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– Eh! que deviendrai-je? disait Diane.

– Allons plutôt en Allemagne ou en Angleterre, répondait George. Là, du moins, nous ne serons pas égorgés, et nous n’égorgerons pas.

Ces projets n’eurent pas de suite. George fut mis en prison pour avoir désobéi aux ordres du roi; et la comtesse, tremblant que son amant ne fût découvert, ne songea plus qu’à lui faire quitter Paris.

XXIII – LES DEUX MOINES

Dans un cabaret, sur les bords de la Loire, à peu de distance d’Orléans, en descendant vers Beaugency, un jeune moine en robe brune garnie d’un grand capuchon qu’il tenait à demi baissé, était assis devant une table, les yeux attachés sur son bréviaire avec une attention tout à fait édifiante, bien qu’il eût choisi un coin un peu sombre pour lire. Il avait à sa ceinture un chapelet dont les grains étaient plus gros que des œufs de pigeon, et une ample provision de médailles de saints suspendues au même cordon résonnaient à chaque mouvement qu’il faisait. Quand il levait la tête pour regarder du côté de la porte, on remarquait une bouche bien faite, ornée d’une moustache retroussée en forme d’arc turquois, et si galante, qu’elle aurait fait honneur à un capitaine de gendarmes. Ses mains étaient fort blanches, ses ongles longs et taillés avec soin; et rien n’annonçait que le jeune frère, suivant la coutume de son ordre, eût jamais manié la bêche ou le râteau.

Une grosse paysanne joufflue, qui remplissait les fonctions de servante et de cuisinière dans ce cabaret, dont elle était de plus la maîtresse, s’approcha du jeune moine, et, après lui avoir fait une révérence assez gauche, lui dit:

– Eh bien! mon père, n’ordonnerez-vous rien pour votre dîner? Il est plus de midi, savez-vous?

– Est-ce que le bateau de Beaugency doit encore tarder longtemps?

– Qui sait? L’eau est basse, et l’on ne va pas comme on veut. Et puis, quand même, il n’est pas l’heure. Tenez, à votre place, moi, je dînerais ici.

– Eh bien! j’y dînerai; mais n’y a-t-il pas une autre salle que celle-ci où je pourrais manger? Je sens ici une odeur qui n’est pas agréable.

– Vous êtes bien délicat, mon père. Quant à moi, je ne sens rien du tout.

– Est-ce que l’on flambe des cochons près de cette auberge?

– Des cochons? Ah! voilà qui est plaisant! Des cochons? Oui, à peu près; ce sont bien des cochons, car, comme dit l’autre, de leur vivant ils étaient habillés de soie; mais ces cochons-là ça n’est pas pour manger. Ce sont des huguenots, révérence parler, mon père, que l’on brûle au bord de l’eau, à cent pas d’ici, et c’est leur fumet que vous sentez,

– Des huguenots!

– Oui, des huguenots. Est-ce que ça vous fait quelque chose? Il ne faut pas que cela vous ôte l’appétit. Quant à changer de salle pour dîner, je n’en ai qu’une; ainsi vous serez bien obligé de vous en contenter. Bah! le huguenot, cela ne sent pas déjà si mauvais. Au reste, si on ne les brûlait pas, peut-être qu’ils pueraient bien davantage. Il y en avait un tas ce matin sur le sable, un tas aussi haut… quoi! aussi haut que voilà cette cheminée.

– Et vous allez voir ces cadavres?

– Ah! vous me dites cela parce qu’ils étaient nus. Mais des morts, mon révérend, ça ne compte pas; ça ne me faisait pas plus d’effet que si j’avais vu un tas de grenouilles mortes. Il paraît tout de même qu’ils ont joliment travaillé hier à Orléans, car la Loire nous en a furieusement apporté de ce poisson hérétique-là, et, comme les eaux sont basses, on en trouve tous les jours sur le sable qui restent à sec. Même hier, comme le garçon meunier regardait s’il y avait des tanches dans son filet, voilà-t-il pas qu’il trouve dedans une femme morte qui avait un fier coup de hallebarde dans l’estomac. Tenez, ça lui entrait par là et ça sortait entre les épaules. Il aurait mieux aimé trouver une belle carpe, tout de même… Mais qu’avez-vous donc, mon révérend?… Est-ce que vous voulez tomber en pâmoison? Voulez-vous que je vous donne, en attendant votre dîner, un coup de vin de Beaugency? ça vous remettra le cœur au ventre.

– Je vous remercie.

– Eh bien! que voulez-vous pour votre dîner?

– La première chose venue… peu m’importe.

– Quoi, encore? J’ai un garde-manger qui est bien garni, voyez-vous.

– Eh bien! donnez-moi un poulet, et laissez-moi lire mon bréviaire.

– Un poulet! un poulet, mon révérend! ah! bien! en voici d’une bonne! Ce n’est pas sur vos dents que les araignées feront leurs toiles en temps de jeûne. Vous avez donc une dispense du pape pour manger du poulet le vendredi?

– Ah! que je suis distrait!… Oui, sans doute, c’est aujourd’hui vendredi… Vendredi chair ne mangeras. Donnez-moi des œufs. Je vous remercie bien de m’avoir averti à temps pour éviter un si grand péché.

– Voyez donc! dit la cabaretière à demi-voix, ces messieurs, si on ne les avertissait pas, ils vous mangeraient des poulets un jour maigre, et, pour un mauvais morceau de lard qu’ils trouveront dans la soupe d’une pauvre femme, ils feront un bruit à vous faire tourner le sang.

Cela dit, elle s’occupa de préparer ses œufs, et le moine se remit à lire son bréviaire.

– Ave, Maria! ma sœur, dit un autre moine en entrant dans le cabaret, au moment où dame Marguerite tenait la queue de sa poêle et s’apprêtait à retourner une volumineuse omelette.

Le nouveau venu était un beau vieillard à barbe grise, grand, fort et replet; il avait la figure très enluminée; mais ce qui attirait d’abord la vue, c’était un énorme emplâtre qui lui cachait un œil et lui couvrait la moitié de la joue. Il parlait français facilement, mais on distinguait dans son langage un léger accent étranger.

Au moment où il entra, le jeune moine baissa encore davantage son capuchon, de manière à ne pouvoir pas être vu; et ce qui surprit plus encore dame Marguerite, c’est que le moine survenant, qui avait son capuchon levé à cause de la chaleur, se hâta de le baisser aussitôt qu’il eut aperçu son confrère en religion.

– Ma foi! mon père, dit la cabaretière, vous arrivez à propos pour dîner; vous n’attendrez pas, et vous allez vous trouver en pays de connaissance.

Puis s’adressant au jeune moine:

– N’est-ce pas, mon révérend, que vous êtes enchanté de dîner avec sa révérence que voilà? L’odeur de mon omelette vient de l’attirer. Dame, aussi, c’est que je n’y épargne pas le beurre!

Le jeune moine répondit avec timidité et en balbutiant:

– Je craindrais de gêner monsieur.

Le vieux moine dit de son côté, en baissant fort la tête:

– Je suis un pauvre moine alsacien… Je parle mal français… et je crains que ma compagnie ne soit pas agréable à mon confrère.

– Allons donc! dit dame Marguerite, vous feriez des façons? Entre moines, et moines du même ordre, il ne doit y avoir qu’une seule table et un seul lit.

Et, prenant un escabeau, elle le plaça auprès de la table, précisément en face du jeune moine. Le vieux s’y assit de côté, évidemment fort empêché de sa personne; il semblait combattu entre le désir de dîner et une certaine répugnance à se trouver face à face avec un confrère. L’omelette fut servie.