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Puis des conférenciers exposèrent une théorie selon laquelle la seconde vague avait en fait été une vague d’anthrax, qui avait suivi la peste ; d’autres tenaient un discours opposé, expliquant que les récits faits à l’époque de la première épidémie correspondaient plus souvent aux symptômes de l’anthrax qu’aux bubons de la peste bubonique, et que la peste n’avait frappé qu’ensuite. On expliqua au cours de ces mêmes conférences qu’il y avait plusieurs types de peste, bubonique, septicémique et pulmonaire. La pneumonie causée par cette dernière forme était mortelle, contagieuse, et se répandait très vite. Quant à la forme septicémique, elle était encore plus mortelle. Les tristes expériences menées au cours de la Longue Guerre avaient permis d’en apprendre long sur ces différentes maladies.

Mais comment expliquer que ce fléau, quel qu’il fut, ait été si mortel en Franji et pas ailleurs ? Le colloque donnait l’occasion à toute une flopée de conférenciers d’exposer leurs théories. Grâce à ses notes, Budur put les résumer à Piali, au cours du dîner, et il s’empressa de les inscrire sur la nappe.

• Dans les années 770, des animalcules de la peste mutèrent, prenant des formes proches de la tuberculose ou de la typhoïde, d’une virulence au moins équivalente.

• Les villes de Toscane étaient particulièrement peuplées aux alentours du huitième siècle ; certaines comptaient jusqu’à deux millions d’habitants, et les systèmes sanitaires, débordés, favorisèrent la prolifération des vecteurs de la peste.

• Les ravages provoqués par la première peste furent suivis de toute une série d’inondations désastreuses qui anéantirent le système agricole, provoquant la famine.

• À la fin de la première épidémie, une forme super contagieuse de l’animalcule muta dans le nord de la France.

• La peau claire des Francs et des Celtes ne possédait pas les pigments permettant de résister à la maladie – en témoignent leurs nombreuses taches de rousseur.

• Des taches solaires perturbèrent le climat et provoquèrent des épidémies, dont la gravité alla en s’accroissant…

— Des taches solaires ? coupa Piali.

— C’est ce qu’il a dit, confirma Budur en haussant les épaules.

— Si je comprends bien, reprit Piali, en relevant son regard de la nappe, l’épidémie serait due soit à des animalcules de la peste ou d’autres types de bacilles, soit à la nature des populations, ou à leurs coutumes, ou à leur pays, ou au climat, ou à des taches solaires…

Il grimaça.

— À mon humble avis, cela couvre l’éventail des causes possibles… Peut-être aurait-il fallu y inclure également les rayons cosmiques. Eh, euh, dis-moi, n’y aurait-il pas eu une supernova, quelque part, à cette époque ?

Budur ne put s’empêcher de rire.

— Je pense qu’elle a eu lieu un peu plus tôt. De toute façon, tu dois bien reconnaître que c’est quelque chose qui mérite une explication.

— Comme bien d’autres problèmes. Mais j’ai l’impression qu’en ce qui concerne celui-là, nous ne sommes pas près d’y arriver.

Le colloque se poursuivit, avec ses conférences traitant de ce qu’on savait des premiers hommes, jusqu’à l’immédiat avant-guerre. Les travaux sur les origines de l’homme fournirent le point de départ de l’une des plus formidables controverses qui aient jamais eu lieu à ce sujet.

L’archéologie, en tant que discipline, trouvait en gros sa source dans la bureaucratie chinoise. Ensuite, elle avait été récupérée par les Dineis, qui avaient étudié avec les Chinois, avant d’aller au Yingzhou, où des chercheurs essayèrent de comprendre les origines des Anasazis, ce peuple mystérieux qui avait été le premier à fouler le sol poussiéreux de l’ouest du Yingzhou. Le savant dinei Anan et ses collègues avaient apporté une ébauche d’explication à l’histoire de l’homme et de ses migrations, en prouvant que des tribus du Yingzhou avaient exploité des mines d’étain sur l’île Jaune, une île du Manitoba, le plus grand des Grands Lacs, et avaient envoyé cet étain par-delà les océans, aux civilisations de l’âge du bronze d’Afrique et d’Asie. L’équipe d’Anan prétendait que la civilisation avait vu le jour au Nouveau Monde, avec les Inkas, les Aztèques et les plus anciennes tribus du Yingzhou, qui avaient précédé les Anasazis des déserts à l’ouest. Leurs grands et vieux empires envoyaient leur étain sur des radeaux de roseau et de sapin, et le troquaient contre des épices et différentes espèces végétales avec les ancêtres des Asiatiques. Ces commerçants du Yingzhou avaient créé les premières civilisations méditerranéennes avant même les Grecs, et notamment les civilisations égyptiennes et celles des empires du Moyen-Occident, les Assyriens et les Sumériens.

C’est en tout cas ce que disaient les archéologues dineis, qui étayaient leurs thèses à l’aide de toutes sortes d’objets venus du monde entier. Mais voilà que l’on commençait à mettre au jour en Asie, en Franji et en Afrique, de nombreuses autres preuves démontrant le contraire. La datation à l’anneau-de-vie des plus anciennes traces de présence humaine dans le Nouveau Monde les faisait remonter à une vingtaine de milliers d’années, ce qui était fort ancien, et bien antérieur aux premières civilisations connues de l’histoire du Vieux Monde – les Chinois, les Moyen-Occidentaux et les Égyptiens. Théorie qui à l’époque paraissait plausible. Mais maintenant que la guerre était terminée, les scientifiques commençaient à étudier le Vieux Monde d’une façon qui n’avait pas été possible avant l’invention de l’archéologie moderne. Et ils trouvaient d’importantes traces d’un passé humain bien plus ancien que tout ce qu’on avait cru jusqu’alors. Des grottes dans le sud de Nsara, avec de magnifiques peintures d’animaux, étaient maintenant datées de façon assez certaine d’environ quarante mille ans. On avait retrouvé dans le Moyen-Occident des squelettes vieux d’à peu près cent mille ans. Et certains savants, à Ingali, en Afrique du Sud, disaient avoir trouvé des restes humains, ou de lointains ancêtres de l’homme, qui paraissaient avoir plusieurs centaines de milliers d’années. La datation à l’anneau-de-vie n’était pas utilisable pour ces vestiges, mais ils avaient recours à d’autres méthodes de datation qu’ils estimaient tout aussi fiables.

Personne au monde n’avait formulé de revendication semblable à celle des Africains, que bien des gens considéraient avec scepticisme ; certains remettaient en question leurs techniques de datation, d’autres écartaient tout simplement leurs assertions, n’y voyant que la manifestation d’un chauvinisme continental ou racial. Bien sûr, cette réponse agaçait les savants africains, et la conférence de l’après-midi fut tellement orageuse qu’elle rappela à bien des gens l’atmosphère qui régnait à l’époque de la guerre. Il était important de s’en tenir, dans tout discours, aux bases scientifiques, et de n’interroger que les faits, sans considérations religieuses, politiques ou raciales.

— Je suppose que le patriotisme peut prendre toutes les formes, dit cette nuit-là Budur à Piali. Un patriotisme archéologique est absurde, mais apparemment, c’est sous cette forme qu’il a vu le jour au Yingzhou. Un préjugé sans nul doute inconscient, que l’on a tous pour son propre pays. Et tant que nous n’aurons pas réglé le problème de datation, la question du modèle qui remplacera le leur reste ouverte.