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Il y en avait, bien entendu, qui disaient la même chose de son frère cadet Valentin – que c’était un beau garçon qui promettait beaucoup et qu’il avait l’étoffe d’un roi. Mais Valentin ne se faisait aucune illusion sur de tels compliments. Voriax était de huit ans son aîné et, sans aucun doute, si jamais l’un d’eux devait établir sa résidence au Château, ce serait Voriax. Ce n’était pas que Voriax eût la moindre assurance d’être le successeur, malgré ce que tout le monde disait. Leur père Damiandane avait été l’un des plus proches conseillers de lord Tyeveras et le monde entier s’était également attendu à ce qu’il fût le futur Coronal. Mais quand lord Tyeveras devint Pontife, il descendit jusqu’à Bombifale au pied du Mont du Château pour faire de Malibor son successeur. Nul n’avait envisagé cela car Malibor n’était qu’un gouverneur de province, un homme fruste plus intéressé par la chasse et les jeux que par les charges du pouvoir. Valentin n’était qu’un enfant à cette époque et s’en souvenait à peine, mais Voriax lui avait dit que leur père n’avait jamais dit un mot de sa déception ni de sa consternation d’avoir été frustré du trône, ce qui constituait peut-être la meilleure preuve qu’il avait les qualités requises pour être choisi.

Valentin se demandait si Voriax se conduirait avec autant de dignité si, en définitive, la couronne à la constellation lui était refusée et revenait à quelque autre prince du Mont – Elidath de Morvole, par exemple, ou bien Tunigorn, ou bien encore Stasilaine, ou Valentin lui-même. Comme ce serait bizarre ! Valentin prononçait parfois les noms en secret pour entendre leur consonance : lord Stasilaine, lord Elidath, lord Tunigorn. Et même lord Valentin ! Mais de telles idées n’étaient que folie. Valentin n’avait aucune envie de supplanter son frère et il était peu probable que cela arrive. À moins de quelque incroyable lubie du Divin ou quelque étrange caprice de lord Malibor, ce serait Voriax qui régnerait lorsque le moment serait venu pour lord Malibor de devenir Pontife, et la certitude de ce destin s’était gravée dans l’esprit de Voriax et ressortait dans son attitude et dans son maintien.

Pour l’heure les pensées de Valentin étaient loin des embarras de la cour. Son frère et lui étaient en vacances dans le bas des pentes du Mont du Château – un voyage longtemps différé, du fait de la terrible fracture de la jambe dont Valentin avait souffert deux ans auparavant en se promenant à cheval avec son ami Elidath dans la forêt d’arbres nains en dessous d’Amblemorn, et ce n’était que depuis peu de temps qu’il avait été suffisamment rétabli pour une autre expédition aussi pénible. Voriax et lui avaient fait un grand et merveilleux voyage jusqu’au pied de l’énorme montagne ; c’étaient peut-être les dernières longues vacances que Valentin pouvait prendre avant d’entrer dans le monde des contraintes de l’âge adulte. Il avait dix-sept ans maintenant et parce qu’il faisait partie de ce groupe privilégié de jeunes princes parmi lesquels on choisissait les Coronals, il avait beaucoup à apprendre sur les techniques du gouvernement de façon à être prêt pour tout ce qu’on pouvait lui demander.

Il était donc parti avec Voriax – qui échappait à ses devoirs, et en était heureux, pour le plaisir d’aider son frère à fêter son rétablissement – de la propriété familiale de Halanx pour se rendre dans la proche cité des plaisirs de High Morpin pour chevaucher les mastodontes et traverser en titubant les tunnels d’énergie. Valentin insista pour aller aussi au glisse-glace, de manière à éprouver la force de sa jambe cassée et une infime hésitation passa sur le visage de Voriax, comme s’il doutait que Valentin pût maîtriser ce jeu mais avait trop de tact pour le dire. Quand ils arrivèrent sur la surface glissante, Voriax resta tout près de Valentin, comme pour le protéger, et quand Valentin fit quelques pas, Voriax le suivit.

