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La Cinquième Assemblée des Talents Militaires finit par abandonner le gouvernement central et éclata en plusieurs petites seigneuries. C’était une victoire, et pourtant chaque seigneur de la guerre (et sa petite armée) devait être défait l’un après l’autre. Le théâtre des opérations se déplaça donc de province en province, de façon erratique. Une embuscade ici, un pont dynamité là. Kung fut lui-même la cible de plus d’une tentative d’assassinat, et, naturellement, la vie de Bao, son camarade et son assistant, se trouva aussi menacée. Il se serait bien vengé de ces tentatives d’assassinat, mais Kung restait imperturbable.

— Bah, ça n’est pas grave. De toute façon, il faut bien mourir de quelque chose.

Il prenait cela avec un sourire que Bao ne lui avait jamais vu.

Bao ne devait voir Kung vraiment en colère qu’une seule fois, et même alors, il y avait quelque chose d’étrangement chaleureux dans sa colère, étant donné les circonstances. Cela se passa quand l’un de leurs propres officiers, un certain Shi Fandi (« Sus à l’Impérialisme ! »), fut convaincu par un témoin d’avoir violé et tué une prisonnière dont il avait la garde.

Shi avait jailli de la cellule où il était gardé en criant :

— Ne me tuez pas ! Je n’ai rien fait de mal ! Mes hommes savent que j’ai essayé de les protéger. La criminelle qui est morte était l’une des plus cruelles du Sechuan. Ce n’est pas juste !

Kung sortit de l’entrepôt où il avait dormi cette nuit-là.

— Pitié, commandant ! dit Shi. Ne me tuez pas !

— Shi Fandi, dit Kung. Pas un mot de plus ! Quand un homme fait quelque chose d’aussi grave que ce que tu as fait et que l’heure de mourir est venue pour lui, il devrait se taire et faire bonne figure. C’est la seule chose qu’il puisse faire pour préparer sa prochaine venue en ce bas monde. Tu as violé et tué une prisonnière. Trois témoins peuvent l’attester et c’est l’un des pires crimes qui soient. En outre, il y a des rapports disant que ce n’était pas la première fois. Te laisser en vie et donc te permettre de continuer à faire ce genre de chose ne servira qu’à te faire haïr des gens, et notre cause avec – ce qui ne serait pas bien. Je ne veux plus discuter avec toi. Je veillerai à ce que ta famille ne manque de rien. Essaie donc d’avoir un peu plus de courage.

— Plus d’une fois on m’a offert dix mille taels pour te tuer et je les ai toujours refusés, répondit Shi amèrement.

Kung eut un geste dédaigneux.

— Tu n’as fait que ton devoir, et pourtant tu crois que ça fait de toi quelqu’un de spécial. Comme si tu avais été obligé de résister à ton caractère pour faire ce qu’il fallait. Mais ton caractère n’est pas une excuse ! J’en ai marre de ton caractère ! Moi aussi, mon âme est en colère, mais c’est pour la Chine que nous nous battons ! Pour l’humanité ! Alors tu dois laisser ton caractère de côté et faire ce qu’il faut !

Et il s’en alla tandis que l’on emmenait Shi Fandi.

Après quoi Kung fut d’humeur maussade, n’éprouvant pas de remords pour la condamnation de Shi, se sentant juste déprimé.

— Il fallait le faire, mais cela n’a rien changé. Ce genre d’homme se retrouve souvent au sommet. Et ce sera probablement toujours pareil. Peut-être que la Chine n’échappera pas à son destin. Comme disait Zhu : « De vastes territoires, des ressources en abondance, un grand peuple – à partir d’aussi bonnes choses, sommes-nous condamnés à tourner en rond, piégés par la roue des naissances et des morts ? »

Bao ne savait pas quoi répondre ; il n’avait jamais entendu son ami tenir des propos aussi pessimistes. Pourtant, actuellement, tout cela lui paraissait assez familier. Kung était d’humeur changeante. Mais il finissait toujours par reprendre le dessus ; il soupira, se releva d’un bond.

