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— Ce n’est pas bon, dit un marin qui avait le vin mauvais. Mais le pire de tout, pour l’empereur, c’est qu’il a soixante ans. Et contre ça il n’y a rien à faire, même quand on est l’empereur. Il se pourrait même que ce soit pire pour lui.

Tout le monde hocha la tête.

— Mauvais, très mauvais.

— Il ne pourra pas empêcher les eunuques et les fonctionnaires de se battre.

— Il se pourrait que ce soit bientôt la guerre civile.

— À Beijing, dit Kyu à l’oreille de Bold.

Mais, avant leur départ, Kyu insista pour qu’ils montent jusque chez Zheng He, une demeure décrépite dont la porte était sculptée en forme de proue de bateau – la proue d’un des vaisseaux de la Flotte des trésors, en fait. On disait qu’à l’intérieur la décoration des pièces (soixante-deux, d’après les marins) évoquait différents pays musulmans, et qu’à l’extérieur des jardins paysagés rappelaient le Yunnan.

Bold se lamenta pendant toute la montée de la colline.

— Il ne voudra jamais recevoir un pauvre marchand et son esclave. Ses serviteurs vont nous chasser à coups de pied, c’est ridicule !

Tout se passa comme Bold l’avait prévu. Le gardien de la porte les empoigna et leur dit de déguerpir.

— C’est bon, fit Kyu. Allons au temple de Tianfei.

C’était un grand ensemble de bâtiments construits par Zheng He en l’honneur de l’Épouse Céleste, pour la remercier de les avoir miraculeusement sauvés de la tempête.

Le cœur du temple est une pagode À huit côtés et neuf étages, Carreaux de porcelaine blanche, bleu de cobalt persan, Rapportés par la Flotte des trésors. Pour complaire à Tianfei, chaque étage Doit avoir le même nombre de tuiles, Qui sont alors de plus en plus petites, Et montent vers le ciel en un pic gracieux, Plus haut que les arbres. Belle offrande En hommage à une déesse très miséricordieuse.

Bold et Kyu trouvèrent, quelque part dans le chantier, parlant avec des hommes qui n’avaient pas l’air mieux lotis qu’eux, Zheng He en personne. Il regarda approcher Kyu et prit le temps de lui parler. Bold secoua la tête en voyant ainsi se révéler le pouvoir du garçon.

Zheng acquiesça lorsque Kyu lui expliqua qu’ils avaient pris part à sa dernière expédition.

— Il me semblait bien vous avoir déjà vus.

Mais il fronça les sourcils quand Kyu lui expliqua qu’ils voulaient servir l’empereur à Beijing.

— Zhu Di est en campagne dans l’Ouest. À cheval, avec ses rhumatismes, fit-il avec un soupir. Il doit comprendre que la façon dont la flotte mène ses conquêtes est la meilleure. Arriver en bateau, commencer à faire du commerce, mettre en place un chef local compréhensif, et pour le reste, les laisser vivre, tout simplement. Commercer avec eux. Veiller à ce que le chef reste amical. Depuis les débuts des voyages de la Flotte, ce sont pas moins de seize pays qui rendent hommage à l’empereur. Seize !

— Pas facile de faire aller la flotte en Mongolie, remarqua Kyu.

Bold frémit. Mais Zheng He éclata de rire.

— Oui, le Grand Vide est haut et sec. Nous devons convaincre l’empereur d’oublier les Mongols et de s’intéresser à la mer.

— Absolument, répondit Kyu avec le plus grand sérieux. À Beijing, nous nous ferons les avocats de cette cause chaque fois que nous en aurons l’occasion. Voulez-vous nous donner des introductions pour aller voir les fonctionnaires eunuques du palais ? Je pourrais me joindre à eux, et mon maître, ici présent, ferait merveille dans les écuries impériales.

Zheng He parut amusé.

— Ça ne servira à rien, mais je vous aiderai, en souvenir du bon vieux temps, et je vous souhaite bonne chance.

