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– Allons, mes pères, dépêchez bien vite votre bénédicité, et ensuite vous me direz si mon omelette est bonne.

À ce mot de bénédicité, les deux moines parurent encore plus mal à leur aise. Le plus jeune dit au plus vieux:

– C’est à vous à le dire; vous êtes mon ancien, et cet honneur vous est du.

– Non, pas du tout. Vous étiez ici avant moi, c’est à vous à le dire.

– Non; je vous en prie.

– Je ne le ferai pas certainement.

– Il le faut absolument.

– Vous allez voir, dit dame Marguerite, qu’ils laisseront refroidir mon omelette. A-t-on jamais vu deux franciscains aussi cérémonieux? Que le plus vieux dise le bénédicité, et le plus jeune dira les grâces.

– Je ne sais dire le bénédicité que dans ma langue, dit le vieux moine.

Le jeune parut surpris, et jeta un coup d’œil à la dérobée sur son compagnon. Cependant ce dernier, joignant les mains d’une façon fort dévote, commença à marmotter sous son capuchon quelques paroles que personne n’entendit. Puis il se rassit, et en moins de rien, sans dire une parole, il eut englouti les trois quarts de l’omelette et vidé la bouteille placée en face de lui. Son compagnon, le nez sur son assiette, n’ouvrit la bouche que pour manger. L’omelette achevée, il se leva, joignit les mains, et prononça fort vite et en bredouillant quelques mots latins dont les derniers étaient: Et beata viscera virginis Mariæ. Ce furent les seuls que Marguerite entendit.

– Quelles drôles de grâces, révérence parler, nous dites-vous là, mon père! Il me semble que ce n’est pas comme celles que dit notre curé.

– Ce sont les grâces de notre couvent, dit le jeune franciscain.

– Le bateau va-t-il bientôt venir? demanda l’autre moine.

– Patience! Il s’en faut qu’il soit près d’arriver, répondit dame Marguerite.

Le jeune frère parut contrarié, du moins à en juger par un mouvement de tête qu’il fit. Cependant, il ne hasarda pas la moindre observation; et, prenant son bréviaire, il se mit à lire avec un redoublement d’attention.

De son côté, l’Alsacien, tournant le dos à son compagnon, faisait rouler les grains de son chapelet entre son index et son pouce, tandis qu’il remuait les lèvres, sans qu’il en sortît le moindre son.

– Voici les deux plus étranges moines que j’aie jamais vus, et les plus silencieux, pensa dame Marguerite, en se plaçant à côté de son rouet, qu’elle mit bientôt en mouvement.

Depuis un quart d’heure le silence n’avait été interrompu que par le bruit du rouet, lorsque quatre hommes armés et de fort mauvaise mine entrèrent dans l’auberge. Ils touchèrent légèrement le bord de leur chapeau à la vue des deux moines, et l’un d’eux, saluant Marguerite du nom familier de «ma petite Margot», lui demanda du vin d’abord, et à dîner bien vite, «car, disait-il, la mousse m’est crue au gosier, faute de remuer les mâchoires.»

– Du vin, du vin! murmura dame Marguerite, voilà qui est bientôt dit, monsieur Bois-Dauphin. Mais est-ce vous qui payerez l’écot? Vous savez que Jérôme Crédit est mort; et d’ailleurs vous me devez, tant en vin qu’en dîners et soupers, plus de six écus, aussi vrai que je suis une honnête femme!

– Aussi vrai l’un que l’autre, répondit en riant Bois-Dauphin; c’est-à-dire que je ne vous dois que deux écus, la mère Margot, et pas un denier de plus (Il se servit d’un terme plus énergique).

– Ah! Jésus! Maria! peut-on dire?…

– Allons, allons, ne braillez pas, notre ancienne. Va pour six écus. Je te les payerai, Margoton, avec ce que nous dépenserons ici; car j’en ai du sonnant aujourd’hui, quoique nous ne gagnions guère au métier que nous faisons. Je ne sais ce que ces gredins-là font de leur argent.