— Enfin, il faut bien continuer ! Continuer, continuer ! Nous ne pouvons pas faire autrement que d’essayer. Il faut bien occuper sa vie d’une façon ou d’une autre. Alors autant nous battre pour le bien.

Ce fut l’alliance avec les fermiers qui fit la différence. Kung et Bao assistaient à des réunions nocturnes dans des centaines de villes et de villages, où des milliers de soldats révolutionnaires comme eux parlaient au peuple des analyses et des plans de Zhu. La plupart des gens, dans les campagnes, étaient de parfaits illettrés ; de sorte qu’on devait leur communiquer les informations de vive voix. Mais il n’y a pas de forme de communication plus rapide et plus efficace que le bouche à oreille, une fois passé un certain stade.

À cette époque, Bao se familiarisa avec tous les détails de la vie à la ferme. La Longue Guerre avait pris la plupart des hommes, et bien des femmes les plus jeunes. Où que l’on aille, il ne restait que quelques vieillards, et la population était encore inférieure à ce qu’elle avait été avant la guerre. Certains villages étaient abandonnés, d’autres habités par des squelettes en guenilles. Les semailles et les récoltes étaient donc particulièrement difficiles, et les rares jeunes passaient leur temps à travailler, s’assurant que les cultures qui leur permettraient de vivre jusqu’à la saison prochaine et de payer les taxes poussaient bien. Les vieilles femmes faisaient de leur mieux en dépit de leur âge, conformément à l’attitude impériale de toutes les fermières chinoises. Généralement, dans les villages, celles qui savaient lire et faire les comptes étaient les grand-mères qui, dans leur jeunesse, avaient été élevées dans des familles plus prospères ; maintenant, elles apprenaient aux plus jeunes à lire, à tisser et à traiter avec le gouvernement de Beijing. C’est pour cette raison qu’à chaque fois que l’armée d’un seigneur de la guerre envahissait leur région, elles étaient les premières à être tuées, en même temps que les jeunes gens qui prenaient part au combat.

Dans le système confucéen, les fermiers étaient la deuxième classe par rang d’importance et en terme de prestige, juste en dessous des bureaucrates et des lettrés, qui avaient inventé ce système, mais au-dessus des artisans et des marchands. À présent, les intellectuels de Zhu étaient en train d’organiser les fermiers dans l’arrière-pays, et les marchands et les artisans des villes attendaient de voir ce que cela allait donner. On avait l’impression que c’était Confucius lui-même qui avait identifié les classes révolutionnaires. Il y avait, à l’évidence, beaucoup plus de fermiers que d’habitants des villes. Aussi, quand les armées de fermiers commencèrent à s’organiser et à se mettre en marche, les survivants de la Longue Guerre ne purent pas y changer grand-chose. Ils avaient eux-mêmes été décimés et n’avaient ni les moyens ni la volonté de tuer des millions de leurs compatriotes. Pour la plupart, ils se réfugièrent dans les plus grandes villes et se préparèrent à les défendre comme s’ils étaient attaqués par les musulmans.

Pendant cette période difficile, Kung s’opposa à tous les assauts directs, défendant des méthodes beaucoup plus subtiles pour soumettre les derniers seigneurs de la guerre établis dans les villes. On coupa les lignes de ravitaillement de certaines cités, on détruisit leurs aéroports, on fit le blocus de leurs ports ; des tactiques de siège d’un genre éprouvé, remises à jour par les nouvelles armes de la Longue Guerre. En fait, il s’agissait d’une autre longue guerre, civile cette fois-ci, qui semblait fermenter alors que personne en Chine ne voulait d’une chose pareille. Même les plus petits enfants vivaient dans le désastre et dans l’ombre de la Longue Guerre et savaient qu’un nouveau conflit serait une catastrophe.