Il écrivit une lettre d’introduction en secouant la tête. Il tenait son pinceau comme un petit balai miniature. Ce qui lui arriva par la suite, on le sait : il fut assigné à terre, l’empereur lui ayant confié un commandement militaire, et il passa la fin de ses jours à faire construire la pagode de porcelaine à neuf étages en hommage à Tianfei. On imagine que voguer sur les sept mers du monde devait lui manquer. On ne peut en être sûr. Mais ce qu’on sait c’est ce qui est arrivé à Bold et à Kyu. Et c’est ce que nous vous raconterons au chapitre suivant.

7

Nouvelle capitale, nouvel empereur ; certaines intrigues touchent à leur fin ; un garçon contre la Chine ; devinez qui gagne

Beijing était à l’état brut, dans tous les sens du terme ; le vent était humide et froid, le bois des bâtiments encore vert et suintant de sève, et partout ça sentait le goudron, la terre retournée et le ciment frais. Ça grouillait de monde, mais pas autant qu’à Hangzhou ou Nanjing. Bold et Kyu s’y sentaient en terrain conquis, à la fois cosmopolites et raffinés, comme s’ils étaient bien au-dessus de cet immense chantier de construction. Beaucoup de gens partageaient cette façon de voir.

Ils se rendirent à la clinique pour eunuques mentionnée dans la lettre d’introduction de Zheng He, juste au sud de la Porte du Méridien, l’entrée sud de la Cité Interdite. Kyu présenta sa lettre. On les laissa tout de suite entrer dans la clinique, afin d’y rencontrer l’eunuque qui la dirigeait.

— Avec une lettre d’introduction de Zheng He, vous irez loin dans le palais, leur dit cet eunuque, même si Zheng a personnellement des problèmes avec les fonctionnaires impériaux. Je connais le Maître de Cérémonie du palais, Wu Han, je le connais même très bien, je vous le présenterai. C’est un vieil ami de Zheng, et il a besoin d’eunuques au Pavillon des Profondeurs Littéraires pour transcrire des textes. Mais, attendez, vous ne savez pas écrire, n’est-ce pas ? Heureusement, Wu s’occupe aussi des prêtres eunuques chargés de veiller au bien-être spirituel des concubines.

— Mon maître, ici présent, est un lama, dit Kyu en montrant Bold. Il m’a initié à tous les mystères du bardo.

L’eunuque jeta un coup d’œil sceptique à Bold.

— Que vous sachiez écrire ou non, de toute façon, la lettre de Zheng vous permettra d’entrer. Il vous a recommandé en très haut lieu. Mais vous aurez besoin de votre pao, bien sûr.

— Mon pao ? fit Kyu. Mes précieuses ?

— Vous savez bien, dit l’eunuque en faisant un geste vers le bas-ventre de Bold. Vous devrez faire la preuve de ce que vous êtes, même quand je vous aurai examiné et que j’aurai certifié que vous l’êtes bien… De même, encore plus important peut-être, quand vous mourrez, il faudra qu’on vous le mette sur la poitrine à votre enterrement, pour tromper les dieux. Vous ne voudriez pas être réincarné en mule, n’est-ce pas ?

Il jeta un regard intrigué vers Kyu.

— Vous n’avez pas le vôtre ?

Kyu fit signe que non.

— Eh bien, vous n’aurez qu’à en choisir un ici, parmi ceux que des patients nous ont laissés en mourant. Je doute qu’on puisse distinguer celui d’un Noir de celui d’un Chinois après son séjour dans le vinaigre !

Il rit et les emmena dans un couloir.

Il s’appelait Jiang, dit-il. C’était autrefois un marin du Fukian qui s’étonnait sans cesse que des gens jeunes et en bonne santé puissent quitter la côte pour se rendre à Beijing.

— Mais, noir comme vous l’êtes, vous serez comme cet animal étrange que la Flotte a rapporté la fois dernière pour l’empereur, cette espèce de licorne tachetée au long cou. Qui venait aussi de Zanj, je crois. Vous le saviez ?