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— C’était une grande flotte, dit Kyu.

— Je vois. Bon, Wu et les autres eunuques du palais adorent les créatures exotiques, l’empereur aussi d’ailleurs. Vous serez bien. Restez tranquille, ne vous mêlez à aucun complot, et ça ira.

Dans la chambre froide d’un entrepôt, ils virent plusieurs pots hermétiquement fermés et des bocaux en verre, et trouvèrent un pénis noir que Kyu emporta. L’eunuque en chef inspecta ensuite personnellement Kyu, afin de s’assurer qu’il était bien ce qu’il disait, dressa son certificat d’un coup de pinceau à même la lettre d’introduction de Zheng, et apposa son sceau par-dessus, à l’encre rouge.

— Certains essayent de tricher, bien sûr, mais s’ils se font prendre, on les leur sert sur un plateau, après quoi ils n’ont plus besoin de faire semblant, vous comprenez ? Au fait, j’ai remarqué qu’ils ne vous avaient pas mis de tuyau de plume quand ils vous l’ont coupé. Vous devriez en avoir un pour que ça reste ouvert, et puis vous mettrez une petite fiche dedans. C’est bien mieux ainsi, beaucoup plus agréable. Ils auraient dû vous le faire sur le coup.

— Je me trouve très bien sans, dit Kyu.

Il leva le pot de verre dans la lumière, regardant de près son nouveau pao. Bold frémit, et fut le premier à quitter la pièce.

Alors qu’on finissait de régler les dernières formalités au palais, on donna à Kyu un lit au dortoir, et Bold fut conduit dans une chambre de la clinique pour hommes.

— Temporairement, vous comprenez. À moins que vous ne souhaitiez nous rejoindre au bâtiment principal. Ce qui vous offrirait de grandes chances d’avancement…

— Non merci, répondit Bold poliment.

Mais il voyait bien que de nombreux hommes venaient ici se faire opérer, désespérés de trouver du travail. Quand la famine sévissait dans les campagnes, on ne manquait jamais de candidats. Il y en avait même trop, et il fallait les renvoyer. Comme partout ailleurs en Chine, de nombreux fonctionnaires s’occupaient de tout, ici. Plusieurs milliers d’eunuques travaillaient au palais, et quelques-uns seulement à la clinique.

Ainsi commença leur séjour à Beijing. En fait, les choses prenaient une telle tournure que Bold se demanda, comme lors de leur voyage vers le nord, si Kyu, n’ayant plus besoin de lui, ne l’abandonnerait pas – pour s’en aller à la Cité Interdite, et disparaître de sa vie. L’idée le rendait, malgré tout, un peu triste.

Mais Kyu, après avoir été assigné au service des concubines de Zhu Gaozhi, le fils aîné des enfants légitimes de l’empereur et Premier Héritier du trône, demanda à Bold de le rejoindre et de se présenter aux écuries, où il servirait d’homme à tout faire.

— J’ai toujours besoin de ton aide, dit-il simplement, ressemblant au garçon qu’il avait été jadis, quand ils étaient montés à bord du bateau de la Flotte des trésors.

— Je ferai de mon mieux, dit Bold.

Kyu fut en mesure de demander la faveur d’un entretien avec le maître des écuries de Zhu Gaozhi. Bold se présenta à lui, montra ce qu’il savait faire en matière d’entretien des chevaux – et obtint le poste tant convoité. Les Mongols étaient chez eux aux écuries comme les eunuques au palais.

C’était plutôt un travail facile, pensa Bold. Le Premier Héritier était un homme assez paresseux, qui montait rarement à cheval. Les garçons d’écurie devaient donc souvent mener les chevaux à l’exercice, au manège, ou dans les nouveaux jardins des terrains attenants au palais. Les chevaux étaient tous blancs et très grands, mais lents et peu endurants. Bold comprit pourquoi les Chinois ne pouvaient aller au-delà de leur Grande Muraille et s’attaquer efficacement aux Mongols, en dépit de leur impressionnante multitude. Les Mongols vivaient sur leurs chevaux, et de leurs chevaux : ils faisaient leurs vêtements et leurs abris avec leur peau et leurs poils, ils buvaient leur lait, leur sang, et les mangeaient quand il le fallait. Les chevaux mongols étaient tout pour ce peuple, la vie, le vent, la mort ; alors que ces pauvres carnes, avec leur force et leur caractère, n’étaient bonnes qu’à faire tourner inlassablement la pierre d’une meule, des œillères sur les yeux.

