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Mergy, qui avait été des premiers à escalader le fossé et l’épaulement, reprit haleine un instant pour graver avec la pointe de son poignard le nom de Diane sur une des pièces de la batterie; puis il aida les autres à détruire les travaux des assiégeants.

Un soldat avait pris par la tête le capitaine catholique, qui ne donnait aucun signe de vie; un autre tenait ses pieds, et tous deux s’apprêtaient, en le balançant en mesure, à le lancer dans le fossé. Tout à coup le prétendu mort, ouvrant les yeux, reconnut Mergy, et s’écria:

– Monsieur de Mergy, grâce! je suis prisonnier, sauvez-moi! Ne reconnaissez-vous pas votre ami Béville?

Ce malheureux avait la figure couverte de sang, et Mergy eut peine à reconnaître dans ce moribond le jeune courtisan qu’il avait quitté plein de vie et de gaieté. Il le fit déposer avec précaution sur l’herbe, banda lui-même sa blessure, et, l’ayant placé en travers sur un cheval, il donna l’ordre de l’emporter doucement dans la ville.

Comme il lui disait adieu et qu’il aidait à conduire le cheval hors de la batterie, il aperçut dans une éclaircie un gros de cavaliers qui s’avançaient au trot entre la ville et le moulin. Suivant toute apparence, c’était un détachement de l’armée catholique qui voulait leur couper la retraite. Mergy courut aussitôt en prévenir La Noue:

– Si vous voulez me confier seulement quarante arquebusiers, dit-il, je vais me jeter derrière la haie qui borde ce chemin creux par où ils vont passer, et, s’ils ne tournent bride au plus vite, faites-moi pendre.

– Très bien, mon garçon, tu seras un jour un bon capitaine. Allons, vous autres, suivez ce gentilhomme et faites ce qu’il vous commandera.

En un instant Mergy eut disposé ses arquebusiers le long de la haie; il leur fit mettre un genou en terre, préparer leurs armes et sur toute chose il leur défendit de tirer avant son ordre.

Les cavaliers ennemis s’avançaient rapidement, et déjà on entendait distinctement le trot de leurs chevaux dans la boue du chemin creux.

– Leur capitaine, dit Mergy à voix basse, est ce drôle à la plume rouge que nous avons manqué hier. Ne le manquons pas aujourd’hui.

L’arquebusier qu’il avait à sa droite baissa la tête, comme pour dire qu’il en faisait son affaire. Les cavaliers n’étaient plus qu’à vingt pas, et leur capitaine, se tournant vers ses gens, semblait prêt à leur donner un ordre, quand Mergy, s’élevant tout à coup, s’écria:

– Feu!

Le capitaine à la plume rouge tourna la tête, et Mergy reconnut son frère. Il étendit la main vers l’arquebuse de son voisin pour la détourner; mais, avant qu’il pût la toucher, le coup était parti. Les cavaliers, surpris de cette décharge inattendue, se dispersèrent fuyant dans la campagne; le capitaine George tomba percé de deux balles.

XXVII – L’HÔPITAL

Un ancien couvent de religieux, d’abord confisqué par le conseil de ville de la Rochelle, avait été transformé pendant le siège en un hôpital pour les blessés. Le pavé de la chapelle, dont on avait retiré les bancs, l’autel et tous les ornements, était couvert de paille et de foin: c’était là que l’on transportait les simples soldats. Le réfectoire était destiné aux officiers et aux gentilshommes. C’était une assez grande salle, bien lambrissée de vieux chêne, et percée de larges fenêtres en ogive qui donnaient suffisamment de jour pour les opérations chirurgicales qui s’y pratiquaient continuellement.

Là, le capitaine George était couché sur un matelas rougi de son sang et de celui de bien d’autres malheureux qui l’avaient précédé dans ce lieu de douleur. Une botte de paille lui servait d’oreiller. On venait de lui ôter sa cuirasse et de déchirer son pourpoint et sa chemise. Il était nu jusqu’à la ceinture; mais son bras droit était encore armé de son brassard et de son gantelet d’acier. Un soldat étanchait le sang qui coulait de ses blessures, l’une dans le ventre, juste au-dessous de la cuirasse, l’autre légère au bras gauche. Mergy était tellement abattu par la douleur, qu’il était incapable de lui porter secours avec quelque efficacité. Tantôt pleurant à genoux devant lui, tantôt se roulant par terre avec des cris de désespoir, il ne cessait de s’accuser d’avoir tué le frère le plus tendre et son meilleur ami. Le capitaine, cependant, était calme, et s’efforçait de modérer ses transports.

À deux pieds de son matelas, il y en avait un autre sur lequel gisait le pauvre Béville en aussi fâcheuse posture. Ses traits n’exprimaient point cette résignation tranquille que l’on remarquait sur ceux du capitaine. Il laissait échapper de temps en temps un gémissement sourd, et tournait les yeux vers son voisin, comme pour lui demander un peu de son courage et de sa fermeté.

Un homme d’une quarantaine d’années à peu près, sec, maigre, chauve et très ridé, entra dans la salle, et s’approcha du capitaine George, tenant à la main un sac vert d’où sortait certain cliquetis fort effrayant pour les pauvres malades. C’était maître Brisart, chirurgien assez habile pour le temps, disciple et ami du célèbre Ambroise Paré. Il venait de faire quelque opération, car ses bras étaient nus jusqu’au coude, et il avait encore devant lui un grand tablier tout sanglant.

– Que me voulez-vous, et qui êtes-vous? lui demanda George.

– Je suis chirurgien, mon gentilhomme, et si le nom de maître Brisart ne vous est pas connu, c’est que vous ignorez bien des choses. Allons, courage de brebis! comme dit l’autre. Je me connais en arquebusades, Dieu merci, et je voudrais avoir autant de sacs de mille livres que j’ai retiré de balles du corps à des gens qui se portent aujourd’hui tout aussi bien que moi.

– Or çà, docteur, dites-moi la vérité. Le coup est mortel, si je m’y connais?

Le chirurgien examina d’abord le bras gauche, et dit:

– Bagatelle!

Puis il commença à sonder l’autre plaie, opération qui fit bientôt faire d’horribles grimaces au blessé. De son bras droit il repoussa assez fortement encore la main du chirurgien.

– Parbleu! n’allez pas plus avant, docteur du diable! s’écria-t-il; je vois bien à votre mine que mon affaire est faite.

– Mon gentilhomme, voyez-vous, je crains fort que la balle n’ait d’abord traversé le petit oblique du bas-ventre, et qu’en remontant elle ne se soit logée dans l’épine dorsale, que nous nommons, autrement en grec rachis. Ce qui me fait penser de la sorte, c’est que vos jambes sont sans mouvement et déjà froides. Ce signe pathognomonique [71] ne trompe guère; auquel cas…

– Un coup de feu tiré à brûle-pourpoint, et une balle dans l’épine dorsale! Peste! docteur, en voilà plus qu’il n’en faut pour envoyer ad patres un pauvre diable. Ça, ne me tourmentez plus, et laissez-moi mourir en repos.

– Non, il vivra! il vivra! s’écria Mergy fixant des yeux égarés sur le chirurgien, et lui saisissant fortement le bras.

– Oui, encore une heure, peut-être deux, dit froidement maître Brisart, car c’est un homme robuste.

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[71] Qui caractérise spécifiquement une maladie, qui permet le diagnostic certain d’une maladie.