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Kung rencontra le Lotus Blanc et d’autres groupes révolutionnaires dans les villes contrôlées par les seigneurs de la guerre. Chaque unité de travail, ou presque, avait en son sein des travailleurs favorables à la révolution et bon nombre d’entre eux se joignirent au mouvement de Zhu. En réalité, il n’y avait à peu près personne qui supportât de manière active et enthousiaste l’ancien régime. D’ailleurs, comment aurait-ce été possible ? Il était arrivé trop de choses. Pour que cela change, il n’y avait qu’à faire en sorte que tous les mécontents résistent de la même façon et appliquent la même stratégie. Et dans cet effort, Kung se révéla être un chef des plus influents.

— Dans de telles périodes, où les choses ont tellement besoin d’être repensées, disait-il souvent, tout le monde devient une sorte d’intellectuel. C’est la gloire de ces époques que de nous avoir réveillés.

Certaines de ces discussions et des réunions de l’organisation consistaient en de dangereuses visites en territoire ennemi. Kung était monté trop haut, il était allé trop loin au sein du mouvement de la Nouvelle Chine pour pouvoir être tout à fait à l’abri au cours de ces missions ; il était trop célèbre maintenant, et sa tête était mise à prix.

Un jour, au cours de la trente-deuxième semaine de l’an 35, Bao et lui rendirent clandestinement visite à leur vieux quartier de Beijing. Ils se cachèrent dans un camion de choux et descendirent non loin de la Grande Porte Rouge.

Ils virent aussitôt que tout avait changé : les quartiers qui se trouvaient juste aux portes de la ville avaient été rasés, et il y avait partout de nouvelles rues. Ils ne parvenaient pas à retrouver leurs marques près de la porte ; elles avaient disparu. À la place se dressaient un immense commissariat et de nombreux lotissements hébergeant des unités de travail alignées parallèlement à l’ancienne enceinte de la ville, que l’on voyait encore sur une certaine distance, de part et d’autre de la porte. Des arbres assez gros avaient été plantés aux nouveaux coins de rues, protégés par de lourdes grilles métalliques avec des piques en haut, et les jeunes arbres avaient l’air de bien se porter. Les fenêtres des dortoirs des unités de travail donnaient sur l’extérieur, ce qui était une nouveauté fort appréciée. Dans le temps, ces bâtiments n’avaient pas de fenêtres donnant sur le monde extérieur, et les seuls signes de vie n’étaient visibles que dans les cours intérieures. Maintenant, les rues elles-mêmes étaient pleines de marchands ambulants et de vendeurs de journaux à vélo.

— Ça a l’air bien ! dut reconnaître Bao.

Kung fit la grimace.

— Je préférais comme c’était avant. Allons voir ce qu’on peut faire.

Ils avaient rendez-vous dans une vieille unité de travail qui occupait plusieurs petits bâtiments juste au sud du nouveau quartier. Là-bas, les ruelles étaient toujours aussi étroites, et tout n’était que briques, poussière et boue, sans aucun arbre. Ils s’y promenèrent tranquillement, portant des lunettes de soleil et des casquettes d’aviateur, comme la moitié des autres jeunes gens. Personne ne fit le moins du monde attention à eux. Ils achetèrent à un coin de rue des nouilles dans des bols de papier qu’ils mangèrent au milieu de la foule et de la circulation, observant tout ce spectacle familier qui ne semblait pas avoir changé depuis qu’ils l’avaient quitté, un certain nombre d’années auparavant.

— Cet endroit me manque, dit Bao.

Kung était d’accord.

— Nous reviendrons bientôt, si nous voulons. Profite de Beijing, le cœur du monde.