Il se trouva que Zhu Gaozhi rendait fréquemment visite à sa mère, l’impératrice Xu, à Nanjing, où il avait grandi. Alors, au fur et à mesure que les mois passaient, Bold et Kyu firent plusieurs fois le trajet entre les deux capitales, en barge sur le Grand Canal, ou bien le longeant à cheval. Zhu Gaozhi préférait Nanjing à Beijing pour des raisons évidentes de climat et de culture. Tard dans la nuit, après avoir ingurgité d’incroyables quantités de vin de riz, on pouvait l’entendre déclarer que, le jour même où son père mourrait, il referait de Nanjing la capitale qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être. De sorte que tous trouvaient très étrange la profusion de travaux qu’ils voyaient à Beijing quand ils y revenaient.

Ils allèrent de plus en plus souvent à Nanjing. Kyu travaillait au harem de l’héritier, et y passait le plus clair de son temps. Il ne disait jamais rien à Bold de ce qu’il y faisait, sauf l’une des nombreuses fois où il vint le trouver aux écuries, tard dans la nuit, légèrement soûl. Ce fut d’ailleurs à peu près la dernière fois que Bold le vit, et il regretta bientôt ces visites nocturnes, même si elles le rendaient nerveux.

À cette occasion, Kyu expliqua que, ces derniers temps, sa tâche principale consistait à trouver un mari aux concubines ayant atteint la trentaine et n’ayant jamais eu de relations avec l’empereur. Zhu Di les envoyait à son fils, avec pour instruction de les marier vite fait.

— Aimerais-tu te marier ? demanda malicieusement Kyu à Bold. À une vierge de trente ans, experte en toutes choses ?

— Non merci, dit Bold, mal à l’aise.

Il avait déjà conclu un arrangement avec une des servantes du complexe de Nanking, et il eut beau se dire que Kyu plaisantait, cela lui fit bizarre.

Souvent, quand Kyu lui rendait visite la nuit aux écuries, il avait l’air plongé dans de profondes pensées. Il n’entendait rien de ce que Bold lui disait, ou répondait à côté, comme à une autre question. Bold avait entendu dire que le jeune eunuque était apprécié, connaissait beaucoup de monde au palais et avait les faveurs de Wu, le Maître des Cérémonies. Mais il n’avait aucune idée de ce qu’ils étaient tous en train de tramer dans les quartiers des concubines pendant les longues nuits d’hiver à Beijing. Souvent, Kyu se présentait aux écuries, empestant le vin et le parfum, parfois l’urine, une fois même le vomi. « Puer comme un eunuque », cet adage revint à Bold en ces occasions, avec une force désagréable. Il vit combien les gens se moquaient de la démarche efféminée des eunuques, leurs tout petits pas, les pieds recroquevillés. Y étaient-ils physiquement obligés, ou bien se donnaient-ils un genre ? Bold n’aurait su le dire. On les appelait « corbeaux » à cause de leur voix de fausset – et ce n’était qu’un des nombreux surnoms qu’on leur donnait ; mais toujours dans leur dos. Et tous s’accordaient à dire qu’au fur et à mesure qu’ils grossissaient et que leur façon d’être s’étrécissait, ils finissaient par ressembler à de vieilles femmes ratatinées.

Kyu était toujours jeune et beau ; et bien qu’il fut le plus souvent ivre et hirsute, la nuit, quand il venait rendre visite à Bold, il n’avait pas l’air mécontent de lui.

— Fais-moi savoir quand tu auras besoin d’une femme, dit-il. Nous en avons plus qu’il n’en faut là-bas.

Au cours de l’une de leurs visites à Beijing, Bold put voir un bref instant l’empereur avec son fils, alors qu’il leur apportait leurs chevaux, parfaitement pomponnés, depuis la Porte de la Pureté Céleste, afin qu’ils puissent monter ensemble dans les jardins du parc impérial. Sauf que l’empereur voulut sortir de l’enceinte pour chevaucher plus au nord de la ville, apparemment, et dormir sous la tente. Ce qui était franchement pour déplaire au Premier Héritier, comme aux dignitaires qui accompagnaient l’empereur. Finalement, il renonça à son projet et se limita à une promenade de jour, mais en dehors de l’enceinte du palais, le long du fleuve.