– C’est bien possible qu’ils l’avalent, comme font les Allemands, dit un de ses camarades.

– Malepeste! s’écria Bois-Dauphin, il faut y regarder de près. Les bonnes pistoles sont, dans une carcasse hérétique, une bonne farce qu’il ne faut pas jeter aux chiens.

– Comme elle criait, la fille de ce ministre de ce matin! dit le troisième.

– Et le gros ministre! ajouta le dernier; comme j’ai ri! Il était si gros qu’il ne pouvait enfoncer dans l’eau.

– Vous avez donc bien travaillé ce matin? demanda Marguerite, qui revenait de la cave avec des bouteilles pleines.

– Comme cela, dit Bois-Dauphin. Hommes, femmes et petits enfants, c’est douze en tout que nous avons jetés à l’eau ou dans le feu. Mais le malheur, Margot, c’est qu’ils n’avaient ni sou ni maille; hormis la femme, qui avait quelques babioles, tout ce gibier-là ne valait pas les quatre fers d’un chien. Oui, mon père, continua-t-il en s’adressant au plus jeune des moines, nous avons bien gagné des indulgences, ce matin, en tuant ces chiens d’hérétiques, vos ennemis.

Le moine le regarda un instant, et se remit à lire; mais son bréviaire tremblait visiblement dans sa main gauche, et il serrait son poing droit comme un homme agité par une émotion concentrée.

– À propos d’indulgences, dit Bois-Dauphin en se tournant vers ses camarades, savez-vous que je voudrais bien en avoir une pour faire gras aujourd’hui? Je vois dans la basse-cour de dame Margot des poulets qui me tentent furieusement.

– Parbleu! dit un des scélérats, mangeons-en, nous ne serons pas damnés pour cela. Nous irons demain à confesse, voilà tout.

– Écoutez, compères, dit un autre, il me vient une idée. Demandons à ces gros frocards-là de nous donner la permission de faire gras.

– Oui, comme s’ils le pouvaient! répondit son camarade.

– Par les tripes de Notre-Dame! s’écria Bois-Dauphin, je sais un meilleur moyen que tout cela, et je vais vous le dire à l’oreille.

Les quatre coquins s’approchèrent aussitôt tête contre tête, et Bois-Dauphin leur expliqua tout bas son projet, qui fut accueilli par de grands éclats de rire. Un seul des bandits montra quelque scrupule.

– C’est une méchante idée que tu as la, Bois-Dauphin, et cela peut porter malheur; moi je n’en suis pas.

– Tais-toi donc, Cuillemain. Comme si c’était un gros péché que de faire flairer à quelqu’un la lame d’un poignard!

– Oui, mais un tonsuré!…

Ils parlaient à voix basse, et les deux moines semblaient chercher à deviner leurs projets par quelques mots qu’ils saisissaient dans leur conversation.

– Bah! il n’y a guère de différence, repartit Bois-Dauphin d’un ton plus haut. Et puis, comme cela, c’est lui qui fera le péché, et ce ne sera pas moi.

– Oui, oui! Bois-Dauphin a raison! s’écrièrent les deux autres.

Aussitôt Bois-Dauphin se leva et sortit de la salle. Un instant après, on entendit des poules crier, et le brigand reparut bientôt, tenant une poule morte de chaque main.

– Ah! le maudit! s’écriait dame Marguerite. Tuer mes poulets! et un vendredi! Qu’en veux-tu faire, brigand?

– Silence, dame Margoton, et ne m’échauffez pas les oreilles, vous savez que je suis un méchant garçon. Préparez vos broches et me laissez faire.

Puis s’approchant du frère alsacien:

– Ça, mon père, dit-il, vous voyez bien ces deux bêtes-ci? eh bien! je voudrais que vous me fissiez la grâce de les baptiser.