Mais d’abord, ils avaient une révolution à finir. Ils se glissèrent dans l’un des ateliers de l’unité de travail et rencontrèrent un groupe de superviseurs dont la plupart étaient des vieilles femmes. Elles n’étaient pas du genre à se laisser impressionner par le premier gamin venu leur parler de changements énormes ; mais à cette époque-là, Kung était déjà célèbre, alors elles l’écoutèrent attentivement, et lui posèrent tout un tas de questions précises. Quand il eut fini d’y répondre, elles hochèrent la tête, lui tapotèrent l’épaule et le renvoyèrent dans la rue. Elles lui dirent qu’il était un gentil garçon, qu’il ferait mieux de quitter la ville s’il ne voulait pas se faire arrêter, et qu’elles le soutiendraient le moment venu. C’était toujours comme ça avec Kung : tout le monde sentait le feu qui brûlait en lui, et répondait de façon humaine. S’il avait réussi à convaincre les vieilles femmes de la Longue Guerre, alors rien n’était impossible. Bien des unités de travail étaient dirigées par ce genre de femmes, de même que les collèges et les hôpitaux bouddhiques. Kung savait tout à leur sujet, maintenant. « Le gang des veuves et des grand-mères », comme il les appelait.

— Des esprits très effrayants. Elles sont au-delà du monde, mais elles savent combien vaut un tael, et elles ne font pas de sentiment. Elles peuvent même se montrer très dures. Il y a souvent de bonnes scientifiques parmi elles, des femmes politiques très astucieuses ; mieux vaut éviter de les contrarier.

Il apprenait beaucoup à leur contact, et leur rendait hommage ; Kung savait où se trouvait le cœur du pouvoir, quelle que soit la situation.

— Si les vieilles femmes et les jeunes gens arrivent à s’entendre, alors, c’est gagné !

Kung en profita aussi pour aller à Tangshan, rencontrer Zhu Isao, le vieux philosophe en personne, et discuter avec lui de la campagne pour la Chine. Sous l’égide de Zhu, il s’envola pour le Yingzhou afin de s’y entretenir avec des représentants japonais et chinois de la Ligue du Yingzhou, y rencontrant aussi des Travancoriens. Puis il se rendit à Fangzhang. À son retour, il rapporta la promesse du soutien de tous les gouvernements progressistes du Nouveau Monde.

Peu après, l’une des grandes flottes hodenosaunees arriva à Tangshan et y débarqua de grandes quantités d’armes et de vivres. Des flottes semblables apparurent dans les ports de toutes les villes qui n’étaient pas encore sous le contrôle de la révolution, en faisant le blocus de fait, même s’il ne disait pas son nom, et les forces de la Nouvelle Chine purent, deux ans plus tard, entrer victorieusement à Shanghai, à Canton, à Hangzhou, à Nanjing, et partout dans les terres à l’intérieur de la Chine. L’assaut final sur Beijing consista plus en une entrée triomphale qu’en autre chose ; les soldats de la vieille armée disparurent dans la vaste ville ou dehors, dans leurs dernières forteresses du Gansu. Kung se trouvait avec Zhu dans les premiers camions d’une file géante de véhicules qui entra dans la capitale maintenant bien à eux. On les accueillit chaleureusement quand ils passèrent par la Grande Porte Rouge. C’était l’équinoxe de printemps qui marquait la nouvelle année 36. Plus tard, au cours de cette même semaine, ils ouvrirent la Cité Interdite au peuple, qui n’avait pu y aller qu’en de rares occasions auparavant, après la disparition du dernier empereur, quand pendant quelques années elle avait été un jardin public et des baraquements pour l’armée. Depuis quarante ans, elle avait été de nouveau fermée au public, qui, maintenant, s’y précipitait pour écouter Zhu et ses plus proches collaborateurs parler à la Chine et au monde. Bao était dans la foule qui les accompagnait, et quand ils passèrent la Porte de la Grande Harmonie, il put voir Kung regarder autour de lui, comme surpris. Kung secouait la tête, une drôle d’expression sur le visage ; expression qu’il avait toujours quand il montait sur l’estrade, à côté de Zhu, pour parler à la foule extatique massée sur la place.

Zhu était encore en train de parler quand des coups de fusil se firent entendre. Zhu tomba. Kung tomba. Et ce fut le chaos.