fut obligé de révoquer ses paroles de clémence et d’exagérer jusqu’à la méchanceté, qui faisait cependant un des traits principaux de son caractère.

Pendant les premiers jours qui suivirent la Saint-Barthélémy, Mergy fut visité régulièrement dans sa retraite par son frère, qui lui apprenait chaque fois de nouveaux détails sur les scènes horribles dont il était témoin.

– Ah! quand pourrai-je quitter ce pays de meurtres et de crimes? s’écriait George. J’aimerais mieux vivre au milieu des bêtes sauvages que de vivre parmi les Français.

– Viens avec moi à la Rochelle, disait Mergy; j’espère que les massacreurs ne l’ont point encore. Viens mourir avec moi, et faire oublier ton apostasie en défendant ce dernier boulevard de notre religion.