— Croix-tu que je vais tomber ? demanda Valentin.

— Il y a peu de chances.

— Alors pourquoi restes-tu si près ? Est-ce toi qui as peur de tomber ?

Valentin se mit à rire.

— Rassure-toi, j’arriverai à temps pour te rattraper, dit-il.

— Tu es toujours attentionné, répliqua Voriax.

Puis la surface glissante sur laquelle ils se tenaient commença à tourner et les miroirs jetèrent un vif éclat ; l’heure n’était plus au badinage. De fait, Valentin éprouva au début quelques difficultés, car le glisse-glace n’était pas fait pour les invalides et sa blessure lui avait laissé une légère mais exaspérante claudication qui perturbait sa coordination ; mais il trouva rapidement le rythme et réussit aisément à rester debout, conservant son équilibre même dans les plus folles girations, et quand il passa en tournoyant devant Voriax, il vit que l’anxiété avait disparu du visage de son frère. Mais la nature de cet épisode fit beaucoup réfléchir Valentin tandis que Voriax et lui descendaient le Mont jusqu’à Tentag pour le festival de danse des arbres, puis jusqu’à Ertsud Grand et Minimool et, après avoir traversé Gimkandale, jusqu’à Furible pour assister au vol nuptial des oiseaux de pierre. Tandis qu’ils attendaient que le glisse-glace se mette en marche, Voriax avait été un protecteur inquiet et affectueux mais aussi un peu condescendant, un peu étouffant. Cette attention fraternelle pour la sécurité de Valentin semblait encore à celui-ci une autre façon qu’avait Voriax de garder l’ascendant sur lui et Valentin, au seuil de l’âge d’homme, n’appréciait pas du tout cela. Mais il comprenait que les relations fraternelles étaient faites à la fois d’affection et de conflit et il garda pour lui sa contrariété.

De Furible ils traversèrent Bimbak Est et Bimbak Ouest, faisant halte dans chacune des deux cités pour s’arrêter devant la tour de quinze cents mètres de haut qui donnait au pire prétentieux l’impression de n’être qu’une fourmi et après Bimbak Est ils prirent le chemin d’Amblemorn, où une douzaine de cours d’eau torrentueux s’unissaient pour former le puissant Glayge. En contrebas d’Amblemorn il y avait un endroit de quelques kilomètres de large où le sol était fortement tassé et d’un blanc crayeux, et où les arbres qui partout ailleurs poussaient jusqu’au ciel étaient sinistres et rabougris, pas plus grands qu’un homme et pas plus épais que le poignet d’une jeune fille. C’était dans cette forêt d’arbres nains que Valentin avait fait une chute, ayant trop éperonné sa monture à un passage où de sournoises racines serpentaient à la surface du sol. L’animal avait perdu l’équilibre, Valentin avait été désarçonné et sa jambe avait été affreusement tordue entre deux arbres chétifs mais résistants dont les troncs avaient acquis de la dureté au fil des siècles, et des mois de douleur et de frustration avaient suivi tandis que les os se ressoudaient lentement et une irremplaçable année de jeunesse avait été à tout jamais perdue pour lui. Pourquoi étaient-ils revenus ici ? Voriax errait dans la mystérieuse forêt comme s’il était à la recherche de quelque trésor caché. Enfin, il se tourna vers Valentin.

— Ce lieu semble magique, dit-il.

— La raison en est simple. Les racines des arbres ne peuvent pas pénétrer trop profond dans ce mauvais sol gris. Elles s’accrochent de leur mieux car nous sommes sur le Mont du Château où toute végétation croît mais elles sont privées de nourriture et…

— Oui, je comprends, fit froidement Voriax. Je n’ai pas dit que ce lieu est magique, simplement qu’il semble l’être. Une légion de sorciers Vroons n’aurait pu créer quelque chose d’aussi inquiétant. Pourtant je suis heureux de le voir enfin. On traverse à cheval ?